« Sollied m’a appris à marquer »

On a l’impression que la carrière du capitaine du Club Bruges (35 ans) ne s’arrêtera jamais…

La sévère éducation parentale

Philippe Clement :  » Ils m’ont transmis l’essence de ma personnalité : travailleur, discipliné, respectueux de la hiérarchie. Mon éducation a été traditionnelle, voire sévère. Pourtant, j’avais l’impression de jouir de beaucoup de liberté. L’école était prioritaire. Le football, le basket et le tennis étaient considérés comme une récompense à de bons bulletins. La barre était placée haut. Je n’avais pas intérêt à revenir à la maison avec des mauvais points mais quand on apprend ça très tôt, c’est normal.

Un moment donné, mes parents m’ont placé devant un choix : le basket ou le foot. Ils m’ont exposé les arguments positifs et négatifs des deux, mais m’ont laissé choisir et prendre mes responsabilités. Ils m’ont toujours soutenu, à condition que je ne fasse pas l’idiot.

L’autodiscipline est venue à point quand j’ai combiné le sport et l’école de sport de haut niveau. Chaque seconde comptait. J’ai ensuite effectué des études d’ingénieur industriel en construction à Anvers. Certains professeurs n’appréciaient pas que je m’entraîne en journée avec le Beerschot et ça m’a posé des problèmes aux oraux. C’est pour ça que j’ai rejoint Genk : Enver Alisic dispensait l’entraînement le soir et je pouvais fréquenter l’école d’Hasselt en journée.

J’ai essayé de combiner sport et études le plus longtemps possible mais les circonstances m’ont contraint à choisir : je suis devenu international, j’ai participé au Mondial en France et Coventry m’a transmis une offre. Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas achevé ce que j’avais commencé ! Impensable chez moi.

Mon degré d’études m’aide à réfléchir : que dit l’entraîneur, que veut-il, qu’est-ce qui est bon pour l’équipe ? Cela m’a aidé à m’adapter. Quand un entraîneur arrivait avec des idées neuves ou me postait à une autre place, je me demandais comment exécuter ce qu’il voulait. Cette mentalité a été essentielle dans mon parcours.

Peu avant mes 18 ans, je me suis retrouvé en équipe fanion du Beerschot, dans un groupe dont faisait notamment partie Ronny Prins. J’ai grandi très vite avec ces gaillards. Avant, j’étais déjà allé au snooker mais n’avais rien vu du monde. Je me suis rattrapé en quelques mois. Quand ils sortaient après le match ou le lundi, je faisais office de chauffeur. Ce fut une révélation (il éclate de rire).  »

Anthuenis le met sur la voie du foot pro

 » Mes cours avaient repris depuis deux semaines quand Genk a limogé Alisic. Aimé Anthuenis a décrété : -Dès demain, nous nous entraînons en journée. Mon petit monde s’est effondré. J’avais quitté Anvers, ma famille et mes amis et voilà que les problèmes que j’avais voulu contourner revenaient. Ce soir-là, j’ai eu ce qui reste mon seul accident en auto. En entrant dans le garage étroit de mon building, j’ai heurté le mur. Le lendemain, j’ai dit à Aimé que ce changement ne me convenait pas. Il a fait preuve de compréhension. Il a exigé que je m’entraîne également en journée mais lorsqu’il dispensait deux séances, je pouvais faire l’impasse sur l’une d’elles. Tout s’est parfaitement déroulé. Pour un homme pareil, j’étais prêt à me jeter dans le feu. Je lui serai éternellement reconnaissant. En outre, il m’a confié énormément de responsabilités au sein du groupe. Il m’a convaincu que je pouvais devenir quelqu’un. Un soir, lors d’une sortie avec nos femmes, Nicole, mon épouse, a dit à Vera, la sienne : -Vivre avec un entraîneur ne doit pas être facile, les hommes ne sont jamais à la maison. Aimé a tapé sur l’épaule de Nicole et a répondu : -Ma fille, prépare-toi, tu vivras la même situation. Il a été le premier à me mettre sur la voie du foot pro.  »

