Sous les ponts de Sao Paulo

Le Brésilien venu de nulle part veut devenir titulaire et convaincre un club qui n’a jamais fait la part belle aux joueurs auriverde.

Au Cercle Bruges, il y a un bon mois, Ariel Jacobs, se prononce en faveur d’un 4-2-3-1, avec Lucas Biglia et Cheykhou Kouyaté comme pare-chocs et un trio composé de gauche à droite de Mbark Boussoufa, Matias Suarez et Jonathan Legear pour épauler le seul Romelu Lukaku. Après 24 minutes, Legaer doit quitter le terrain, blessé. Kanu le remplace mais son entrée, sur l’aile gauche, entraîne le passage de Boussoufa au centre et de Suarez sur la droite. Après la pause, les cartes sont redistribuées. Le Marocain retrouve sa place de prédilection à gauche, tandis que le Brésilien opère comme numéro 10. A 20 minutes du terme, à 1-0, les Mauves lancent Ziguy Badibanga à droite, et Suarez repique au centre au détriment de Kanu qui termine aux côtés de Biglia devant la défense.

 » Ce match, c’est le résumé de mes deux années au Sporting « , observe Kanu.  » J’ai d’abord été réserviste avant d’être utilisé à des places fort différentes, tantôt sur le flanc, tantôt dans l’axe. Je préfère une position centrale. Le numéro 10 que j’ai obtenu après le départ d’ Ahmed Hassan est une indication en ce sens : celui qui porte ce maillot-là ne joue pas sur l’aile. A Gand, le dimanche précédent, je n’ai rien réussi de bon sur le flanc pendant 45 minutes. Par contre, en deuxième mi-temps, après avoir coulissé dans l’axe, j’ai retrouvé mes meilleures sensations. Dans cette position, je suis libre de m’orienter. Souvent, je réceptionne le ballon dos au but et j’en profite pour me déplacer à gauche ou à droite, en fonction de l’inspiration. Dans le couloir, je n’ai pas cette possibilité. Je suis bloqué par la ligne de touche et perds une partie de mes moyens. Mais je ne vais pas me plaindre. Le plus important, c’est l’équipe. Si le staff estime que ma place est à gauche, je m’incline même si j’ai toujours joué dans un rôle central…  »

Octobre 2000 : les tests de Sao Paulo

Kanu vient tout juste de fêter ses 13 ans. Comme tout jeune Brésilien, il a découvert le foot en rue avant de pousser la porte des deux grands clubs de sa ville natale, l’Esporte Clube Bahia et le Victoria do Bahia. Mais le centre de gravité du futebol ne se situe pas à Salvador mais à 2.000 km au sud, à Sao Paulo. Au bout d’un long voyage en car de deux jours, il aboutit dans la mégapole où il passe un premier test infructueux au Palmeiras. Il ne sait où aller. Retourner à la case départ s’assimilerait à un échec. Quelques jeunes recalés parlent alors d’une journée de détection organisée par l’un des autres clubs de la ville, l’Atletico Juventus. Seul hic, il y a 48 heures de battement entre les deux essais et le teenager n’a personne pour l’abriter. Du coup, il doit dormir sous un pont…

 » J’avais besoin de 200 rials (90 euros) pour le voyage de Sao Paulo « , se souvient-il.  » A la maison, avec trois enfants à nourrir et un père toujours absent, ma mère n’était pas riche. Elle n’avait pas la possibilité de rassembler cette somme. Dès lors, j’ai fait des petits boulots et la manche pour y arriver. Il m’a fallu du temps, car les gens ne me donnaient qu’une aumône. Le plus généreux, c’était un commerçant qui m’a remis 10 rials. J’étais seul pour cette expédition. En guise de bagage, j’avais une paire de chaussures de foot, c’est tout. Je me suis retrouvé à Palmeiras au beau milieu de dizaines de gamins qui espéraient être recrutés. Je n’ai hélas pas eu cette chance. Tous mes espoirs reposaient alors sur cet essai à l’Atletico Juventus. Le peu d’argent qui me restait m’a servi à manger et à boire. Pour me reposer, je n’avais d’autre alternative que de passer la nuit dehors, sous un pont. J’avais déjà fait ça mais très rarement. Je n’étais pas dans le cas de ces milliers de jeunes sans toit chez nous. Le soir, ils trouvent tantôt refuge dans les bouches d’aération du métro, tantôt encore sous les ponts. En fait, tout ce qui est couvert fait l’affaire « .

