Sorti de l’enfer

Le gardien de Mons commente sans détours son parcours très chahuté.

Pro à 18 ans, Anderlecht, des titres, les Diables, des expériences à l’étranger : waouw, super la carrière de Tristan Peersman (30 ans) ! A première vue seulement… Car ce gardien anversois a surtout beaucoup ramé, slalomé entre blessures, rendez-vous ratés, difficultés familiales et grosses déprimes. Mais c’est un homme revigoré qui joue aujourd’hui entre les perches de Mons. Peersman s’est reconstruit : mentalement, physiquement et sportivement. Il commente 30 grands thèmes de sa vie.

Emilio Ferrera

Tristan Peersman :  » Quand il arrive à Beveren, nous avons la plus mauvaise défense. Il décide de ne plus aligner que trois arrières. Nous nous regardons en nous disant : -Ouille… Mais nous avons vite commencé à gagner. Entre nous, la collaboration s’est mal terminée. Parce que j’ai réagi publiquement quand il a écarté l’entraîneur des gardiens, René Cool, pour faire place à un de ses amis. Cool avait quand même sorti Dirk Rosez, Erwin Lemmens, Geert De Vlieger, Filip De Wilde et moi ! Il a rapporté une fortune à Beveren. Donc, je l’ai défendu. Il y avait aussi le fait que Ferrera digérait mal ma signature pour la saison suivante à Anderlecht.  »

Terrible blessure

 » C’est une des périodes les plus sombres de ma vie. Je terminais mon séjour à Beveren, j’avais déjà signé à Anderlecht. Le Sporting attendait beaucoup de moi : j’étais censé devenir, à terme, le successeur de De Wilde. Mais j’ai dû jouer quelques matches avec Beveren en recevant des infiltrations. Une de ces piqûres m’a amené une bactérie : le début de tous mes problèmes. Impossible de m’en débarrasser, cette crasse avançait de plus en plus dans mon pied. J’ai dû subir des greffes de peau, j’avais un trou de trois centimètres dans le pied ! Les nerfs étaient touchés, je n’avais plus de sensations. On a parlé d’amputation. En tout, on m’a opéré sept fois. Et je dois être resté complètement inactif pendant trois ans. Aujourd’hui, je n’ai plus de douleurs mais je dois toujours être prudent. Par exemple quand j’utilise des nouvelles chaussures ou quand les terrains sont durs. Dans ce cas-là, je dois jongler avec les rouleaux de tape. « 

De la famille de Beveren à l’entreprise d’Anderlecht

 » Je me suis retrouvé dans un autre monde. A Beveren, on avait toujours visé le maintien. Chaque victoire était un petit exploit qui se fêtait entre copains. Dans le noyau, il y avait beaucoup de garçons de la région. A Anderlecht, rien de tout cela. On avait le meilleur noyau, c’était normal d’être champion en remportant tous les matches ou presque. Il fallait aussi aller loin en Coupe d’Europe et faire quelque chose en Coupe de Belgique. Michel Verschueren savait mettre la pression. Comme quand il nous disait : -Un coureur cycliste qui a de l’ambition ne vise pas seulement le Tour de France, il veut aussi écraser les kermesses.  »

Un mental pour Anderlecht ?

 » Oui, j’étais assez fort dans la tête pour aller là-bas. Il y a des footballeurs incapables de supporter un stress comme celui qu’on impose dans ce club : la pression de la direction, mais aussi de la presse et celle-là est peut-être encore pire. Moi, je n’ai jamais eu de problème. Au Sporting, on a jugé que j’avais assez d’armes pour m’imposer puisqu’on m’a donné quelques belles preuves de confiance. Comme quand on a renouvelé mon contrat alors que je n’avais encore joué que quelques mois en Réserve, à cause de ma blessure. Je retiens plus de positif que de négatif de mon passage là-bas. « 

Trop jeune pour Anderlecht ?

