SORTIE africaine

Le plus capé des Bleus dispute son dernier tournoi avec la France.

A 35 ans, le Franco-ghanéen Marcel Desailly, capitaine des Bleus et recordman de sélections en équipe de France (114 caps), arrêtera sa carrière internationale après le match amical France-Ghana du 18 août prochain. Juste avant l’Euro 2004, le défenseur central de Chelsea, qui est l’un des rares joueurs d’origine africaine à avoir remporté la Coupe du Monde, évoquait sa vision du football africain, son besoin de renouer avec ses racines ghanéennes et ses projets d’après carrière.

Quel est votre meilleur souvenir en tant que footballeur ?

Marcel Desailly : C’est mon premier match en tant que professionnel, en 1985, à 17 ans, car j’avais alors atteint mon rêve après être entré dans un centre de formation à 12 ans. Je n’imaginais vraiment pas réaliser le parcours qui a été le mien.

Avez-vous néanmoins des regrets au niveau de votre carrière ?

Je ne sais pas si je peux me permettre de dire que j’ai des regrets… Si, peut-être ma troisième finale de Ligue des Champions consécutive, après Marseille-Milan et Milan-Barcelone, Milan-Ajax, que j’ai perdue, alors que je jouais au Milan.

Quand êtes-vous retourné pour la dernière fois en Afrique ?

Chaque année, j’y retourne, car j’ai ma famille et des attaches en Afrique. Ma mère, mon frère et ma s£ur vivent au Ghana.

Il n’y a pas si longtemps, vous avez annoncé que vous souhaiteriez prendre les rênes de l’équipe nationale du Ghana, après votre carrière de footballeur…

En effet, ça m’intéresserait beaucoup. Il y a énormément de choses à faire. Aujourd’hui, il faut d’abord faire évoluer les mentalités, être plus professionnel et respecter davantage la sélection. Aujourd’hui, les joueurs ghanéens ou africains qui évoluent à l’étranger négligent parfois leur sélection nationale et ne la rejoignent pas avec un esprit de gagnant, afin de lui apporter un plus.

Mais cela est-il dû à la mentalité des joueurs ou plutôt à l’organisation de l’encadrement ?

C’est aussi lié au fait que les joueurs locaux connaissent les difficultés propres au football africain, et donc, quand il y a des problèmes d’organisation, ils sont compréhensifs et les acceptent. Mais, une fois que ces joueurs sont amenés à jouer en Europe et sont confrontés à l’organisation, au professionnalisme et à la rigueur des clubs européens, alors ce manque d’organisation, qui s’exprime par des petits détails, que peuvent avoir, à travers leur sélection nationale, certains pays, les choquent, ne leur donnent pas envie de revenir en sélection et les démotivent. Que ce soit au niveau des voyages, des hôtels, des équipements, des soins ou encore des primes, l’organisation en règle générale de plusieurs fédérations africaines manque de professionnalisme et de rigueur.

 » Je ne travaillerai pas au Ghana pour l’argent  »

Mais vous êtes motivé ?

Ce n’est pas une question d’argent. Je n’en ai rien à faire de ce que l’on pourra me payer ou non. Au Ghana, ils ne se sont jamais qualifiés pour une phase finale de Coupe du Monde et n’ont pas participé à la dernière CAN, donc je ne peux que faire mieux. Les équipes de jeunes du Ghana ont de très bons résultats, mais après, on a l’impression qu’une rupture s’opère et que d’un seul coup, tout retombe à zéro. Ça veut dire que les jeunes, après s’être révélés dans les sélections de jeunes, s’expatrient et n’arrivent pas à revenir et à être soudés en sélection A. Des joueurs nigérians ou sud-africains refusent de jouer pour leur équipe nationale. Leur situation dans leur club est forcément très importante, car c’est lui qui les paie, mais il faut trouver un juste milieu. Certains joueurs refusent de rejoindre leur équipe nationale, car leur club le leur a demandé. Alors que moi, mon club ne m’a jamais demandé de refuser une sélection en équipe de France. Il ne se pose même pas la question, car il connaît d’avance ma position et ma réponse. Les clubs ne respectent pas suffisamment les joueurs et les sélections africaines.

En ayant évolué la totalité de votre carrière en Europe, pensez-vous que vous arriverez à saisir les spécificités et les rouages du football africain ?

Bien sûr. Je suis notamment en contact avec Abedi Pelé, qui m’explique un peu le fonctionnement et les rouages du football ghanéen et africain. Il est ambassadeur du football ghanéen et travaille pour la FIFA.

J’ai aussi de très bons contacts avec le Ministre des sports et de l’éducation du Ghana, Rashid Bawa, ainsi qu’avec le nouveau président de la Fédération, que je connais néanmoins un peu moins. Je pense qu’ils peuvent comprendre ce que je veux faire. Plus que d’être réellement sur le terrain, où il y a des gens qui sont là pour ça, je cherche à apporter ma pierre à l’édifice et à faire profiter les gens de mon expérience acquise en Europe, un peu à l’image de ce que j’ai toujours essayé de faire. A l’été 99, après la Coupe du Monde 98, je suis revenu au Ghana. Avec Mensah, le président de la Fédération de l’époque, on a essayé d’expliquer aux différents acteurs du football ghanéen que tout était possible en mettant en avant les principales valeurs qui, pour moi, avaient été la clé de notre réussite : la rigueur, la volonté et la discipline.