Mais ça en valait la peine : Kanu allait réussir le test à l’Atletico et y rester un an. Et une saison plus tard, il réussissait un nouveau test à Palmeiras où il trouvait aussi son surnom :  » C’est une trouvaille d’un coach qui trouvait la ressemblance frappante avec le Nigérian du même nom ( il rit).  »

Avril 2008 : transfert en mauve

En mission de prospection en Am-Sud, le recruteur mauve Werner Deraeve est avisé par Pawell, l’£il du Sporting au Brésil, qu’un joueur paulista vaut le déplacement. Et il découvre Kanu lors d’un match de jeunes comptant pour la Copa Sao Paulo. Il joue alors, en prêt, avec Barueri. Mais l’émissaire anderlechtois n’est pas totalement charmé et le dossier reste sans suite. Deux ans plus tard, en janvier 2008, Deraeve croise une nouvelle fois la route du joueur dans le cadre du championnat paulista, la compétition de l’Etat de Sao Paulo qui occupe les clubs de janvier à avril. Kanu a réintégré l’Atletico Juventus et fait bonne impression. La piste est réactivée et, six mois plus tard, son passage au Parc Astrid est entériné.

 » Il y a deux types de joueurs brésiliens « , souligne Deraeve.  » D’une part, ceux d’origine africaine qui jouent principalement dans le nord du pays, à Salvador de Bahia, Recife, Fortaleza ou encore Sao Luis, d’où était notamment originaire Luis Oliveira, et ceux d’origine européenne, le plus souvent portugaise, qui militent essentiellement au sud-est, à Curitiba ou Porto Alegre. Ces derniers sont hors-prix pour nous à l’inverse des Argentins et il faut s’orienter vers le nord brésilien pour réaliser une affaire intéressante. Et Kanu, pour qui Anderlecht a payé moins d’un million d’euros en est une. Nous avons eu la main heureuse car après une première mission de repérage où le garçon ne m’avait pas emballé, il était parti à Groningue en vue d’un essai mais le club néerlandais avait besoin d’une valeur sûre et non d’une promesse. Ce fut tout profit pour nous car quand je l’ai revu à l’£uvre, ce n’était plus le même joueur. Avec Barueri, il manquait de repères sur le terrain tandis qu’au côté de ses coéquipiers paulistes, il était dans son élément. Opérant comme soutien d’attaque, il n’en finissait pas de distribuer les bons ballons. Solide dans les duels et excellent dans le passing, il était habile de la tête aussi. Je me suis fait la réflexion qu’il pouvait être un élément d’avenir pour nous et le club l’a acquis dès le mois d’avril 2008. Ce qu’on ne pouvait pas prévoir à ce moment-là, c’est que vu l’absence de Nicolas Frutos, blessé, il allait devoir opérer un cran plus haut, au côté d’un autre nouveau, Mati Suarez. Deux gars de 20 ans pour porter l’attaque face à BATE Borisov, c’était pour le moins périlleux. L’Argentin a été conservé et Kanu, blessé au genou, a été prêté au Cercle Bruges quelques mois plus tard, dans le cadre du transfert de Tom De Sutter.  »

Janvier 2009 : 6 mois au Cercle

Prêté l’espace de 6 mois au cercle, Kanu ne défraie pas la chronique. Utilisé à 13 reprises, il ne parvient pas à inscrire un seul but. En revanche, il se distingue régulièrement par des retards à l’entraînement, quand il ne brosse carrément pas la séance. Il est plus assidu aux soirées bruxelloises, qu’il fréquente avec ses copains. Malgré la mise à disposition d’un appartement à Bruges, il préfère rallier la capitale, même quand deux entraînements journaliers sont au programme. Au bout d’une demi-année, le Cercle n’insiste d’ailleurs pas pour prolonger l’expérience et le renvoie à l’expéditeur.