 » Sans doute. J’étais encore un gamin mais c’est le genre d’opportunité qui ne se refuse pas. Evidemment, il y a des choses que j’aurais faites autrement si j’avais eu quelques années de plus. Quand on a dix ans d’expérience à un haut niveau, on n’agit plus nécessairement comme en début de carrière. J’ai fait des erreurs. J’aurais eu plus de chances de m’imposer là-bas si j’y étais allé quelques années plus tard, mais surtout si je n’avais pas eu cette blessure. C’est ça, la grande raison de mon échec. Anderlecht comptait sur moi mais ne pouvait pas attendre sagement mon rétablissement en me gardant la place au chaud. Le club devait réagir et a transféré Daniel Zitka.  »

Psychologue

(Il rigole).  » Encore cette histoire… On a écrit plein de bêtises. Oui, j’ai eu des séances avec Johan Desmadryl, le psy d’Anderlecht. Mais deux ou trois, pas plus. Et j’y suis allé uniquement parce que le club m’a demandé de le faire. Frankie Vercauteren était convaincu qu’un psychologue pouvait être utile pour les footballeurs ; moi, beaucoup moins. Tout le monde a des problèmes occasionnels à la maison ou dans son boulot : tous les gens vont-ils pour autant chez un psy ? Je savais dès le départ que Desmadryl ne pourrait rien faire pour moi. Seule la Nature pouvait m’aider. Mon unique problème était la grossesse difficile de ma femme. Elle a commencé à avoir des hémorragies trois mois avant terme. Les médecins ne pouvaient pas nous promettre que la petite allait vivre. Quand je montais sur le terrain, je n’étais pas sûr que mon enfant serait encore en vie au coup de sifflet final, on risquait à tout moment de m’annoncer une mauvaise nouvelle. C’était terrible. Je ne savais jamais quel tableau j’allais trouver en rentrant à la maison. Quel futur père pourrait continuer à être 100 % efficace dans son boulot avec un poids pareil ? C’est la première fois que j’en parle ouvertement. A l’époque, je n’ai pas voulu le faire, pour deux raisons : parce que j’estimais que c’était purement ma vie privée et parce que je ne voulais pas qu’on me reproche de chercher des excuses. Aujourd’hui, j’arrive à évoquer cette histoire parce qu’elle s’est bien terminée. Ce fut le passage le plus triste de ma vie. Cette situation a provoqué des erreurs sur le terrain et j’en prenais plein la figure. Je trouvais ça injuste.  »

Hugo Broos

 » Chapeau pour son palmarès mais nos contacts étaient presque inexistants à Anderlecht. Bizarrement, nos relations se sont réchauffées après mon départ, et aujourd’hui, nous nous envoyons nos v£ux au Nouvel An, par exemple. « 

Frankie Vercauteren

 » Avec lui aussi, j’avais une relation difficile, très froide. Je pense que c’était dû à la fonction, au contexte. Dans un club comme Anderlecht, tu écoutes ton coach, tu ne lui parles pas ! Mais Vercauteren m’impressionnait. Par son engagement, son professionnalisme, ses idées nouvelles. Et par ses facultés balle au pied. Il était encore le plus adroit du groupe. C’était impossible de lui prendre le ballon. « 

La direction d’Anderlecht

 » Je ne peux pas dire grand-chose sur Herman Van Holsbeeck parce que je ne l’ai pas côtoyé longtemps. Par contre, j’ai très bien connu Verschueren : un type très bien, correct, proche des joueurs, passionné à fond par son métier. Tu disais un mot de travers sur son club et il entrait dans une colère noire. Il mérite une statue à Anderlecht.  »

Daniel Zitka

 » Un bon gardien qui a des qualités que je n’ai pas : il lit tellement bien le jeu qu’il anticipe parfaitement et n’a plus grand-chose à faire sur sa ligne. Il voit le danger avant qu’il ne soit présent dans sa zone. Par contre, je suis plus explosif et plus fort sur la ligne. J’ai râlé sec quand HugoBroos l’a mis dans le but pour commencer un championnat. Zitka a fait quelques erreurs, j’ai eu ma chance mais j’ai fait des floches à mon tour : pas le scénario idéal ! Aujourd’hui, j’en ris. La vie continue, hein !  »

Arrêter

 » Je n’ai jamais dit que je voulais tout plaquer au moment de mes problèmes à Anderlecht. La presse l’a écrit, on a mis ces mots-là dans ma bouche : c’est fort différent. On a sorti plein de trucs de leur contexte. « 

