Souffrances lucides

Le défenseur des Rouches ne joue plus mais parvient merveilleusement à contrôler ses anciennes pulsions.

Quarante matches sous le maillot du Standard, dont 35 comme titulaire. Ce sont les statistiques de Frédéric Dupré depuis son arrivée à Sclessin. Un bulletin qui, s’il avait été établi à l’issue de la saison dernière, aurait été superbe. A l’image de la saison d’un gaillard qui, dans un premier temps, s’était imposé à l’arrière droit, une place jadis occupée par Eric Deflandre, avant de rendre un fier service à son équipe sur la gauche. Cette saison, Dupré ne décolle pas du banc de touche : une minute en championnat et deux matches complets de Coupe d’Europe seulement, face aux Luxembourgeois de Kaërjéng, lorsque Michel Preud’homme fit tourner son noyau. Alors, que se passe-t-il ?

 » Il se passe tout simplement que je n’ai pas fait une bonne préparation, que l’équipe tourne bien et que Marcos, qui m’a remplacé, est bon « , avance Dupré.  » Avec mon caractère d’il y a dix ans, face à une telle situation, j’aurais sans doute tout cassé dans le vestiaire, je me serais bagarré avec l’entraîneur. Parce que je ne pensais qu’à moi. Maintenant, je comprends parfaitement le choix de Preud’homme. Je le trouve même logique. Admettons, par exemple, qu’il veuille me relancer parce que le Standard va affronter une série de matches difficiles : que dirait-il au gars qu’il doit enlever pour me faire une place ? Et si je joue mal, parce que je suis à court de compétition, il faudra qu’il me remplace à nouveau par un joueur qui, entre-temps, aura peut-être perdu confiance. La seule chose que j’ai à faire, c’est me taire et travailler davantage pour être prêt si, un jour, je dois remplacer quelqu’un. J’ai dit la même chose à Olivier Renard après l’incident de Mons…  »

Frédéric ne cache pas la vérité. Même pas concernant ce qui risque d’arriver dans les semaines à venir.  » Actuellement, je ne peux pas jurer que je suis un bon remplaçant car, hormis quand j’avais 18 ans, à La Gantoise, je n’ai jamais été réserviste. Et à ce moment-là, j’étais déjà tout content d’être dans les 15. L’an dernier, j’ai aussi fait les trois premiers matches sur le banc. Mais là encore, j’arrivais dans un plus grand club, il y avait Deflandre devant moi, j’ai dû réapprendre à m’entraîner en journée… Cette fois, j’ai vraiment dû déclencher un processus de compréhension. Car j’ai rapidement compris que j’étais sur le banc pour longtemps. Je ne vous cache pas que c’est dur. A plusieurs niveaux. D’abord, il faut arriver à rester concentré. Et puis, il y a le manque de rythme, une situation qui s’aggrave de jour en jour. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que j’aurais peur de devoir monter au jeu à la 60e minute mais j’espère que, si cela arrive un jour, le Standard aura le ballon et jouera haut. J’ai bien vu lorsque nous avons affronté Käerjéng en Coupe d’Europe que j’étais un peu lourd. Surtout lors du premier match. Au retour, alors que l’adversaire ne nous posait aucun problème sur le plan défensif, j’ai tout de même tenté d’amener du danger sur le flanc. Ce qui n’était pas si évident vu qu’il manquait plusieurs titulaires. La plupart des joueurs qui étaient sur le terrain avec moi éprouvaient donc le même problème : un manque de rythme. Ce soir-là, je n’étais pas mécontent de ma prestation « .

Reste que, sur base de ces deux matches, la plupart des observateurs ont conclu que le Standard n’avait pas de banc. Et après le nul à Mons, le scout Stan Vanden Buys lui-même a affirmé que le noyau liégeois était trop court. L’arrivée de Marco Ingrao ne constitue-t-elle pas une motion de défiance à l’égard des défenseurs présents et, singulièrement, de Dupré, qui peut aussi occuper le poste d’arrière gauche ?

 » Je ne sais pas dans quel contexte Vanden Buys a prétendu cela « , explique Dupré.  » Mais s’il voulait dire que, dans l’ensemble, le noyau du Standard était trop petit pour un candidat au titre, je suis d’accord avec lui, même si nous n’avons plus la Coupe d’Europe. Nous avons des problèmes au milieu : des joueurs comme Salim Toama et Marouane Fellaini sont très difficilement remplaçables. Je trouve aussi tout à fait normal que le Standard ait acquis un véritable arrière gauche comme Ingrao car, d’un point de vue défensif, avec les opérations de Thomas Phibel et de Landry Mulemo, nous sommes un peu courts « .