 » Vu son jeune âge et son manque d’expérience, il n’était pas prêt pour prendre le relais de De Sutter « , précise Patrick Rotsaert, le manager des Flandriens.  » Un petit but l’aurait sans doute libéré, mais il s’est fait attendre. Et il n’a pas le profil d’un finisseur. La preuve : au Sporting, il n’a pas encore fait trembler souvent les filets non plus. C’est davantage un passeur qu’un goal-getter.  »

 » Au départ, il a mal encaissé de passer dans nos rangs « , observe Oleg Iachtchouk.  » Comme il descendait de niveau, il s’est permis quelques écarts. L’entraîneur, Glen De Boeck, et Anderlecht l’ont recadré à ce moment-là et il est reparti du bon pied. Chez nous, il s’est distingué comme un joueur d’action essentiellement. Il n’avait pas le sens du but. C’est là que se situe la différence entre Reynaldo, l’autre Brésilien que le Sporting nous a prêtés depuis le début de l’année. Ce sont tous les deux des éléments offensifs mais Reynaldo a cette faculté de conclure que l’autre n’a pas, ou dans une moindre mesure. Pour avoir passé une dizaine d’années à Anderlecht, je crois tout de même qu’ils ont tous deux un avenir là-bas, à condition d’y bénéficier d’un coup de pouce. En effet, réussir au Parc Astrid reste quelque chose de spécial.  »

Novembre 2010 : lancer le Brésil au Sporting

En raison de sa polyvalence et des indisponibilités, Kanu bénéficie aujourd’hui de plus de temps de jeu. Il alterne les hauts et les bas. Parfois, au cours d’une seule et même rencontre, comme ce fut le cas à Gand récemment. Ou encore d’un match à l’autre. Méconnaissable face à l’US Centre en Coupe, il était inspiré contre Genk ou le Club Bruges par exemple. Auteur d’une talonnade géniale pour Roland Juhasz sur le deuxième but anderlechtois au Partizan Belgrade, on l’a vu en d’autres occasions s’emmêler les pinceaux. Alors, quel avenir pour lui ?

 » La régularité n’est pas mon fort « , reconnaît-il.  » J’y travaille. Je crois que j’y remédierai le jour où je me serai stabilisé à une place dans l’équipe. Jusqu’à présent, j’ai beaucoup bougé et ce n’est pas l’idéal pour trouver ses marques. Je sais que l’entraîneur a l’embarras du choix aux avant-postes car nous sommes pour ainsi dire tous interchangeables. A mon sens, je franchirai un cap dès l’instant où je saurai à quoi m’en tenir une fois pour toutes. Mon ambition, en tout cas, est de réussir au Sporting. Et, si possible, comme numéro 10. Peu de joueurs brésiliens ont eu cette satisfaction ici. A part Luis Oliveira, tous ont échoué. Moi, je veux servir d’exemple aux autres. J’ai à c£ur qu’après moi, mes compatriotes Renan Boufleur, Fernando Canesin et Reynaldo percent ici également. Il y a eu une mode argentine très prononcée avec des gars comme Biglia, Suarez, PierBarrios et Pablo Chavarria. Tous se sont affirmés au départ d’un modèle qui était Nicolas Frutos. Pour mes potes brésiliens, j’aimerais être cette locomotive-là aussi. « .

PAR BRUNO GOVERS

 » J’ai fait des petits boulots et la manche pour arriver à Sao Paulo et y passer un test. « 

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