La Coupe du Monde 2010 sera organisée en Afrique du Sud. Nelson Mandela s’est beaucoup investi dans cette campagne. A l’occasion du match amical France-Afrique du Sud, en octobre 2000, vous aviez rencontré Nelson Mandela, ce qui semblait vous avoir profondément ému…

C’était un moment particulier, car il y avait beaucoup de journalistes autour de nous, qui ont cherché à me poser des questions sur cette rencontre avec Nelson Mandela, alors que pour moi, c’était un moment très fort, que j’avais envie de garder pour moi. Car Mandela représente la lutte contre l’apartheid et contre la ségrégation raciale. J’avais ce double sentiment bizarre de joie et de colère, par rapport à tout ce qui s’était passé. Donc, c’était un moment assez délicat. D’ailleurs, je n’ai pas pu faire la conférence de presse qui a suivi, car j’étais profondément touché.

L’avez-vous revu depuis ?

Non, je ne suis jamais retourné en Afrique du Sud depuis. Mais, c’est bien que cette Coupe du Monde 2010 ait lieu en Afrique noire, et en Afrique tout court. Mandela restera toujours un homme important. Pour ce Mondial 2010, il fallait quand même, dans un premier temps, trouver un pays qui ait la capacité d’organiser une compétition de cette ampleur, un pays qui ait déjà les infrastructures et qui n’ait donc pas à investir des millions et des millions d’euros pour construire de nouveaux stades. Les millions d’euros que les autres pays candidats voulaient investir dans la construction de stades, il vaut mieux qu’ils servent à construire des écoles. Et peut-être qu’en 2022, un autre pays africain pourra organiser une nouvelle Coupe du Monde ! Seuls des pays de l’Afrique du nord et l’Afrique du Sud étaient candidats à l’organisation. Les pays de l’Afrique centrale, de l’est ou de l’ouest n’ont pas, pour le moment, la capacité d’organiser une Coupe du Monde de football. L’objectif serait que, dans le futur, le Ghana, avec le Togo par exemple, puisse avoir cette capacité d’organiser une Coupe du Monde. Mais avant même de penser à construire des stades, qui coûtent des millions d’euros, il faut d’abord régler les problèmes sociaux et économiques qu’ont ces pays. Le sport est important, mais pas prioritaire.

 » Il faut garder de bons joueurs en Afrique  »

Beaucoup de jeunes en Afrique rêvent de suivre votre chemin. Leur conseilleriez-vous de tenter leur chance ?

Bien sûr, je ne peux pas le leur déconseiller, car l’appât du gain et l’envie d’avoir une reconnaissance internationale sont trop importants. Mais l’idéal serait que les pays africains arrivent à se structurer davantage, afin d’arriver à conserver leurs jeunes le plus longtemps possible. La FIFA a déjà établi quelques lois pour restreindre le pillage des talents des pays les plus démunis. C’est dommage que, dès qu’un jeune émerge, il parte en Europe. J’aimerais aussi que les joueurs n’oublient pas, après coup, d’où ils viennent.

Beaucoup de jeunes Africains se retrouvent aussi en situation d’échec en Europe…

C’est vrai, mais la réflexion du joueur africain, c’est -De toutes les façons, je serai dans une meilleure situation en tentant l’expérience, qu’elle échoue ou non, qu’en restant finalement où je suis. Le problème est là ! C’est aussi pour cela qu’il faut arriver à rehausser le niveau général des structures, de l’organisation et du championnat local. On ne demande pas de construire des structures incroyables mais d’en avoir de qualité ou éventuellement de favoriser une implication encore plus importante des clubs européens en Afrique. Beaucoup de centres de formation se créent dans les pays africains. Les clubs étrangers qui investissent en Afrique apportent une qualité d’encadrement, avec un aspect éducatif important, pour les jeunes. Les meilleurs partent encore à l’étranger, mais les autres, grâce aux structures, on arrive à les conserver.

Dans quelle optique avez-vous sorti votre livre Capitaine ?

C’était pour parler de moi, car les gens ne me connaissaient pas forcément, et pour laisser une trace pour mes enfants, qui ne connaissent pas non plus toute mon histoire et celle de ma famille. C’était aussi un hommage à ma maman, pour la remercier pour tout ce qu’elle a fait pour moi. J’exprime beaucoup de choses personnelles dans mon livre. Si ma maman n’avait pas eu son incroyable parcours, je n’aurais pas eu la même carrière et je serais complètement différent, mais peut-être tout aussi heureux. J’ai eu envie, à travers ce livre, d’expliquer aux jeunes qui sont un peu dans la même situation que moi, partagés entre deux cultures, qu’il ne faut pas qu’ils oublient d’où ils viennent. Cette double culture est plus bénéfique que négative. Et il ne faut pas annihiler l’une pour favoriser l’autre.

Après l’Euro 2004, il y aura un match contre le Ghana. Ça va être un moment très spécial pour vous…

C’est incroyable ! Ça fait 10 ans que je joue avec l’équipe de France et on a joué contre peu de pays africains.

Le match contre le Ghana sera donc votre dernier match international ?

Oui, c’est hallucinant ! Après, le résultat du match n’a pas vraiment d’importance pour moi. Dans tous les cas, ça sera une belle fin.

Avez-vous des contacts avec des joueurs de l’équipe du Ghana ?

Non, j’en connais très peu. Je connaissais l’ancienne génération avec Yeboah et Abedi Pelé. Maintenant, ils sont un peu éparpillés partout à travers le monde. Lilian Thuram joue avec Stephen Appiah à la Juventus. Mohamed Gargo, que je connais, jouais à l’Udinese, je ne sais même pas où il joue aujourd’hui û NDLA : le défenseur central ghanéen joue à Gênes, en L2 italienne, depuis le mercato d’hiver 2004.

Guillaume Ribeiro (ESM)

 » Les joueurs africains doivent davantage RESPECTER LEUR SÉLECTION  »

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