Soulier d’Or très secret

L’attaquant de Mouscron espère participer à la Coupe du Monde 2010 avec le Bahreïn.

L’Excelsior Mouscron n’a pas transféré énormément de joueurs durant l’été, mais il a fait dans l’exotisme : JayceeJohnOkwunwanne est né au Nigéria, mais est devenu international au… Bahreïn ! Au départ, on ne savait pas trop comment il fallait l’appeler : la plupart des dépêches renseignaient le nom d’ Akwani.  » C’est au Bahreïn que l’on a déformé mon nom de cette manière « , explique-t-il.  » Mais, sur mon passeport, il a toujours été écrit Okwunwanne. C’est mon nom de famille. Jaycee est mon prénom, John est mon deuxième prénom « . Au dos de son maillot, c’est Jaycee qui figure : plus court et plus simple.

Notre homme est né à Lagos (Nigéria) et commença à jouer au football au Royal Striker, un club peu connu à l’étranger. A 18 ans, il s’envole pour le Bahreïn et signe au club d’Al Ahli, l’un des grands clubs de ce petit pays :  » C’était une opportunité, tout simplement. Un moyen de faire vivre ma famille. J’ai trois frères et trois s£urs, et je me situe au milieu dans l’ordre chronologique. Lors de ma deuxième saison à Al Ahli, j’ai inscrit 17 buts en autant de rencontres. Cela m’a valu un beau transfert à Muharraq, le principal club du pays. La première saison, j’ai dû attendre d’obtenir mon passeport pour évoluer en qualité de national dans l’équipe. J’ai donc loupé certains matches. Mais, lors de ma dernière saison, j’ai inscrit 25 buts en 17 matches. Cela m’a valu le Soulier d’Or attribué au meilleur buteur du championnat. Il est vraiment très beau, je l’ai vu sur internet. On doit me le remettre lorsque je retournerai au Bahreïn, pour jouer avec l’équipe nationale. J’en salive à l’avance. Le Soulier d’Or, cela existe en Belgique aussi, n’est-ce pas ? »

L’Excelsior charmé par ses plus beaux gestes sur DVD

On lui explique alors que ce trophée n’est pas destiné au meilleur buteur, mais au lauréat d’un référendum organisé auprès de journalistes, d’anciens coaches et joueurs, et de personnalités. Avant de lui demander ce qui l’a poussé à opter pour la nationalité du Bahreïn.  » Encore une fois, c’était une opportunité qui s’est présentée à moi. Comme j’étais l’un des principaux animateurs du championnat local, on m’a demandé si cela m’intéressait de jouer pour l’équipe nationale. J’ai répondu : – Pourquoi pas ? Je rêve de disputer une Coupe du Monde, et je savais que mes chances d’être appelé par le Nigéria étaient minces : il faut jouer dans un grand club d’Angleterre ou d’Italie pour cela. J’ai donc accepté. Ma naturalisation a été très rapide. Il y a trois autres naturalisés dans l’équipe : un ami d’origine nigériane, comme moi ; un joueur d’origine marocaine ; et un autre d’origine tchadienne. Tous des Africains, donc…  »

Jouer une Coupe du Monde avec le Bahreïn, est-ce bien réaliste ? Vu d’ici, cela peut paraître un leurre, mais à y regarder de plus près, ce n’est peut-être pas aussi utopique que cela : lors de qualifications pour 2006, le Bahreïn avait trébuché sur la dernière marche, éliminé par Trinidad & Tobago lors du barrage après avoir réussi un partage 1-1 dans les Caraïbes. L’équipe, alors dirigée par un certain LukaPeruzovic, s’était inclinée 0-1 à domicile. Cette fois, le Bahreïn – désormais entraîné par le Tchèque MilanMacala – a déjà survécu au premier tour éliminatoire et entame, ce samedi 6 septembre, le tour qualificatif de la zone asiatique face au Japon. Le 10 septembre, il jouera au Qatar. L’Ouzbékistan et l’Australie figurent également dans le groupe, dont les deux premiers sont qualifiés d’office alors que le troisième aura droit à un repêchage sous la forme d’un double barrage.  » Moi, j’y crois « , clame Jaycee.  » On a une bonne équipe.  »

Cela promet en tout cas quelques fameux déplacements. EnzoScifo, qui avait déjà dû le laisser souffler lors du match contre Malines parce qu’il était revenu un peu fatigué d’un match amical contre le Burkina Faso, risque d’encore être confronté à la même situation.

