Son dernier luxe

L’ancien capitaine du Sporting revient sur ses premiers pas à Dudelange et le début de saison de Charleroi.

On se croirait en Belgique. La même nature qu’en Gaume, le prolongement naturel des Ardennes. Il y a juste les stations d’essence qui pullulent, les plaques minéralogiques noires et jaunes, et ce calme apaisant. Bienvenue au grand-duché de Luxembourg. Ici, on roule calmement, on parle à voix basse et on profite du paysage.

Dudelange, à une dizaine de kilomètres de Luxembourg ville, sur la route d’Esch-sur-Alzette. Le centre d’entraînement du F91 est tout neuf. Les terrains sont magnifiques et le bâtiment de brique rouge rappelle,… en plus petit, celui de l’Académie Robert Louis-Dreyfus.

Car, ici, on est dans ce qui se fait de mieux dans l’amateurisme du football grand-ducal. Un club sacré champion national les cinq dernières années. Bref, on fait face au cador local, au FC Porto grand-ducal. C’est dans ce cadre que l’ancien capitaine du Sporting de Charleroi a décidé de boucler son parcours de joueur. Il rêvait de l’étranger, il a touché du bout des doigts une offre de Düsseldorf (D2 allemande) mais il devra se contenter du petit championnat du Grand-Duché. Tant pis ?

En parlant de l’étranger, pensiez-vous au Grand-Duché ?

Frank Defays : C’est vrai que j’avais évoqué l’étranger. Quand j’ai été contacté par Düsseldorf, tout le monde trouvait cela extraordinaire. Or, la distance est la même entre Namur et Düsseldorf, qu’entre Namur et Dudelange.

La D2 allemande a quand même un côté plus prestigieux…

Certainement. Mais je savais bien que je n’irais pas jouer en Italie ou en Espagne. Et c’est clair que sans la présence de Marc Grosjean comme entraîneur, j’aurais peut-être réfléchi à deux fois. Il m’a donné des indications par rapport au club, aux ambitions, aux infras-tructures et au projet d’avenir. Et j’ai trouvé cela intéressant. Je me suis rendu au rendez-vous avec les dirigeants et j’ai trouvé le discours tellement sain et simple que cela m’a convaincu. Quand les dirigeants et l’entraîneur insistent pour que tu viennes, c’est une preuve que ces gens te veulent pour ce que tu es et pour tes qualités. Je n’avais pas ressenti cela avec les deux, trois clubs aves lesquels j’ai eu des contacts. Notamment avec OHL.

Qu’est-ce qui vous fait encore courir à 35 ans ?

Le plaisir. C’est en nous. D’accord, c’est plus difficile qu’il y a dix ans. On le sent. Mais une fois que tu es sur le terrain et que tu vois le ballon, même si tu es fatigué, tu cours après.

Pourquoi le Grand-Duché et plus la Belgique (D1 ou divisions inférieures) ?

Rien qu’avec la réforme du championnat, je n’avais pas envie de le commencer. Ça ne ressemble à rien. Tout le monde a essayé et tout le monde l’a mise au placard et nous, on la ressort. Cela va être obligatoire de chauffer les terrains de matches et personne ne parle de chauffer les terrains d’entraînement… Rien ne tient la route.

Avez-vous eu des contacts en D1 ?

Vaguement avec Courtrai. J’ai été surpris par certains discours. Quand je suis allé à Louvain, on m’a pratiquement demandé de m’entraîner une semaine avec le groupe…

Est-ce que vous avez l’impression qu’on vous a enterré trop vite ?

C’est le foot ! Quand tu as 35 ans, c’est terminé. Quand j’ai débuté la saison passée, on se demandait si je pouvais encore jouer au foot mais cela m’a permis d’avancer. Qu’on revienne perpétuellement avec ton âge et avec le fait que tu ne cours plus comme à 25 ans, c’est blessant et dérangeant. Car tu es alors considéré par rapport à ce que tu vaux mais pas par rapport à ce que tu es.

 » Je n’ai jamais été au-dessus du lot etje ne le serai jamais « 

Êtes-vous impressionné par le niveau ?

Du point de vue des entraînements, il n’y a pas de gros changements par rapport à la Belgique. La grosse difficulté, c’est de faire face à des joueurs au niveau peut-être inférieur mais avec un c£ur gros comme ça. Tu sens que c’est plus faible en conservation de ballon, mais pendant une mi-temps, les adversaires se surpassent. L’adaptation ne fut pas facile et ne l’est toujours pas. Je sais très bien qu’un joueur qui descend de D1 en D3 n’est pas au-dessus du lot. Moi, je n’ai jamais été au-dessus dans une équipe et je ne le serai jamais. Je suis là pour apporter mon vécu et mon expérience, pas pour donner 15 assists.

Avez-vous pensé arrêter ?

Non. Je ne voulais pas avoir de regrets. J’entends trop souvent des anciens pros qui me disaient qu’ils avaient stoppé trop tôt.

Auriez-vous pu continuer comme joueur à Charleroi ?

Oui, j’aurais pu prolonger là-bas. Plus comme titulaire indiscutable mais comme remplaçant. Mais j’ai rendu service à Charleroi en partant. Au niveau de la motivation, je ne pouvais plus rester. Il faut être honnête vis-à-vis d’un employeur qui a permis de nourrir ta famille pendant dix ans. A un moment donné, il fallait pouvoir tourner la page. Je ne pouvais plus rien apporter.

Vous êtes parti de Charleroi dans quel état d’esprit ?

