» Sortir avec moi, c’était se déplacer avec une bombe à retardement « 

La semaine prochaine, la traduction de la biographie de Roy Keane (43 ans) sort de presse. Le milieu de terrain irlandais, qui a joué 12 ans à Manchester United, y raconte son parcours. Sport/Foot Mag a sélectionné pour vous les meilleurs passages.

À propos de Ronaldo

Cristiano Ronaldo est arrivé au début de la saison 2003/04 et je me suis directement bien entendu avec lui. Il avait un côté sympathique et se comportait bien. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est qu’on lui a offert la possibilité de rester une saison de plus en location à Lisbonne, mais qu’il a refusé. Il est directement venu à Manchester. J’ai trouvé qu’il avait pris une bonne décision, courageuse, car il n’avait que 17 ans. Dès les premiers entraînements, ma conviction était faite : ce garçon deviendra l’un des meilleurs footballeurs du monde. Je ne l’ai pas clamé haut et fort, car je voulais qu’il garde la tête sur les épaules.

Il avait l’allure d’un vrai footballeur. Lorsqu’on a du talent, cela se voit, et il en avait. Zinédine Zidane avait aussi l’allure d’un vrai footballeur. La morphologie, le corps, un peu d’arrogance aussi. Mais il dégageait quelque chose de mignon, il avait un air attachant. On oublie que, lors de ses premières apparitions, il a été très critiqué. Il se retrouvait trop vite au sol au moindre tacle, son rendement était insuffisant. Mais, répétons-le : il n’avait que 17 ans. A cet âge-là, je jouais dans les équipes de jeunes de Rockmount. Il était incroyable. Et l’un des plus gros travailleurs de United.

Il était beau gosse et en était conscient. Il était coquet, devant le miroir. C’était un grand garçon, costaud. Je me disais ; prends bien soin de toi. Lorsque d’autres garçons passaient leur temps devant le miroir, je pensais : pauvres idiots. Mais Ronaldo avait un air innocent, futile. Je ne pense pas qu’il se préoccupait davantage du miroir que de son jeu. J’ai toujours eu l’impression que son amour, c’était le football.

Aujourd’hui, on le critique toujours parce qu’il se laisse tomber trop facilement et il a été descendu pour avoir adressé un clin d’oeil à Wayne Rooney lorsque celui-ci fut exclu lors du match Angleterre-Portugal, pendant la Coupe du Monde 2006. Mais cela fait partie du football. Il se comporte comme les joueurs étrangers : forcer un coup franc, provoquer l’exclusion d’un adversaire. Lorsqu’ils sont taclés aux abords de la surface de réparation, ils se retrouvent au sol.

Tout le monde raffole des histoires de Gazza, de ces tragédies, mais c’est formidable d’assister à la percée d’un footballeur doué. Ronaldo a été très critiqué, mais selon moi, ses détracteurs se sont fatigués et ont fini par admettre qu’il méritait du crédit. On peut regretter qu’il soit un contemporain de Lionel Messi, mais d’un autre côté, l’Argentin lui a donné un but : devenir meilleur que lui.

Les jeunes joueurs apportent une autre énergie, ils n’ont peur de rien. Ils essaient des choses. Au début de la saison 2003/04, j’avais déjà 32 ans, mis ce n’était pas comme si j’en avais 38. Je n’avais pas l’impression d’être poussé vers la sortie. Je ne craignais rien, je ne me sentais pas menacé. Je me disais simplement : c’est la loi du sport. A 32 ans, on arrive au bord du gouffre. Un psychologue du sport, qui est passé un jour par United, a expliqué que la descente aux enfers peut se faire progresser ou brutalement : boum, on tombe de la falaise. On espère simplement que la chute sera progressive.

A United, ma fin de carrière s’est passée en douceur. Je jouais encore. Et je me débrouillais bien, je ne me considérais pas encore comme fini. Mais je ne dominais plus les matches comme autrefois.

