Le flanc droit des Molenbeekois espère satelliser son talent et son avenir en Europe occidentale.

Il y a 50 ans exactement, Bruxelles s’apprêtait à inaugurer l’Exposition internationale de 1958. Cet événement a permis à la Belgique de montrer son dynamisme au monde entier, d’effacer le souvenir du deuxième conflit mondial de 1939-1945, de préparer les golden sixties. Mais c’était aussi l’époque de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Et, pas loin du stade de la rue Charles Malis, les Etats-Unis et l’Union Soviétique se toisaient du haut de leur palais respectif. Moscou avait provisoirement pris une longueur d’avance dans la conquête de l’espace en lançant le premier satellite baptisé Spoutnik.

Les temps ont changé et les footballeurs sont les nouveaux cosmonautes. Les grands clubs de Moscou et de Saint-Pétersbourg montent en puissance sur la scène internationale. Des dirigeants bourrés aux as achètent Chelsea ou d’autres monuments du football international. Valéry Sorokin, lui, est discret. Il a pris son envol à Stavropol, une belle ville du Caucase.  » Nos Cosaques sont célèbres « , dit-il en riant.  » La Mer Noire n’est pas loin : 300 km, c’est rien en Russie. Mon père entraînait les jeunes du Dynamo Stavropol. A 15 ans, j’ai passé avec succès un test à l’Académie du Spartak Moscou. Ma vie a évidemment basculé. La formation y est soignée jusque dans les derniers détails : les jeunes sont blanchis, logés et nourris. Ils ne doivent s’occuper que de football. C’était un honneur de séjourner dans cet environnement. J’y suis resté un an avant de me retrouver au Lokomotiv Moscou et puis de signer mon premier contrat pro au Dynamo à 18 ans. Je suivais un entraîneur de jeunes qui me dirigea au Lokomotiv. J’étais sur la bonne voie, j’ai vite célébré mes débuts en D1 mais la concurrence était très sévère « .

Fondé en 1923, le Dynamo a remporté onze titres nationaux mais le dernier date de 1976, autant dire d’avant le déluge. La plus grande fierté de ce club a un nom : Lev Yachine, décédé en 1990. L’ Araignée noire y joua de 1950 à 1970 et cet extra-terrestre est toujours considéré comme le meilleur gardien de tous les temps.  » C’est le joueur culte du Dynamo « , affirme Sorokin.  » Ce club tente de garder la roue des grosses pointures russes mais ce n’est pas facile. Le Dynamo devra encore patienter avant d’ajouter un titre à sa collection. Le coach a disposé de bons joueurs comme Francisco Costinha ou Nuno Maniche mais cela n’a pas suffi. Les étrangers sont attirés par l’argent mais c’est dur pour eux car ils doivent s’adapter à une autre vie : climat, distance, langue, culture, pression des résultats, etc. Les jeunes Russes sont souvent moins choyés… même si je n’avais pas à le plaindre « .

Fin 2007, Sorokin prend la décision de quitter la Russie. Il rêve de se faire un nom en Europe occidentale :  » Le Dynamo m’a proposé cinq ans mais j’ai refusé, même si le volet financier était intéressant. Que serais-je devenu dans cinq ans ? Avec un peu de malchance, on m’aurait oublié dans un coin. J’ai fait un choix sportif. Moi, je ne veux pas de l’argent mais un palmarès, des victoires, des titres, la chance de découvrir un jour la Ligue des Champions. Le Dynamo ne pouvait pas m’offrir cela. Comme je refusais de prolonger mon contrat, mes salaires se sont raréfiés et j’ai été plongé dans le noyau B « .

Du côte de chez Swanze

Cette pénurie de roubles et de respect l’incita encore plus à chercher son bonheur à l’étranger. Stuttgart avait noté son nom lors d’un match amical. Son agent, Vladimir Andrenov, lui conseilla de tenter sa chance en Allemagne ou en Belgique. Stuttgart était intéressé mais proposa de patienter six mois dans une division régionale.  » Je comprenais les problèmes de Stuttgart qui avait assez de joueurs étrangers mais je tenais absolument à jouer en D1. Mon manager me parla alors d’un contact avec le Brussels. C’était intéressant et si ce club avait des soucis, il n’était pas encore lanterne rouge. Albert Cartier était aux commandes et me réserva un accueil chaleureux : c’est important quand on passe des essais « .

L’entraîneur vosgien décela tout de suite les qualités de ce flanc droit doté d’une belle technique. Ce n’est pas un Cosaque à deux kopecks. Cette classe intrigua aussi le regard de Johan Vermeersch qui, prudent, le fit retirer du jeu lors d’un match des Réserves. Le Cercle Bruges l’avait remarqué mais trop tard, Sorokin était engagé. Il rêvait de l’Europe et sa capitale lui tendait les bras.

Sorokin n’obtint pas facilement ses documents de sorties. Le Dynamo se fit tirer l’oreille dans le but d’effacer le retard de salaires en échange d’un bon de départ. Or, le joueur était libre depuis fin décembre. Il manquait quelques cachets sur sa feuille de route mais tout s’arrangea à la dernière minute. La donne changea au Brussels embourbé jusqu’au cou dans le marais de la D1. Puis Cartier céda son tablier à Franky Van Der Elst.  » Ce fut un moment assez éprouvant car j’avais été impressionné par le style de cet entraîneur « , insiste Sorokin.  » C’était un grand pro. Mais je peux en dire de même pour son successeur. On s’aperçoit tout de suite de sa parfaite connaissance de la D1. Tous deux sont des hommes de métier. Rien ne sera facile mais nous donnerons tout jusqu’au bout. Quand on n’a que six mois, comme beaucoup, pour faire son trou ici, ce n’est pas facile. Les nouveaux viennent d’horizons différents et n’ont pas tous le même niveau physique « .

Bojan Neziri a joué en Ukraine et parle russe avec lui. Mais quand Sorokin a besoin d’un traducteur, il fait le plus souvent appel à Dirk Diederich, un personnage haut en couleurs qui anime un blog Du côte de chez Swanze, qui décape et dérange parfois la direction des Coalisés. Diederich manie six langues, travaille à TV Brussel et donne des cours de néerlandais à l’Athénée de Saint-Gilles. Sorokin apprécie son apport :  » Dirk est un grand supporter. Si ce club venait à descendre en D2, ce serait une catastrophe. Je serais alors obligé de trouver une autre solution pour bâtir ma carrière. Mais je ne veux pas penser une seconde à cela pour le moment. Je suis là pour le Brussels. J’ai un bon contrat. En Russie, les primes sont plus élevées : 5.000 euros la victoire pour 1.200 au Brussels. Mais j’ai le temps. De plus, le football belge me convient. En Russie, le réalisme et les résultats priment : ici, on pense encore au spectacle « .

par pierre bilic – photos : reporters

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