Comment Mouscron a-t-il découvert Jaycee ?  » Après quatre années au Bahreïn, j’avais besoin de relever un nouveau challenge « , explique-t-il.  » Mon manager a alors envoyé un DVD à différents clubs, reprenant mes meilleurs actions. L’Excelsior a, semble-t-il, été charmé et pour se convaincre de mes qualités, a chargé un émissaire de venir me visionner lors d’un match au Liban. Il faut croire que je me suis montré convaincant. « 

 » Je connaissais Anderlecht et le Standard aussi bien que Manchester « 

Et, de son côté, que savait-il de la Belgique ?  » Plus que vous ne pensez « , rétorque-t-il.  » Je suis fou de football et je me renseigne sur tous les championnats européens par le biais d’internet. Je connaissais Anderlecht et le Standard quasiment aussi bien que le Bayern Munich, Manchester United ou le Real Madrid. Certes, j’avoue que j’avais moins de renseignements sur Mouscron, mais ce que j’ai découvert me plaît. Je ne ressens aucune pression, c’est bien pour mon développement. Les gens sont sympas et je pense que je vais beaucoup progresser. C’est exactement le genre de challenge que je recherchais. « 

Si on lui a rapidement découvert d’évidentes qualités techniques et un sens du but assez prononcé, Jaycee semblait en retard sur le plan physique.  » C’est logique « , dit-il.  » Au Bahreïn, je m’entraînais uniquement le soir, et sur un rythme beaucoup plus lent. Je n’avais encore jamais été soumis à un rythme de deux séances d’entraînement quotidiennes. Ce fut une préparation très éprouvante pour moi. Mais je suis sûr que, lorsque je l’aurai digérée, j’en ressortirai plus fort. « 

A-t-il été surpris par certaines choses en Belgique ?  » Les… taxes ! « , répond-il.  » Au Bahreïn, il n’y en avait pas. Tous les articles se vendent libres de taxes. Alors, vous pensez qu’ici, cela fait une fameuse différence. Au niveau du championnat de Belgique ? Cela va plus vite qu’au Bahreïn, et les contacts sont plus rugueux, mais ce n’est pas une surprise : je m’y attendais. « 

S’est-il fixé un objectif en termes de buts ?  » Je ne rentre pas dans ce jeu-là « , coupe-t-il directement.  » Si je réponds 50 buts, vous me reprendrez de volée aussi longtemps que je n’aurai pas atteint ce total. Je suis très attiré par le but, j’essaierai d’en inscrire le plus possible, mais sans me fixer d’objectif chiffré. D’ailleurs, l’important n’est pas le nom du buteur, mais la victoire de l’équipe. « 

Considère-t-il Mouscron comme un tremplin ?  » Là encore, joker. J’ai un manager anglais, et il est clair que la Premier League me fait rêver, mais on ne peut pas passer comme cela du Bahreïn en Angleterre. Il faut répondre à certains critères, dont un pourcentage de matches joués en équipe nationale. Je ne me suis pas fixé de plan de carrière. Dieu décidera de mon destin. Je suis très croyant, je prie tous les jours. Oui, je suis catholique. Cela n’a posé aucun problème au Bahreïn, qui est certes un pays musulman, mais très tolérant. A Mouscron, il y a plusieurs églises catholiques. Je m’y rends chaque matin, à 6 heures, avant l’entraînement. Dieu me protège.  »

 » Mon c£ur bat au rythme de mon… maillot « 

Son c£ur vibre-t-il pour le Bahreïn ?  » Actuellement, il vibre pour Mouscron. Lorsque j’enfile le maillot de mon équipe nationale, il vibre pour le Bahreïn. Et pour quelqu’un d’autre ? Pour ma famille, oui. Elle me manque énormément, j’attends le mois de décembre avec impatience, pour que je puisse la revoir. En attendant, je subviens à ses besoins. Je vis seul à Mouscron, je n’ai pas de petite amie. Et les contacts sont difficiles, car je ne parle pas le français. Du moins, pas encore, car je vous donne rendez-vous dans trois mois. Je sais déjà dire quelques mots : – Bonjour, merci… Je compte étoffer progressivement mon vocabulaire. Si je parle arabe ? Hélas, non. Malgré quatre années au Bahreïn, cette langue m’est apparue beaucoup trop difficile.  »

Jaycee est soulagé au terme de l’interview. Il n’aime pas trop cela.  » Je préfère parler avec mes pieds « , admet-il.  » Libre à vous de me juger en fonction de mes prestations sur le terrain. Au Bahreïn, j’ai parfois eu de mauvaises surprises. D’une petite déclaration anodine, on en a fait un gros titre racoleur. Depuis lors, je n’ai plus adressé la parole à la presse. Récemment, un journaliste du Bahreïn a demandé à venir m’interviewer à Mouscron. J’ai répondu que c’était inutile, qu’il valait mieux pour lui économiser un billet d’avion. J’ai sans doute déçu certains de vos confrères, lorsque j’ai refusé de m’arrêter dans la zone mixte après le premier match à Tubize. Mais comme cela, à chaud, dans le brouhaha ambiant au milieu de nombreuses personnes que je ne connaissais pas, cela ne me disait rien qui vaille. Ici, j’admets que j’ai accepté un peu à contrec£ur, mais voilà, c’est fait : il n’y a pas de problème. « 

par daniel devos – photos: reporters/ gouverneur

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