À propos des capitaines

J’ai toujours été un peu blasé sur le sujet. J’ai souvent dit que le rôle d’un capitaine se limitait à jouer le toss. Je ne voulais pas en faire plus. Mais, avec l’âge, j’ai pris conscience que son rôle était bien plus étendu (voir encadré). Un capitaine est non seulement important, mais indispensable. Et il ne s’agit pas uniquement d’une tradition anglaise. Regardez les grands capitaines en Italie et en Espagne : Paolo Maldini, Dino Zoff, JavierZanetti, Raúl, Carles Puyol. Ce sont des leaders qui inspirent les autres.

Bryan Robson, Steve Bruce et Eric Cantona furent des capitaines fantastiques avec lesquels j’ai eu l’honneur de jouer. Chacun d’eux a guidé l’équipe à sa manière. Robbo était très exigeant sur le plan physique et se donnait toujours à fond, y compris à l’entraînement. C’était un gars très convivial, qui aimait boire un petit verre. Brucie était très amical et se comportait de manière fantastique avec les familles. Il n’hésitait jamais à vous consacrer du temps. Si l’on avait besoin de cartes d’entrée pour un match, pour la famille ou les amis, on pouvait toujours compter sur lui. Il avait presque une fonction politique. Brucie était très à l’aise dans ce rôle et c’est encore le cas aujourd’hui comme entraîneur. Cantona a apporté sa personnalité à l’équipe, son charisme. Un capitaine ne doit pas avoir une grande gueule. Eric parlait très peu.

Durant mes jeunes années à United, il y avait une cagnotte qui permettait à chacun de recevoir 800 Livres (1100 euros, ndlr) en fin de la saison. C’était la récompense pour le travail effectué pour le journal et les vidéos du club. C’était avant que tout cela ne fut inclus dans les contrats des joueurs. Nous gagnions tous confortablement notre vie, et personne n’attendait vraiment ces 800 Livres.

Un jour, alors que nous étions dans le vestiaire, nous avons décidé de mettre tous les chèques dans une casquette et de les retirer, un par un. Celui dont le nom figurait sur le dernier chèque, pouvait tous les emporter. Pour ne pas se détacher du groupe, tout le monde a déposé son chèque dans la casquette, à l’exception de l’un ou l’autre jeune. Je pense que David Beckham et Gary et Phil Neville faisaient partie du lot. Ils n’ont pas participé. Ils venaient d’arriver et ne pouvaient pas encore se passer de cet argent.

Mais Paul Scholes et Nicky Butt ont déposé leur chèque. Tout le monde était tendu, bien sûr. Moi aussi. Pour moi, ce montant représentait un nombre de chopes considérable que je pourrais acheter. Je pense que mon chèque fut l’avant-dernier à sortir de la casquette, mais le dernier fut celui d’Eric Cantona. Il avait gagné environ 16.000 Livres (22.000 euros, ndlr).

Le lendemain, lorsqu’il est entré, les plaisanteries ont fusé.

 » Eric, sale profiteur. « 

 » L’argent attire l’argent, nom de Dieu.  »

Il a chargé quelqu’un du club d’aller encaisser les chèques. Il a partagé l’argent en deux et l’a donné à Scholes et à Nicky parce que, a-t-il expliqué, ils ont eu les c… pour participer à la loterie alors qu’ils ne pouvaient, en réalité, pas se le permettre. Les deux gamins ont empoché 8.000 chacun, ce qui m’a encore plus énervé. Mais je me suis dit : quel geste ! Personne d’autre ne l’aurait fait.

Lorsque j’ai joué à Nottingham Forest (de 1990 à 1993, ndlr), le capitaine était Stuart Pearce et il s’acquittait de son rôle de façon grandiose. J’aimais sa manière de jouer et de s’entraîner. A l’époque, il était aussi le capitaine de l’équipe nationale anglaise. Si l’on part du principe que le capitaine doit être quelqu’un qui montre l’exemple, j’ai été gâté. Stuart m’a défendu plusieurs fois. Un jour, j’ai rencontré un problème de contrat à Forest et j’ai été assailli de critiques.

Brian Clough (le coach de l’époque, ndlr) avait déclaré que je me comportais de manière intéressée. Il a essayé de me mettre sous pression via les médias, dans l’espoir que je signerais un nouveau contrat. Dans le vestiaire, certains joueurs m’ont adressé des remarques à ce sujet.