La complicité de sa femme, championne de squash

 » Dans le monde machiste du football, il n’est sans doute pas de bon ton de citer sa femme parmi ceux qui l’inspirent mais c’est pourtant le cas. Le fait que ma femme a été sportive de haut niveau, championne de Belgique de squash, constitue un énorme avantage. Jusqu’à présent, ma carrière a été une quête qui ne s’arrêtera jamais. Nicole s’est beaucoup souciée de diététique. Au fil des années, elle a mis au point une cuisine qui nous convient à tous les deux. Elle est également consciente de l’importance du repos. Cela pose problème dans de nombreuses relations mais Nicole ne m’ennuie pas, au contraire. Elle m’incite parfois à me reposer davantage encore. Elle s’intéresse à certains aspects des soins, par exemple la réflexologie. Mentalement, elle m’aide aussi. J’ai besoin de partager mes expériences, bonnes ou mauvaises, avec quelqu’un. De ce point de vue aussi, nous sommes sur la même longueur d’ondes. C’est aussi grâce à cela qu’à 35 ans, j’atteins toujours un certain niveau physique. Si je n’avais pu vivre de cette façon, je n’aurais pu jouer aussi longtemps. « 

Les exercices secrets de son kiné

 » En travaillant avec le kiné Lieven Maesschalck – en effectuant les exercices à sa façon et en l’interrogeant systématiquement sur son objectif – j’ai compris son raisonnement et ses méthodes. Il m’a aidé à mieux connaître mon corps, à prendre conscience de ce qui est nécessaire ou pas. J’effectue ses vingt minutes d’exercices avant l’entraînement. J’en effectue aussi à la maison, à raison d’une demi-heure par jour. Il a certainement prolongé ma carrière. Mais ce travail s’étend sur des années. Je comprends d’où proviennent les blessures et comment travailler les points faibles. Je n’ai pas un corps idéal : je manque de souplesse. Je tente d’y remédier mais je ne deviendrai véritablement jamais souple.  »

Le Congo lui a ouvert les yeux

 » J’ai appris à relativiser lors d’un séjour au Congo dans le cadre de la Fondation Père Damien. Ce fut un choc. J’y ai entraîné des enfants sur un terrain de sable et deux heures plus tard,… je visitais une léproserie. Un enchaînement d’émotions où j’ai été confronté à moi-même. Quand vous voyez à la TV des enfants mourants, en Afrique, vous trouvez ça terrible mais deux minutes plus tard, vous regardez un film comique… Mais quand vous avez été sur place, que vous avez vu, entendu et senti cette horreur, vous n’avez pas de mots pour décrire ça.

Depuis, j’éprouve un respect sans limites pour ceux qui abandonnent tout pour alleraider les enfants là-bas. C’est pour eux que chaque année, j’organise une vente aux enchères de maillots du Club Bruges.

Ce voyage m’a rendu moins matérialiste. Je relativise mieux le négativisme qui règne dans le football et profite de chaque jour, planifie moins les choses et, surtout, suis heureux d’être né ici et pas au Congo. Car c’est la seule différence entre eux et nous. « 

Sollied révèle son potentiel de buteur

 » Nous nous sommes disputés un jour, mais c’est Trond Sollied qui m’a appris à marquer. Avant, il était rarissime que je marque. C’était difficile à Genk car dès qu’on s’approchait du rectangle, Branko Strupar se fâchait (il rit). Il fallait être fort pour oser tenter sa chance. Sollied travaillait beaucoup la finition, les centres, le jeu de tête. Je dois mon timing au basket mais aussi à ses entraînements.

Parfois, ses exercices étaient très simples. Au début, il arrivait que Chris Van Puyvelde, son adjoint, campe à côté du poteau et lance le ballon. Des cinq mètres, nous devions le remettre de la tête dans le but. Parfois, nous nous demandions à quoi cela rimait. Mais il est préférable de se concentrer et de viser un coin que de frapper le ballon avec force sans précision. Ces exercices ont éveillé des réflexes. C’est devenu un atout car les gens banalisent toujours trop vite vos qualités défensives et ne voient plus que vos manquements.  »

par christian vandenabeele – photos: reporters/ hamers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire