Sous le signe du TAUREAU

Entre le banc et le flanc, Abdoulaye Diaby trouvait parfois le temps long en D2. Cette année, parmi l’élite, il s’éclate. Meilleur buteur du championnat, il se rendra même à la CAN dans deux mois. Classe.

À un peu plus de 15 kilomètres de Lille et à une petite trentaine de Mouscron, il y a le domaine de Luchin. Coincé entre deux secteurs pavés de Paris-Roubaix, le centre de formation lillois accueille l’équipe première mouscronnoise plusieurs fois par semaine. Ce jour-là, le centre est désert ou presque. La première lilloise est en city-trip glamour à Krasnodar et il n’y a que les hommes de Rachid Chihab pour profiter du gigantisme des installations. Si grand qu’on s’y perdrait. On aurait presque le temps en fait. Parce que, quand Abdoulaye Diaby utilise sa vitesse, c’est plus souvent pour éliminer ses adversaires que pour sortir le premier des vestiaires. L’avantage, c’est que quand on doit le retrouver à la sortie de sa douche, Abdoulaye a tout le temps de s’attarder en long et en large sur un parcours qui l’a mené de la Ligue 2 au championnat de Belgique. Abdoulaye Diaby est, aujourd’hui, bien plus que le meilleur buteur de notre championnat, c’est un rescapé des centres de formation à la française. Et c’est déjà énorme.

Il vient d’où l’Abdoulaye Diaby d’avant Sedan ?

AbdoulayeDiaby : J’ai grandi à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, dans un quartier plutôt calme, ça allait. Bon, parfois, comme dans tous les quartiers, il y a des petites frictions, mais beaucoup de personnes m’aimaient bien, parce que ma famille était assez respectée. C’est comme ça souvent dans les quartiers, si tout le monde est correct avec tout le monde, on vous respecte. Sinon, j’étais un jeune comme les autres. Avec le foot, j’ai appris à me canaliser, parce que parfois je démarrais vite. Comme sur le terrain en fait.

C’est à quel âge que t’as réalisé que le foot pourrait devenir ton gagne-pain ?

Vers l’âge de 14 ans. À l’époque, je jouais à l’US Nanterre et je me suis rendu compte que quand je m’entraînais sérieusement, je faisais des bonnes choses et que quand je râlais, j’étais directement moins bon. J’ai réalisé que si j’étais sérieux tout le temps, je deviendrais peut-être un vrai bon joueur. J’ai eu un petit déclic qui me permet d’enchaîner sur une très bonne saison où je marque 27 buts en DHR (Division d’Honneur Régionale, ndlr). C’est après ça que j’ai signé à Sedan. Et même là-bas, j’ai vu qu’en travaillant bien, j’avais le niveau. Je n’étais pas le meilleur, mais je me fondais dans le groupe. À partir de là, j’ai compris que je devrais toujours travailler, mais que ça pouvait passer. Et, en effet, quelque temps après, je signais mon premier contrat pro.

 » Je n’ai jamais été un flambeur  »

T’as flambé avec ton premier contrat ? Voiture, maison, sorties ? On dit toujours que c’est une période charnière pour un jeune qui débute.

Une baraque ? Vous savez, ce n’était jamais que la Ligue 2. C’est des salaires à 5000 euros, ce n’est pas fou. En tout cas, il faut savoir le relativiser, ce n’est pas une fin en soi. Vous n’avez pas un contrat comme si vous étiez au PSG ou ailleurs. Et puis, je n’ai jamais été un flambeur. Il m’en faut plus pour me faire tourner la tête. J’ai été très bien éduqué à ce niveau-là. Pour moi l’argent n’a jamais été une fixation. En fait, le premier salaire, ça fait surtout du bien. Parce qu’on sait qu’il n’y en a pas beaucoup qui sortent des centres de formation. De ma génération, il n’y a que Kévin (Boli) et moi. C’est rassurant. C’est un premier palier qui te donne la confiance pour la suite.

La suite, parlons-en. Comment tu vois ton avenir avec toutes ces rumeurs de reprises autour du club ?

Ce qui est sûr, c’est que moi je suis sous contrat avec Lille, donc indépendamment des rumeurs, c’est le LOSC qui a mon avenir en main. Après, dans le football, on ne sait jamais ce qui peut se passer. Mais moi, je ne me préoccupe pas trop de ce qui se passe autour du club. C’est déjà difficile de se concentrer sur son football, donc après il se passera ce qu’il se passera. Ce qui est sûr, c’est que moi j’ai envie de continuer à performer pour aider l’équipe. Ce qui me permettra aussi de me montrer individuellement, c’est logique.

Et en dehors de ton cas personnel, tu sens que c’est un sujet qui préoccupe le groupe ?

Pas tellement. Et puis, pour l’instant, il n’y a rien d’officiel (ndlr, l’interview a eu lieu mercredi dernier), même si je pense que cela ne devrait pas tarder. Pour l’instant, la priorité va au terrain, mais c’est évident que ça doit trotter dans la tête de certains joueurs, ce qui est normal. Parce qu’on ne sait jamais comment cela peut se passer quand il y a un repreneur. Est-ce qu’il va amener des joueurs ? Est-ce qu’on va rester à Luchin jusqu’à la fin de saison ? C’est un peu ça les deux questions. Parce que jouer en Belgique et s’entraîner à Luchin, c’est un sacré luxe. Mais bon, s’il faut s’adapter, on s’adaptera. Il ne faut pas qu’on se prenne trop la tête.

 » Je me remets chaque jour en question  »

Ça fait quoi d’être le meilleur buteur du championnat ?

Je me remets chaque jour en question, mais ça, typiquement, ça me donne envie de travailler encore plus. Le plus dur quand on est bien, c’est d’y rester. Je me dis qu’il ne faut pas que je me relâche, parce que cela peut aller très vite. Être meilleur buteur, ce serait super, mais à la base ce n’était pas un objectif. Bon, on ne va pas se mentir, logiquement je me mets de plus en plus à y penser, mais il reste encore du chemin à faire.

Quand on regarde la période creuse traversée par Mouscron ces dernières semaines, on constate qu’elle correspond à votre stérilité devant le but. 1 petit but en 6 matches et 1 point sur 18. Par contre, depuis que vous marquez à nouveau, Mouscron revit. Il y a de quoi prendre le melon, franchement.

Ça se vérifie peut-être mathématiquement mais, honnêtement, je ne pense pas comme ça. Ce qui est sûr, c’est que j’apporte beaucoup à l’équipe et que l’équipe m’apporte beaucoup. Oui, on a eu un creux, mais on avait tellement démarré fort que c’était sans doute un passage obligé pour une équipe qui manque encore d’expérience. Je pense que ça part d’un manque de maturité.

Vous ne vous êtes pas vus trop beaux à un moment ?

Je ne pense pas qu’on se soit vus trop beaux, parce qu’on a toujours dit qu’on visait le maintien et c’est toujours le cas aujourd’hui. On s’est retrouvés deuxième avant la première trêve, à ce moment-là, tout le monde nous a dit qu’on est les meilleurs, les plus beaux. C’est comme moi maintenant avec mon statut de meilleur buteur. Tout le monde va me dire que je suis le meilleur, alors que c’est faux.

 » Le Mali, c’est le choix du coeur  »

Le 11 octobre dernier, vous avez fêté votre première sélection et votre premier but avec le Mali contre l’Éthiopie. Vous avez vécu ça comment ?

Première sélection, première titularisation, premier but, tout qui se passe bien avec Mouscron, je ne pouvais pas rêver mieux. C’était quelque chose de très fort. J’étais super content. La première sélection est toujours décisive et, pour moi, tout s’est bien passé. En plus, j’ai marqué de la tête. Je ne marque que très peu de la tête normalement et là je m’impose au milieu d’un paquet de joueurs. C’est peut-être le destin, c’est sûr même. J’étais destiné à marquer de la tête ce jour-là. Et la semaine d’après, j’en mets un autre de la tête contre Lokeren. C’est fou.

C’était la première fois que tu te rendais au Mali ?

Non, je m’y étais déjà rendu, il y a trois, quatre ans avec mes frères. J’étais parti une semaine pendant les vacances de Noël voir la famille. Mais vous savez, il y a beaucoup d’  » européens  » dans l’équipe, ce qui facilite l’adaptation.

Dans la presse malienne, vous avez dit que le Mali, c’était le choix du coeur. En même temps, si l’équipe de France était venue vers vous, vous n’auriez pas vraiment pu refuser, si ?

J’aurais pu, oui. J’aurais pu y aller aussi. Pendant longtemps, j’ai réfléchi aux deux. J’ai imaginé les différentes possibilités. Je savais qu’à un moment je devrais prendre une décision. Il y a deux ans, c’était encore un peu tôt quand le Mali est venu pour la première fois. En octobre, par contre j’étais prêt. J’ai opté pour le Mali pour différentes raisons, certaines que je préfère garder pour moi, mais le Mali, ça reste le choix du coeur.

Vous n’avez jamais eu peur de voir la CAN 2015 annulée ou reportée en raison du virus Ebola ?

Peur, non. J’aurais été déçu, ça oui, mais dans tous les cas c’est peut-être un mal pour un bien. Il y a quand même ce virus qui circule, et il faut le prendre en compte. La santé, c’est important.

Vous en parlez entre joueurs du virus ?

On en rigole surtout. Au Mali, on reçoit des consignes comme quoi on ne peut plus trop se serrer la main. Et parfois pour rigoler, on se charrie entre nous, mais ça reste bon enfant. Il faut faire attention, mais on essaie d’éviter d’en faire une psychose.

Sedan hier, Mouscron aujourd’hui, peut-être la Premier League demain, vous n’avez jamais envie de voir un peu de soleil ?

Je ne suis pas là pour prendre le soleil, je suis là pour jouer et prendre du plaisir sur le terrain. Après, c’est sûr que je préfère jouer quand il fait beau, mais il faut s’adapter. Et si je prends du plaisir en Belgique, il n’y a pas de raisons que je ne puisse pas en prendre un jour en Premier League.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Au Mali, on reçoit des consignes comme quoi on ne peut plus trop se serrer la main.  »

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