Avec celui d’avoir fait mon job correctement pendant dix ans. Je savais que c’était vraiment le moment pour moi de quitter le club. Même si ce n’est pas facile de tourner une page de dix ans. Quand je prends ma voiture le soir d’un match, je mets Vivacitéet ce qui m’intéresse au plus haut point, c’est le score de Charleroi.

Est-ce que votre départ et celui de Bertand Laquait marque la fin d’un cycle, de l’ère Mathijssen ?

C’est bien de dire la fin d’un cycle parce que cela veut dire qu’il a commencé ! C’est intéressant parce que cela veut dire qu’on a fait partie de quelque chose.

Vous en doutiez ?

Il y a toujours des gens qui remettent certaines choses en question. Mais si on regarde les statistiques, c’est cette équipe-là et cet entraîneur-là qui ont marqué l’histoire récente du club. Même si, au bout du compte, on est passé à côté d’une qualification européenne.

Pourquoi ne pas avoir prolongé votre aventure carolo au sein du staff ?

Car je ne voulais pas de cela. Le président m’a quand même dit – Frank, on est bien d’accord. Il y a une clause dans votre contrat qui dit que la saison prochaine, vous intégrez le staff. Mais je lui ai dit que je ne le voulais pas. Reporter mon problème dans le staff n’aurait pas été sain. Le club avait besoin d’un nouveau tournant. Avoir comme adjoint un ancien joueur qui connaissait le vestiaire, qui avait déjà des a priori qu’il aurait transmis au nouvel entraîneur, n’est pas rendre service à son club. Peut-être que dans deux ou trois ans, je serai prêt à retourner à Charleroi.

D’où vient cette lassitude ?

A Charleroi, je n’ai pas connu que des bons moments. On s’est battu pour ne pas descendre. Et à chaque fois, pour résoudre les problèmes, on faisait appel à moi pour jouer les pompiers de service. A un moment donné, il y a une saturation. Je sentais que je n’avais plus la force d’agir de la même façon que les dernières années.

Et à Dudelange, vous retrouvez un statut d’anonyme…

C’est un petit peu ce que je recherchais. Mais naturellement, je vais m’investir dans la vie de ce vestiaire. Je ne suis pas venu ici en touriste. Je ne veux pas qu’on dise : – Defays arrive et le club n’est plus champion.

Vous avez reçu un contrat de deux ans. Vous ferez donc partie du projet la saison prochaine ?

A l’heure actuelle oui. Mais j’ai été très clair avec Marc Grosjean : si à la trêve, je ne réponds pas à l’attente et que je ne sais pas apporter ce que je suis censé apporter, j’arrêterai.

 » Abbas Bayat doit se rendre compte que si son club est encore en D1, il le doit à ses derniers cadres « 

Vous avez dit que vous ne vous préoccupez pas de ceux qui rigolent de votre départ à Dudelange et que vous deviez bien nourrir votre famille…

C’est vrai. Il faut bien que je la nourrisse. S’il faut que j’aille faire la p… à Bruxelles pour la nourrir, je le ferai.

Vous noircissez un peu le tableau, non ?

Je force le trait. C’est une façon de dire que je m’en fous de ce que pensent les gens.

Est-ce que le début de saison de Charleroi vous surprend ?

Non. C’est pour cela que je dis qu’en partant, Laquait et moi, on a rendu service au club.

En disant cela, vous donnez raison au président Bayat qui a dit qu’il fallait se séparer de certains joueurs comme Defays qui n’apportait plus rien, comme Laquait qui ne faisait que râler ou comme Camus qui n’arrivait plus à reproduire ses meilleures prestations ?

Je ne lui donne pas raison. Parce qu’il doit se dire que si son club est resté en D1 la saison passée, il le doit à ses derniers cadres. C’était clairement une saison pourrie mais ceux qui n’apportaient rien ont quand même continué à tenir la baraque. Mais je sais qu’en restant une saison supplémentaire, on allait droit dans le mur. Comme il était clair qu’il fallait du sang neuf dans le staff. L’arrivée de John Collins a fait beaucoup de bien à ce niveau-là car on allait sans cesse chercher une solution en interne. Cela ressemblait à du bricolage. C’était un petit carrousel. Avec l’arrivée du duo Demol-Dewolf, avec celle d’un nouvel entraîneur des gardiens et de quatre ou cinq nouveaux, cela ne pouvait que marcher. En allant les voir en match de préparation contre Boussu-Dour, je voyais que c’était déjà bien huilé. Avec une mise en place à la Mathijssen. Je trouve d’ailleurs que Demol ressemble à Jacky, dans sa façon de travailler et dans son discours.

Que pensez-vous du noyau ?

Quoi qu’on dise, il y a de l’expérience dans le groupe. Théréau, Oulmers, Kere, Chabbert, Brillault. Franquart a 24 ans, Christ 26, Chakouri a un bagage derrière lui. Et tant que les résultats sont bons, les problèmes de la saison passée ne ressurgiront pas. J’ai eu dernièrement Mogi Bayat au téléphone et il m’a dit – Je pense que je vais resigner la plupart des joueurs car je sens que j’ai l’équipe que je n’ai jamais eue. Là, je me dis que c’est un discours intelligent d’un dirigeant qui veut gagner quelque chose. Maintenant, entre le dire et le faire…

Va-t-il le faire ?

Non. ( Il sourit)

Par Stéphane Vande Velde – Photos: Reporters

« J’ai rendu service à Charleroi en partant. « 

« Une fois que tu vois le ballon, même si tu es fatigué, tu cours après. »

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