Je me souviens que Pearcie a dit :  » Ecoutez, les gars, tout le monde est-il content de ce qu’il gagne ? »

Tout le monde a répondu :  » Oui « .

 » Alors, laissez-le tranquille. « 

À propos de sa colère

La colère a toujours fait partie intégrante de mon caractère. Je ne trouve pas que c’est mal. J’ai toujours eu la réputation d’être un teigneux. Lorsque j’étais encore joueur, c’est probablement l’impression que je donnais. Mais beaucoup de mes cartons rouges étaient imputables à la frustration, pas à la colère. C’est une grande différence. Je ne me souviens pas d’avoir été expulsé lorsque nous menions 3-0.

Les fois où je me suis fâché, c’était pour me défendre. Le bonhomme, tout là-haut, m’a conçu d’une certaine manière, m’a doté d’une certaine forme d’énergie, d’auto-défense. Je considère ma colère comme un moyen de défense. Lorsque j’extériorise ma colère, je libère quelque chose. Je la maîtrise mieux aujourd’hui que par le passé.

C’est dans la famille, un trait de caractère dont j’ai sans aucun doute hérité de mon père. Je suis très impatient, je ne tolère rien. C’est probablement l’une de mes nombreuses contradictions : je suis rarement aussi fâché que les gens le pensent. Mais cela m’aide. Dès que j’entre quelque part, je sais que les gens sont inquiets. Ils s’attendent à voir débarquer une sorte de skinhead violent.

J’ai donc la bonne habitude de décevoir les gens. Je pense que je me comporte relativement bien avec les autres personnes. J’ai des amis que je connais depuis 30 ans. Si j’étais réellement un type impatient et agressif, je pense qu’ils m’auraient déjà lâché depuis longtemps.

Un jour, quelqu’un m’a dit – cela remonte à l’époque où je buvais beaucoup – que sortir avec moi revenait à se promener avec une bombe à retardement. Cette réputation me poursuit, je m’en rends souvent compte. Et je ne dis pas que c’est bien.

La colère est donc un trait de caractère utile. Mais lorsque je suis acculé dans un coin, sur le plan professionnel ou privé, et que je perds le contrôle de mes nerfs, je sais au plus profond de moi-même – même si j’ai raison – que je serai le perdant.

Lorsque je m’énerve contre quelqu’un, même lorsque je me sens droit dans mes bottes, une petite voix intérieure me dit : ‘Tu vas devoir payer pour cela.’ C’est le bouton d’autodestruction. A l’époque où j’abusais de la boisson, j’étais souvent hors de moi pendant quelques jours. Je pense que c’était ma manière de m’éliminer moi-même, sans me préoccuper des conséquences. C’était autodestructeur, j’en suis conscient, et je ne me suis pas encore totalement débarrassé de cette habitude. Je ne parle pas de la boisson, mais de ce brin de folie, de ce manque de responsabilités.

Je ne me permettrai cependant jamais d’être réellement autodestructeur. Je veux garder ma fierté et j’aime les belles choses de la vie. Je ne veux pas devenir la énième ancienne vedette à tomber. Je ne me débrouille pas mal dans la vie ‘diurne’. Franchement, ce que je trouve cool, c’est de passer une bonne nuit et d’avoir des êtres chers autour de moi.

Il existe une différence entre la colère et la rage. Lorsque je suis en colère – c’est le cas lorsque je suis fâché – on peut encore me raisonner. Il y a un chemin de retour : lorsque je suis fâché, je peux me calmer. Mais lorsque je suis en rage, je dépasse ce point, cela va plus loin que la colère. Cela m’arrive rarement, surtout maintenant que je ne joue plus au football. Et je doute que, sur le terrain, j’ai réellement ressenti de la rage. Chaque fois que j’ai été expulsé, c’était consécutif à une frustration ou à une colère contenue. La rage est incontrôlable. Ce n’est pas bien, surtout à cause des conséquences. On tombe, et parfois très profondément.

PAR LA RÉDACTION

 » Quand j’entre quelque part, je sais que les gens sont inquiets. Ils s’attendent à voir une sorte de skinhead violent.  »

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