Dépression

 » Si j’ai fait de la dépression, je ne suis pas au courant ! J’ai eu des problèmes privés, ça n’a rien à voir. « 

Personnalité instable

 » On a écrit ça de moi ? Va demander à ceux qui ont mis des conneries pareilles dans leur journal, je n’en sais rien. Qu’ils assument. « 

Vie de famille

 » C’est difficile de mener une vie de famille normale quand la santé d’un enfant est en jeu. Mon esprit n’était tranquille et reposé nulle part : ça n’allait pas au stade, ça n’allait pas non plus à la maison. J’étais à cran, je ne supportais plus aucune remarque, il y avait des tensions énormes. « 

Saint-Trond-Anderlecht

 » Un sale souvenir. J’ai fait une erreur terrible qui nous a coûté un but et j’ai demandé à Broos de me sortir à la mi-temps. J’ai dû insister pour qu’il accepte. C’était impossible de me concentrer à cause de mes soucis privés. Et je sentais que je jouais avec l’argent et le palmarès de mes coéquipiers. Il y avait une prime de victoire à prendre et il fallait faire un bon résultat pour continuer à jouer le titre. Broos savait que j’avais des problèmes mais je ne lui avais pas donné de détails. Les joueurs, eux, n’étaient au courant de rien. J’avais l’impression de me balader en permanence avec un énorme secret qui, d’un coup, est devenu vraiment trop lourd à porter. « 

Presse

 » J’ai toujours eu l’impression de mener un combat inégal contre les journalistes. On ne peut pas le gagner quand on est joueur de foot. La presse écrit n’importe quoi, les gens achètent et croient tout. C’est frustrant parce que tu ne peux pas toujours te défendre. Lors d’un déplacement européen, je suis sorti du groupe à l’aéroport pour aller acheter un journal. On m’a pris en photo, seul, à la sortie de la librairie. Le lendemain, ça paraissait en grand avec une légende du style : -Peersman est isolé. N’importe quoi.  »

Willem II

 » Très bien au début, beaucoup moins sur la fin. J’arrive en janvier quand l’équipe est mal, nous faisons un excellent deuxième tour et nous nous sauvons les doigts dans le nez. Puis, Dennis Van Wijk débarque et tout se gâte pour moi. Sa façon de travailler ne me convenait pas du tout, il était beaucoup trop dur, trop brusque avec les joueurs. J’ai très peu joué durant ma deuxième saison là-bas.  »

OFI Crète

 » Là-bas, ce sont des problèmes purement extra-sportifs qui ont tout gâché. Après quatre mois, on a arrêté de payer mon salaire. Je me suis adressé à la FIFA : quand tu attaques ton club comme ça, tu ne joues plus le week-end… Je suis finalement rentré en Belgique mais la FIFA a mis des mois pour me rendre ma liberté. J’en ai profité pour me faire opérer aux abdominaux. Je suis donc resté plusieurs mois sans club. « 

Dordrecht

 » Ma première expérience en D2. L’équipe était avant-dernière quand je suis arrivé en janvier, elle a fini huitième et participé au tour final pour la montée. J’ai été le gardien le moins passé du deuxième tour. C’était un club sympa avec des gens accueillants. Je pensais prolonger mais Mons s’est présenté, avec plus d’ambitions que Dordrecht qui ne visait pas la D1. Je ne regrette pas mon choix. Je veux rejouer au plus vite en première division et Mons peut m’aider à atteindre mon objectif. « 

Mons en D1

 » Tout reste possible, même la montée directe via le titre. Sur le papier, les trois matches qui restent à notre programme sont trois gros matches : Tubize, Ostende et un déplacement à Eupen pour terminer. Mais Mons a souvent été meilleur contre les grands que contre les moyens et les petits. Nous avons beaucoup de mérite par rapport à un club comme le Lierse, par exemple. Là-bas, ce sont des gars qui jouent ensemble depuis plusieurs saisons. Chez nous, l’ossature date de l’été dernier. Autre difficulté : dans notre duel avec le Lierse, nous avons l’impression d’affronter plus qu’une équipe ! On raconte tellement de choses à propos de ce club. Ce n’est pas agréable de devoir batailler contre un truc pareil. « 

