Sport de provoc

Bernard Jeunejean

Comme moi, êtes-vous intrigués par cette manière pour le moins récurrente qu’a Thierry Henry d’enfiler ses buts ? Je ne dis pas qu’il les met tous au fond de la même façon : mais la proportion de ceux y aboutissant via cette frappe plat du pied droit, enroulée et décroisée au deuxième piquet, est quand même faramineuse, non ? Vous m’objecterez que chaque buteur a sa spécialité : que Gerd Müller traînait toujours dans le petit rectangle et en a planté des dizaines comme ça, que Jean-Pierre Papin a multiplié les volées d’anthologie, ou que John Toshack n’a pas beaucoup scoré avec autre chose que son front.

Mouais, ça ne me convainc pas : cette réussite d’Henry, via ce coup de patte qui en devient sa marque de fabrique, elle devient pour moi une interrogation ontologique ! J’en arrive à me demander si Henry n’hypnotise pas fissa les keepers adverses en leur serrant la pogne avant le match, s’il ne les frappe pas par magie noire d’un Alzheimer momentané : diable, quand le buteur d’ Arsène et d’Arsenal est dans leurs parages balle au pied, tous ces gardiens d’en face gardent-ils vraiment à l’esprit qu’ils ont de grandes chances de se faire couillonner sur leur côté GAUCHE ? Je me le demande ! Et je me pose corollairement ces deux autres questions : Thierry Henry serait-il buteur plus magique encore s’il frappait de temps en temps au but du plein cou de pied ? Lui a-t-on d’ailleurs APPRIS à frapper du cou de pied ?

Ceci dit pour rire, ce qui suit l’est moins : Henry, qui milite contre et qui a bien raison, fait parfaitement la transition avec cette saloperie de problème qu’est le racisme dans les stades et sur les terrains. Pourtant, le monde du foot n’est pas plus raciste que le monde tout court. Je continue même de croire qu’un sport collectif reste un lieu privilégié de rencontres, un rassembleur de gens par ailleurs divergents quant à leur culture, leur origine sociale ou la couleur de leur peau : jouer dans une équipe où évolue un black, perdre et gagner avec lui, c’est une ouverture au monde black comme t’en offrent peu d’autres activités de ton quotidien. Et comme supporter, si tu es heureux des buts que marque l’homme à peau noire de ton équipe (quelle équipe d’aujourd’hui n’en aligne pas ?), si tu en deviens même le fan, comment peux-tu railler par ailleurs ceux d’en face qui ont pareillement la peau noire ? Offenser celui du camp d’en face, c’est offenser celui de ton propre camp.

S’attaquer aux attitudes racistes qui envahissent le foot est nécessaire, ce n’est pourtant pas s’attaquer à la racine de la saloperie. La racine de ce racisme-ci, c’est que ce sport qui pourrait être chouette est de plus en plus lamentablement un sport de provoc, tant sur la pelouse qu’autour ! Mettre l’adversaire nerveusement à bout, lui faire péter un plomb, est partie intégrante de la stratégie menant à la victoire. La victoire à tout prix ! Grégarisme aidant, un certain public l’a bien compris, jouant pitoyablement son rôle fanatique de douzième homme. Toute différence physique repérée fait farine au moulin des injures pour gagner : le roux sera traité de rouquin, l’enveloppé de gros tas, le décoloré de pédé ; et l’homme noir, si facilement repérable, sera particulièrement visé…

La FIFA, qui vient d’amender son code disciplinaire en menaçant désormais de retraits de points voire de relégation, a raison de vouloir sévir contre les manifestations racistes. Mais ce sera ardu pour elle de faire la part des choses, notre joli monde de la gagne à tout prix étant encore bien plus vicié qu’elle croit : la FIFA doit effectivement lutter contre le racisme, elle devra lutter aussi contre ceux… qui utiliseront cette lutte ! Car hélas, si ça peut rapporter des points ou faire gagner des places, si ça peut d’une quelconque manière être profitable de porter plainte pour racisme de l’adversaire, j’ai bien peur que certains utilisent le filon.

Récemment, un de nos dirigeants laissait entendre que la sanction infligée à son joueur noir était due à la couleur de sa peau. Un autre s’engueulait avec un dirigeant d’en face, et le premier accusait le second d’avoir voulu  » lui faire comprendre qu’il était étranger, et que c’était un peu raciste  » ( Gazette des Sports, 16 mars). Tout ça me fait redouter des situations où les protestations iront bon train pour un rien : où la moindre échauffourée dont un des protagonistes sera noir pourra se trouver exploitée par ses équipiers blancs pour vilipender le racisme des opposants et réclamer justice… Va-t-il falloir faire gaffe à de nouveaux simulateurs ? Foutu foot insoluble.

bernard jeunejean

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire