SPICY CURRY

Jugé trop frêle par ses collègues américains et même classé en NBA après quelques graves blessures à la cheville, Stephen Curry (27 ans), fin dribbleur et tireur, est le MVP en titre des Golden State Warriors, champion 2015, et le visage de la NBA. Partons donc à la découverte du Lionel Messi du basket.

Un conseil à ceux qui ne suivent pas la NBA de près : allez sur YouTube et tapez  » Stephen CurryRazzles and Dazzles « . Ensuite, admirez le distributeur des Golden State Warriors. Par quelques dribbles et crossovers entre les jambes et derrière le dos, il mystifie quatre défenseurs des LA Clippers, mués en statues. Ensuite, il dribble jusqu’à la ligne des trois points et expédie le ballon dans le panier, d’une longue trajectoire en arc-en-ciel.

Le coach Steve Kerr n’en croit pas ses yeux et l’analyste Jeff Van Gundy, l’ancien entraîneur qui a souvent affronté Michael Jordan, crie :  » C’est le plus beau mouvement que j’aie jamais vu en direct !  » Il en va là d’une des nombreuses séquences qu’on peut découvrir sur YouTube : comment Stephen Spicy Curry, artiste inégalable et tireur d’élite, a conduit les Warriors au titre l’année dernière et pimente encore un peu plus la saison en cours.

MAKE IT OR CHASE IT

Il était écrit dans les étoiles qu’un jour, les amateurs de basket dégusteraient l’art de Curry comme une épice rare. Il est né au General Medical Center d’Akron, dans l’Ohio, sous le nom de Wardell Stephen Curry II, dans le même hôpital qu’une autre star, LeBron James. En outre, il est le fils de Dell Curry, qui a mis un terme en 2002 à une carrière de seize ans en NBA. Son tir à trois points avait fait sa renommée.

Stephen allait suivre son exemple. Il a hérité de l’amour du basket de son père. Ainsi que de son perfectionnisme et de sa volonté de marquer à tous les coups. Quand le ballon échoue en dehors du panier, le petit Steph doit aller le repêcher dans la boue.  » Make it or chase it « , c’est sa devise à chaque tir. Donc, il marque, pas seulement sur le petit terrain mais aussi sur le vrai parquet des Flames et des Stars, les équipes de Charlotte, l’ancien club NBA de son père.

Jusqu’à l’âge de dix ans, Steph exécute de tels shows qu’il attire les spectateurs, avides de voir ce natural born shooter. Ses équipes en recueillent aussi les fruits car Curry et les Stars enlèvent le national championship game au complexe Disney Wide World Sports d’Orlando. Plus tard, adolescent, il fait profiter les équipes de ses high schools de Toronto, le nouveau club du père Curry, de son art.

C’est ensuite le tour de Charlotte.  » Ce gamin est l’avenir du basket « , prédit son entraîneur, alors que Steph vient de marquer trois trois-points dans la dernière minute de jeu, comblant un retard de six points. Les images font le tour de l’Amérique. Dell quitte même prématurément la tribune de Toronto quand son fils de treize ans inscrit 63 points.  » Je ne pouvais plus supporter de voir ce qu’il infligeait aux défenseurs adverses.  »

CHEVILLES D’ACHILLE

Trois ans plus tard, pourtant, Dell annonce une nouvelle choquante à Stephen : s’il veut rejoindre l’élite absolue, la NBA, il doit modifier son tir. Il ne doit plus l’armer depuis les hanches car c’est trop facile à bloquer : il doit opérer par un haut release du ballon. Il peaufine donc la technique de son fils durant tout un été. Plus tard, il décrira cette période comme le summer of tears car son fils a souvent eu les larmes aux yeux, frustré de ne pas réussir.  » C’est la seule fois de ma vie où j’ai détesté le basket « , témoignera Curry.

Il tient bon, ce qui lui permet de réussir ce qu’on appelle le plus beau shot que le basket ait jamais connu. Contrairement à la majorité des joueurs, la vedette des Warriors n’envoie pas le ballon du sommet de son saut mais une fraction de seconde avant. Il tire donc plus vite que les autres : en moins de quatre dixièmes de second contre 54 centièmes pour le joueur moyen de NBA. En plus, sa courbe parabolique est plus haute, ce qui lui permet de surplomber des défenseurs plus grands. C’est d’autant plus intéressant que Curry ne mesure que 1m91, ce qui lui fait quand même 19 centimètres de plus que durant le fameux été des larmes.