Geert Broeckaert

 » Depuis que Broeckaert est aux commandes, Mons joue un foot dominant. Nous défendons plus haut, nous essayons d’arracher le ballon à l’adversaire où qu’il soit et nous sommes très vite dans la zone de vérité adverse. Si nous avions eu le même bilan au premier tour qu’au deuxième, nous serions déjà champions.  »

Son niveau de jeu actuel

 » Je suis conscient de mes principaux défauts : je dois apprendre à mieux coacher mes coéquipiers et mon pied gauche reste limite. Mais je sais aussi que j’ai des qualités : je suis explosif et je sors bien sur les balles hautes, ce qui est terriblement important dans le foot actuel. « 

Son meilleur match

 » Tous ceux qui suivent Mons pensent que mon match référence est celui contre l’Antwerp : j’arrête un penalty et ça nous permet de prendre un point. Mais j’ai eu des soirées plus difficiles que celle-là. Je ne compte plus les rencontres où je n’ai qu’un ou deux ballons délicats à négocier : ce sont ceux-là les matches traîtres pour un gardien. « 

Francky Vandendriessche

 » Je l’ai découvert en arrivant à Mons. C’est le style d’entraîneur de gardiens qui me convient car il est calme. Le courant est directement passé. J’ai travaillé longtemps avec Jacky Munaron, à Anderlecht et en équipe nationale. Francky Vandendriessche est plus moderne dans sa façon d’appréhender le métier et il me fait plus souffrir que Munaron.  »

L’accueil en Wallonie

 » Quand mon manager m’a parlé de l’intérêt de Mons, je lui ai dit : -Mons ? Il y a quelque chose à voir là-bas ? Je ne connaissais rien du club et de la ville. J’ai foncé, j’ai été agréablement surpris et je me suis vite senti chez moi, aussi bien au stade que dans le centre. Les gens sont chaleureux et les terrasses sympathiques. Je n’ai signé que pour une saison et j’aimerais bien prolonger.  »

Sa vie en Campine

 » Je n’ai pas voulu déménager : j’ai acheté une maison près de Westerlo et j’ai choisi de faire la route, près de 130 km. C’est parfois lourd mais j’ai besoin de me ressourcer dans ma campagne pour me sentir bien dans ma peau. « 

Leader dans le vestiaire

 » Je ne sais pas si je suis un patron du groupe. Mais je fais partie du conseil des joueurs avec Cédric Roussel, Tom Van Imschoot et Khalifa Sankaré. Dès le premier jour, j’ai senti qu’on me respectait, qu’on tenait compte de mon passé à Anderlecht et chez les Diables.  »

L’ombre de Fred Herpoel

 » Je connais très bien Frédéric Herpoel, nous logions dans la même chambre en équipe nationale. Je le revois de temps en temps, il lui arrive de venir voir des matches de Mons. Mais je ne sais pas ce qui s’est passé entre le club et lui. Je ne veux pas le savoir. Non, je n’ai pas l’impression que son ombre plane encore sur Mons.  »

Diables Rouges

 » C’est la grande satisfaction de mon passage à Anderlecht. Aimé Anthuenis m’avait fait venir au Sporting et a continué à croire en moi en équipe nationale. Il m’a permis d’aller gagner aux Pays-Bas et d’affronter l’Espagne. Les Diables connaissaient une période difficile et les critiques pleuvaient. Ils sont toujours dans le trou aujourd’hui mais c’est plus facilement accepté. Sans doute parce qu’on s’habitue à tout !  »

Bilan global

 » J’aurais sans doute fait une autre carrière si je n’avais pas eu de gros soucis physiques et familiaux. Mais je n’ai que 30 ans et il me reste du temps pour corriger le tir. Je ne me trouve en tout cas pas moins bon qu’au moment où Anderlecht m’a acheté. Je suis peut-être même meilleur. « 

par pierre danvoye – photos : reporters /guerdin

« J’avais un trou de 3 cm dans le pied, on a parlé d’amputation, on a fait des greffes de peau, on m’a opéré 7 fois en 3 ans. »

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