Son silence est d’or

A l’image de son équipe, le taiseux médian a réussi un début de saison tonitruant.

Le tube de l’été, c’est lui. Sans effet d’annonce, ni campagne publicitaire. Sans le battage médiatique qui suit toutes les apparitions des grands clubs belges. Pourtant, après quatre journées, ce n’est ni Anderlecht, ni Bruges ou le Standard qui occupait le siège de leader. Mais bien le Malines du capitaine silencieux, Julien Gorius. Déjà trois buts et une omniprésence dans l’entrejeu malinwa. Le tout sans soulever de vagues.

 » Il est très calme et ne cherche pas à attirer l’attention « , résume son premier entraîneur professionnel, le Français Albert Cartier, qui après l’avoir côtoyé à Metz, l’avait attiré dans notre pays lorsqu’il entraînait le Brussels.  » Il peut paraître gêné par les interviews et il ne fait pas la chasse aux caméras à l’inverse d’autres joueurs. Il aime les vrais rapports humains et est entier dans son engagement. Pourtant, il est blond, athlétique et beau garçon, il pourrait jouer de son physique. Mais il préfère l’être au paraître.  »

Déjà au Brussels, alors que tous les jeunes de son âge couraient les soirées mondaines, lui préférait les soupers avec ses amis Christ Bruno et Michaël Cordier. Loin des frasques et des paillettes.  » Je me sens parfois en décalage avec le côté bling-bling « , reconnaît-il d’ailleurs.

 » Il fait fort attention à son hygiène de vie « , dit Alan Haydock qui a évolué à ses côtés, au Brussels de 2005 à 2008.  » Il vit pour son métier et axe beaucoup sur la récupération.  »

A Malines, il n’a rien changé à son caractère discret.  » Il n’aime pas trop sortir. D’ailleurs, s’il y a bien une chose qu’il ne sait pas faire, c’est boire « , sourit Olivier Renard, son coéquipier.  » Après deux chopes, il est bourré. Et là, il peut se lâcher « , rit-il.

Cette humilité, il la doit à ses parents et ses origines lorraines.  » Mon père travaillait dans le bâtiment « , raconte Gorius.  » Il a eu un métier difficile et on m’a inculqué le respect et l’humilité à la maison. La Lorraine est une terre d’ouvriers et de mineurs, de travailleurs et de gens qui savent d’où ils viennent.  » Bref, qui ne la ramènent pas.

 » La première chose qu’on remarque chez Gorius, c’est son éducation « , ajoute Cartier.  » Son éducation familiale mais aussi footballistique. A Metz, le centre de formation était réputé pour mettre l’accent sur la notion de collectif. En ce sens, Julien est un exemple parfait de ce à quoi le centre de formation de Metz désirait aboutir. « 

 » Au Brussels, j’ai appris à ne pas me plaindre « 

A 26 ans, Gorius est désormais une figure de notre championnat. Six ans qu’il écume les pelouses de notre royaume. Des plus belles aux plus pourries.  » Au Brussels, j’ai appris à ne pas me plaindre. Car franchement, on aurait pu passer notre temps à le faire. On s’entraînait sur des terrains catastrophiques, dignes de la P3. On devait toujours bien regarder si notre salaire avait été versé.  » Six ans, cela en ferait presqu’un Belge.  » Parfois, je me sens plus Belge que Français. Sur le plan footballistique du moins. En France, je suis un inconnu. Ma compagne est belge et j’ai appris à aimer Bruxelles où je vis depuis que je suis arrivé ici. « 

Et pourtant, de lui, on ne connaît pas grand-chose. Il en a fait du chemin depuis son arrivée, à 19 ans. A l’époque, il restait sur une déception, celle de ne pas avoir pu signer pro dans le club de son c£ur, Metz :  » Sans doute le pire moment de ma carrière. J’avais été international chez les jeunes et il a suffi d’une année un peu moins bonne pour ne pas me donner de contrat pro. J’avais tout misé sur le foot et j’avais arrêté mes études. Albert Cartier m’a sorti de la galère en m’appelant pour un test à La Louvière puis en me proposant un test de deux semaines au Brussels. « 

 » Je me souviens très bien que je l’avais aligné contre l’équipe nationale du Luxembourg « , se remémore Cartier.  » Il s’agissait d’un match très physique et Gorius ne s’était pas dégonflé. Il avait pris des risques car il suffisait d’une petite blessure pour que sa carrière s’éteigne définitivement. « 

Et voilà comment ce jeune médian aboutit un soir de 2005 dans la capitale. Pendant trois saisons, ce sera l’époque de la débrouille, des bouts de ficelle et de l’apprentissage.  » Malgré tout ce qu’on disait sur le club, je m’y sentais bien « , se souvient-il.

 » Il a très vite adopté Bruxelles « , dit Haydock.  » Et cela a facilité son intégration. Il était jeune. Il avait tout le bagage technique nécessaire mais il lui manquait de la vitesse d’exécution. Il était très calme et très discret mais quand il prenait la parole, il disait des choses justes et pondérées. En dehors des terrains, c’était également une personnalité attachante. « 

Pourtant, pour lui, quitter le giron familial fut loin d’être évident. Les premiers mois se soldent par des allers-retours incessants. Parfois avec le coach Cartier. Parfois seul. Puis, ces retours aux sources se sont estompés, signe qu’il avait apprivoisé la vie à la belge. Au Brussels, c’était l’époque de FlavienLe Postollec, Dieudonné Owona ou Samuel Neva, tous des compatriotes qui ne connaîtront pas sa réussite. C’était également le temps du dernier souffle en D1. En 2008, le Brussels culbute en D2 et Gorius doit se trouver un nouvel employeur.

 » Si le Brussels n’était pas descendu, je ne suis pas sûr qu’il serait parti « , affirme Haydock.  » C’est un clubman, quelqu’un qui a besoin de sentir qu’on lui fait confiance et qui se dit quand il est bien dans un club – Pourquoi changer si j’ai tout pour être heureux ?  »

 » C’est un émotionnel « , corrobore Renard.  » Il a besoin de sentir qu’on le veut. A Malines, on lui a dit qu’il était important et cela lui a plu. Il pourrait évoluer dans un grand club mais il a peur d’y être traité comme un numéro. « 

Sa bisbrouille avec Peter Maes

Après trois saisons et plus de 100 matches en D1, Gorius prend la direction de Malines.  » J’a i discuté avec des anciens du Brussels, présents à Malines, comme le préparateur physique Frédéric Renotte ou l’entraîneur des gardiens Luc Duville « , explique Gorius.  » Ils m’ont dit que Malines était un club familial et je savais que j’allais progresser avec Peter Maes. Pour sa première année en D1, Malines avait réalisé un deuxième tour fantastique.  »

Pourtant, les premiers contacts avec Maes sont délicats.  » Il a connu des débuts difficiles « , se souvient Renard  » car Maes peut devenir très impulsif. Il savait dire des choses très dures et pouvait choquer un joueur. Or, Gorius, il faut savoir le prendre.  »

 » J’avais débuté la saison avant de me blesser « , résume Gorius.  » Après, j’ai cru que j’allais devenir fou avec Maes. Il était toujours en train de m’engueuler. Il a un caractère un peu spécial. Tout le contraire de moi. Jusqu’au moment où cela a explosé. On a eu trois franches discussions. Je lui ai dit que s’il me lâchait un peu, mon niveau s’améliorerait. De son côté, il a reconnu que son message passait moins bien avec moi et il a mis de l’eau dans son vin. C’était nécessaire. Ma forme est revenue et nos rapports se sont apaisés. Ma deuxième saison avec lui fut la plus aboutie. Maes m’a permis de dépasser mes limites. Avec lui, on jouait vraiment bien au foot. Il évoluait de façon très offensive. Cela se voit encore aujourd’hui avec Lokeren. Au niveau tactique, il m’a également beaucoup appris sur les déplacements offensifs. En possession de balle, c’est vraiment un tout bon entraîneur. « 

Car, Gorius, c’est aussi cela. Un respect total de ses entraîneurs.  » Il a toujours dit beaucoup de bien de ses coaches « , reconnaît Cartier,  » même de ceux de Metz qui ne lui ont pas fait confiance. Il faut dire que pour un entraîneur, c’est très important d’avoir des joueurs comme lui dans le noyau. On sait qu’on va pouvoir compter sur lui. Et puis, quand il commet des erreurs, il se remet en question et ne cherche pas d’excuses, ni ne remettra la faute sur ses partenaires. « 

A Malines, il franchit une étape, devient de plus en plus constant et commence à trouver le chemin des filets de plus en plus souvent.  » Il y a une super ambiance ici et la ville vit pour le foot « , affirme Gorius.  » Je ne suis pas d’accord quand on dit que le club ne progresse pas. On a peut-être échoué à la septième place durant deux saisons mais les statistiques montrent qu’on prend plus de points de saison en saison. C’est la preuve de notre progression ! Il ne faut pas s’attendre qu’un club, qui fut en faillite et qui n’est en D1 que depuis cinq ans, soit champion. Pour la pérennité du club, c’est mieux de gagner une place par saison. « 

Son jeu s’étoffe également. Depuis plus d’un an, sa relation avec Marc Brys, le nouvel entraîneur, a pris de l’ampleur.  » C’est pour l’aider que le coach lui a donné le brassard de capitaine « , dit Renard.  » C’était une façon de booster son tempérament réservé.  »  » Pour qu’un club néerlandophone donne le brassard à un Français, c’est qu’il a séduit « , continue Haydock.  » Sa classe sur le terrain fait de lui un leader naturel.  »

Gorius a une explication plus simple. Pas question pour lui de reconnaître son importance pour un club comme Malines. Toujours le collectif avant l’individu.  » Brys a peut-être voulu me sortir de ma coquille mais en même temps, il ne tente pas non plus un pari. Il voit que c’est moi qui ai le plus d’expérience en D1. Je pense que j’ai pris une autre dimension avec ce brassard. Pas tellement sur le plan footballistique mais désormais, je peux montrer que je suis un leader. « 

Comme le dit Cartier,  » il est devenu un leader technique et institutionnel  » et les candidats acquéreurs se sont bousculés cet été.  » C’est normal. Il est constant, ne prend pas beaucoup de cartes et n’est jamais blessé. Vous en connaissez des médians qui mettent plus de 10 buts par saison ? « , le défend Renard.

Le Standard a été repoussé parce que le président voulait patienter alors que José Riga et Jean-François de Sart poussaient à sa venue. Gand aussi parce qu’il ne trouvait pas qu’il s’agissait d’une promotion.  » Il y a une différence avec Malines mais elle n’est pas énorme. Je n’allais pas faire de Coupe d’Europe par exemple « , dit-il.  » A offre égale, je préférais faire une saison supplémentaire à Malines et quand on voit notre début de saison, je ne pense pas avoir fait de mauvais choix.  » Un clubman qu’on vous disait…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » La Lorraine est une terre d’ouvriers et de mineurs, de travailleurs comme moi, de gens qui savent d’où ils viennent  » (Julien Gorius) » Sa classe sur le terrain fait de lui un leader naturel « 

(Alan Haydock)

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