Le prix du bonheur avec Géraldine

Et puis il y a autre chose, de plus sensible :  » A un mois de la fin du dernier championnat, ma copine et moi avons décidé de nous séparer. Géraldine est quelqu’un de très actif. Elle avait abandonné son travail dans une mutualité à Gand pour me suivre à Liège mais le fait d’être toute la journée à la maison la dérangeait. Et pour tout dire, me mettait mal à l’aise aussi. Nos frustrations respectives dégénéraient de plus en plus souvent en frictions, ce n’était plus tenable. Elle est rentrée à Gand. Au début, j’étais comme libéré et j’ai fait une très bonne fin de saison. Après, je ne suis pas parti en vacances parce que c’était le meilleur moment pour être plus souvent près de notre fils, Gano. Mais à la reprise des entraînements, il a fallu rentrer. Et là, j’ai craqué. Je ne voyais plus le gamin qu’une ou deux fois par semaine. Géraldine me manquait de plus en plus aussi. J’ai eu beaucoup de femmes dans ma vie mais jamais une qui ait su me tenir comme elle le fait depuis cinq ans et quatre mois. Cette période correspond d’ailleurs avec mon grand retour dans le monde du football. Sans elle, je serais devenu un criminel. Heureusement, à la fin de la période de préparation, nous avons décidé de tenter de vivre à nouveau ensemble. Et cela se passe bien. Le week-end dernier, mes parents sont venus chez moi, à Beaufays, et ont tout emporté à Gand. C’est là que nous vivrons désormais, afin que Géraldine puisse travailler. C’est une difficulté de plus pour moi : je vais devoir partir chaque jour à 6 heures du matin mais c’est le prix du bonheur. De toute façon, actuellement, je fais déjà pas mal d’allers-retours entre Liège et Gand. « .

Le problème majeur a connu son happy end. Reste, maintenant, à Frédéric Dupré à rattraper le train en marche. On analyse, avec lui, les embûches sur le chemin du retour.

Son analyse

On affirme, ainsi, que Dupré, lorsqu’il vivait seul, se nourrissait mal et avait pris du poids.  » C’est faux, La base de ma nourriture, ce sont les pâtes et le riz. C’est quelque chose que je sais cuisiner seul. J’ai effectivement pris deux kilos ces derniers temps mais c’est du muscle et l’explication est toute simple : quand on joue, on peut jeter toute son énergie dans un match. Quand on est sur le banc, on accumule les frustrations. Il faut que je dégage tout cela car le football, c’est 70 % dans la tête et 30 % dans les jambes. Je ne peux quand même pas me mettre à tackler comme un fou à l’entraînement et casser la jambe de Milan Jovanovic : on a besoin de lui le week-end. Je ne joue pas non plus en Réserve car ce championnat est désormais réservé aux jeunes. De toute façon, qu’aurais-je à y gagner ? Je préfère les petits matches en semaine contre des équipes de D2 ou D3 mais il n’y en a eu que deux ou trois jusqu’ici. Alors, j’ai trouvé une échappatoire dans la musculation, je passe mes nerfs dans les poids et je me sens mieux « .

Le départ d’Eric Deflandre ne l’a-t-il pas rendu trop confiant, trop sûr de sa place ? Il secoue la tête :  » J’ai entendu dire cela à plusieurs reprises mais ceux qui l’affirment me connaissent mal. Je me donne toujours à fond. C’est vrai que, sur base de ce que j’avais vu l’an dernier, je ne m’attendais pas à un Marcos aussi fort. Mais je n’ai pas sous-estimé les problèmes. Simplement, je n’étais pas concentré, à cause des soucis évoqués plus haut « .

Ce qui lui a finalement joué le plus vilain tour, ce sont les départs conjugués de Sérgio Conceição et Milan Rapaic. Dans leur dos, Dupré était devenu quasi indispensable, parce qu’il bouchait les trous que ces divas créaient sans se soucier du risque de contre-attaque et sans avoir, toujours, la volonté de venir donner un coup de main.

 » Je dois dire qu’il est plus facile d’être défenseur au Standard aujourd’hui que la saison dernière « , fait-il remarquer.  » Parce que tant Toama qu’ Axel Witsel assument leur mission défensive. L’an dernier, je me suis souvent retrouvé à deux contre un. Surtout derrière Rapaic, qui n’avait pas les capacités physiques suffisantes pour faire une action et pour défendre « .

Maintenant que le Portugais et le Croate sont partis, Dupré est redevenu, aux yeux de beaucoup, un joueur exclusivement défensif, rude sur l’homme mais apportant trop peu à la relance pour un club qui veut jouer le haut du panier. Et c’est cette image qu’il combat avec force.

 » Prenez les statistiques des deux dernières saisons : j’ai inscrit sept buts en deux ans. Quel arrière latéral peut dire cela ? Olivier Deschacht ? Hans Cornelis ? Je ne peux pas compter le nombre de fois où j’ai dédoublé Sérgio la saison dernière alors qu’il ne me donnait pas le ballon. Et c’est normal car sa qualité de centre était parfaite. Cependant, on n’a pas vu les espaces que je créais pour lui. C’est ça qui n’est pas facile à accepter. Tout le monde dit que l’ambiance est meilleure sans lui. C’est vrai qu’il était le patron du vestiaire alors que, maintenant, les choix se font davantage en groupe. Mais ce n’est qu’en fin de saison qu’on pourra dire si c’est mieux sans lui. L’an dernier, sans ce 2/12 initial, nous aurions lutté pour le titre jusqu’au bout. Malgré ce départ catastrophique, nous avons terminé troisièmes et joué la finale de la Coupe. Cette saison, le Standard n’a pas encore été mis sous pression. Jusqu’ici, il a mangé tous ses adversaires. Même Bruges, qui était en petite forme lorsqu’il est venu à Sclessin avec un seul attaquant. Et je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que ce n’est pas facile de jouer contre une équipe qui bouche son rectangle, comme Malines. C’est difficile dans les 16 mètres, je l’admets. Mais nous avons du gabarit devant pour faire la différence. Et surtout, énormément d’espaces au milieu et sur les flancs pour faire le jeu. Seulement, il faut transformer les occasions. Nous avons revu les images du match contre Malines : nous avons eu 21 possibilités de marquer et nous ne l’avons fait que deux fois « .

Son avenir

A quelques semaines du mercato d’hiver, la question de l’avenir de Dupré se pose ouvertement. D’autant qu’il sera en fin de contrat l’été prochain. Sur ce sujet aussi, sa position est on ne peut plus claire.  » Tout le monde semble avoir oublié que, l’an dernier, on se posait la question de savoir qui de Cornelis ou moi était le meilleur arrière droit de Belgique. J’étais même toujours présélectionné en équipe nationale et, si j’avais continué à jouer, je serais peut-être dans l’équipe maintenant. En football, le ciel et la terre sont proches l’un de l’autre. J’ai vécu cinq ans au paradis et je suis retombé sur terre depuis six mois mais mon objectif prioritaire reste de rendre service au Standard. Je ne partirai que si on me dit qu’on n’a plus besoin de moi. Sans regret et sans rancune car ce club m’a donné une belle opportunité de jouer haut plus haut niveau belge. Un niveau que j’aurais sans doute atteint si j’avais vécu comme un professionnel depuis mes 18 ans « .

S’il devait quitter Sclessin, il n’aurait sans doute aucune peine à retrouver un employeur. Son manager, Jean-Claude Laguesse, lui a déjà signifié que plusieurs clubs étaient intéressés.  » Des clubs belges car je ne partirais à l’étranger que pour une grosse somme d’argent. Et qui va en mettre beaucoup sur la table pour un réserviste ? », interroge Dupré.

En été, Mouscron avait pris la température auprès de l’agent du joueur. Gil Vandenbroeck avait même appelé Dupré.  » Il m’avait dit que la direction du Standard était d’accord que je parte mais lorsque mon agent à appelé M. D’Onofrio, celui-ci a répondu que je ne devais pas partir. Et il a fixé un prix que Mouscron ne pouvait sans doute pas payer « , explique Dupré.

La Gantoise et Zulte Waregem sont des clubs qui pourraient également s’intéresser à lui. Retourner au Gaverbeek serait-il synonyme de retour à la case départ ?  » Sportivement, ce ne serait sans doute pas un pas en avant mais j’ai aussi besoin de jouer. Après plusieurs saisons fantastiques, Zulte Waregem a un peu reculé au classement. J’ai confiance en Francky Dury et dans la direction de ce club qui travaille à long terme. Après les départs de plusieurs joueurs (moi, Salou Ibrahim, Tony Sergeant, Pieter Merlier, Stefan Leleu et Tjörven De Brul), ils ont simplement commis une petite erreur d’orientation : à un certain moment, ils ont voulu opter pour de jeunes joueurs belges. Or, ceux-ci sont très chers. Le club se dirige à nouveau vers le marché étranger mais il faut lui laisser le temps d’y trouver ses marques « .

par patrice sintzen

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