Avec ses 70 kilos tout mouillé, il n’intéresse toutefois pas encore les grandes universités et trouve refuge pendant trois ans chez les Davidson Wildcats. Là, il s’attire l’intérêt des Golden State Warriors, notamment en signant un nombre record de trois-points en championnat NCAA. Le club le choisit en septième position pendant le draft 2009. Il n’est donc pas le plus grand talent de sa génération. Pourtant, dès sa première saison, Curry est deuxième au classement du Rookie of the Year. Les ennuis commencent : il passe plusieurs fois à travers sa cheville droite et subit deux opérations, en 2011 et en 2012. On doute de son avenir. D’aucuns le classent définitivement mais pas les Warriors : le club prolonge son contrat de quatre ans.

SPLASH BROTHERS

Il n’a pas à se plaindre de ce choix controversé : la saison suivante, en 2012-2013, il améliore le record de trois-points en NBA avec 272 tirs décisifs et il atteint le faîte de la gloire en inscrivant 54 points au New York Madison Square Garden. Curry et son collègue Klay Thompson, qui est également le fils d’un ancien basketteur, Mychal, sont même surnommés les Splash Brothers parce que leurs longs tirs font trembler le filet du panier.

Grâce à eux, les Warriors, les petits poucets de NBA depuis des années, disputent les play-offs, cette saison-là et la suivante, mais ils sont éliminés respectivement au deuxième et au premier tour. Tout change avec l’embauche de l’entraîneur Steve Kerr à l’aube de la saison 214-2015. Il ajoute aux vagues d’attaques des Warriors une défense imperméable. C’est la clef de leur première place en championnat régulier. Curry bat encore son record de trois-points, le portant à 286, et est élu Most Valuable Player. La consécration ultime suit en juillet quand les Warriors sont sacrés champions à l’issue de la finale des play-offs contre les Cleveland Cavaliers de LeBron James. L’événement historique est fêté par 1,1 million de supporters pendant la parade des champions.

Curry, fidèle à la mentalité que lui a inculquée son père Dell, travaille avec encore plus d’acharnement pendant l’été. Il développe sa puissance, son explosivité, sa technique et s’adonne également à des exercices neurocognitifs pour optimiser sa coordination yeux-mains. Il veut que son cerveau pense plus vite que l’adversaire ne saute.

Avec succès car jamais Curry n’a été animé d’un tel feu. Avec une moyenne de 29,5 points par match, soit six de plus que la saison passée, il est le meilleur buteur de NBA à mi-parcours. Il a augmenté son pourcentage de réussite sous le panier, le terrain des géants, jusqu’à un phénoménal 65 % et son nombre de trois-points est passé de 3,6 à 4,6 par match.

MESSI DU BASKET

Curry n’est pas seulement considéré, à 27 ans, comme le meilleur buteur de tous les temps, dixit l’amateur de basket qu’est Barack Obama, les connaisseurs vantent l’énorme palette de ses talents. Il réussit des choses quasi impossibles avec le ballon, comme durant ce fameux move contre les LA Clippers, et il semble immunisé contre toute pression défensive. Il le doit à des milliers d’heures d’entraînement. On pense à son fameux drill des deux mains, avec deux ballons, à chaque échauffement, ou à l’exercice durant lequel, un bandeau sur les yeux, il dribble avec un ballon de basket, voire une balle de tennis – voir YouTube.

Pour compléter le tout, il délivre en moyenne sept assists par match. Il crée un florilège d’ouvertures et améliore ainsi le rendement de ses coéquipiers. Cette saison plus encore que les autres : avec 24 victoires d’affilée, les Warriors ont pris le meilleur départ de tous les temps en NBA. Ils semblent même en voie de battre le légendaire record établi par les Chicago Bulls de Michael Jordan en 1995-1996 : 72 victoires en 82 matches.

Ils le doivent à Curry, qui s’est déjà comparé à Lionel Messi :  » Nous possédons le même flair et la même créativité.  » En fin d’année, quand le Time Magazine lui a demandé ce qu’on pouvait attendre de lui en 2016, il a répondu, d’un ton décidé :  » Que je continue à progresser.  » Lui-même se considère d’ores et déjà comme le meilleur basketteur du monde.  » Il faut le penser pour atteindre le niveau que je vise à chaque match.  »

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS REUTERS

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