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 » Soit je gagne, soit je finis en ambulance « 

Gagner 17 Ironman sur cinq continents différents : personne n’a fait mieux que Marino Vanhoenacker. Entretien avec Bink, issu des polders flandriens.

Marino Vanhoenacker jette un coup d’oeil à sa montre et jure.  » Dju, déjà midi. Je devrais être sur mon vélo.  » Quelques jours plus tôt, il a gagné le Trimotion de Saalfelden – 1 km de natation, 100 km à vélo et 10 km de course.  » Une petite course…  » Début mai, il s’est adjugé son 17e Ironman en Australie mais son schéma d’entraînement reste strict.

Ce n’était pas différent en automne 2005. Il avait 28 ans et venait de gagner son premier Ironman en Floride. Après sa médaille de bronze au Mondial longue distance de Suède, en 2004, il a obtenu un contrat de sportif de haut niveau à la Défense. Il était libéré de tout souci financier. Enfin.  » Parce que je n’avais plus un franc.  »

Il vivait avec Elke Van Renterghem, également triathlète, et était père de Jirte, née pendant qu’il participait à l’EURO danois, en 2003. Après ses études de diététique, il a travaillé, en saison, à l’usine de sucre de Furnes. Cet argent lui permettait de s’entraîner trois mois et demi en Nouvelle-Zélande. Il effectuait des intérims comme diététicien ou moniteur de fitness, mendiait auprès des sponsors, et une fois, il a emprunté 5 000 euros à son père afin de pouvoir se qualifier en Malaisie pour Hawaï. Il a réussi. Deuxième, il a gagné… 5 000 euros.  » J’ai toujours pensé que tout irait bien tant que nous n’aurions pas faim. L’argent ne m’intéresse absolument pas mais il est indispensable. Devoir réfléchir à deux fois avant de charger son caddie n’est pas marrant. On a vraiment été dans la misère.  »

Est-ce que je ferais encore du triathlon sans sponsors ? Peut-être.  » Marino Vanhoenacker

Ce temps est révolu. D’autres défis se présentent. En septembre, il a ouvert avec Elke la Bink’s Base, à Jabbeke, un centre de fitness 2.0 qui mise sur les nouvelles tendances – CrossFit et Bootcamp. Les listes d’attente s’allongent déjà et un projet de construction supplémentaire est sur la table.

Il regarde la salle, où Elke pousse ses élèves jusqu’à leurs limites.  » Elle revit. Il y a sept ans, j’ai eu un mal fou à la convaincre d’abandonner son emploi. Je lui ai dit que je voulais retirer le maximum de ma carrière quelques années encore et que ça voulait dire qu’elle devait s’occuper de notre fille et de la maison. C’est très égoïste mais j’ai réussi à la convaincre. Le problème, c’est que ça n’a pas duré que quelques années. Le vieux singe continue à gagner !  » Il rit.

 » Je me demande parfois ce qui se passerait si Elke était la sportive de haut niveau et moi son soutien. Je ne peux pas me l’imaginer. D’autres femmes de triathlètes ne s’occupent que de leur mari mais elles finissent par se sentir inutiles. Elles pensent n’avoir aucune part dans leur succès alors que c’est justement le contraire. Mais c’est très pénible pour une femme aussi active que Elke. Maintenant que notre fille est plus indépendante, elle peut aussi s’épanouir.  »

La boîte à miracles

17 Ironman sur cinq continents, qu’est-ce que ça fait ?

MARINO VANHOENACKER : Ça ne me tracassait pas beaucoup mais apparemment, des gens passent leur temps à tenir des statistiques. C’est intéressant mais quand je m’entraîne, c’est pour gagner le prochain Ironman. Même si, au fil des victoires, je m’épate moi-même. On me demande souvent si je vise les vingt. Ça me paraît impossible. Mais sans toutes mes tentatives vaines à Hawaï, je compterais six ou sept succès de plus.

Ces dernières années, beaucoup de gars prennent le départ avec un seul objectif : allier leurs forces contre moi. Ça me dérange. Un Ironman est une lutte homme contre homme mais on se concentre sur moi, surtout à vélo. Comme j’ai déjà souvent gagné, je peux me permettre de prendre plus de risques. Quand je sens que je ne suis pas le plus fort, je sors ma boîte à miracles. Au risque d’aller trop loin mais en espérant que ça fasse encore plus de dégâts chez les autres.

C’était le cas récemment en Australie. Je n’ai jamais autant puisé dans mes réserves. Après vingt kilomètres dans le marathon, j’ai compris que je risquais de finir dans l’ambulance. J’ai appris que Luke McKenzie se rapprochait et j’ai réalisé que je devais vraiment y aller fort pour le briser. J’ai uriné en courant et j’ai amorcé la côte tranquillement avant de courir les trois kilomètres les plus rapides entre le 33 et le 36. Il a craqué en arrivant au-dessus et en apprenant que je m’étais échappé. Si j’avais attendu, j’aurais peut-être fini à cinq minutes. Ils m’attaquent sans arrêt. Je ne me suis jamais senti aussi mal que le lendemain, au point de me dire que c’était mon dernier Ironman.

Marino Vanhoenacker :
Marino Vanhoenacker :  » Je continue à adorer ça. Il n’y a pas cinq jours par an où je m’entraîne sans en avoir envie. « © JASPER JACOBS

Mais ce n’était pas le dernier…

VANHOENACKER : Non. J’aime trop ça. Il n’y a pas cinq jours par an où je m’entraîne sans en avoir envie. Si j’avais un jour comme ça chaque semaine, j’arrêterais immédiatement. Évidemment, certaines séances sont plus agréables que d’autres. Il m’arrive d’être fatigué ou de ne pas atteindre l’effet voulu mais il faut serrer les dents.

Tu préfères travailler seul. Parce que tu es têtu ?

VANHOENACKER : Non. Je connais bien mon corps. On m’a souvent dit que je m’entraînais trop, on m’a reproché de ne pas passer de tests, de suivre mon instinct. Mais j’avais déjà gagné six Ironman en 2010 quand j’ai commencé à travailler avec Rik Valcke. Donc, ma formule fonctionnait. Les six premiers mois avec lui, nous nous sommes surtout concentrés sur la natation parce que je pouvais gagner cinq minutes. J’avais un bon feeling. J’étais aussi dans mes meilleures années. Quand j’ai commencé à me blesser, je me suis tourné vers Luc Van Lierde. C’était la meilleure solution car il s’est souvent blessé mais depuis, j’ai gagné quelques épreuves sans entraîneur. L’hiver dernier, j’ai cherché d’autres défis, le crossfit et des séances courtes sur piste, parce que je ne pouvais pas abattre plus de kilomètres. Je ne vais plus progresser en vitesse mais je n’en perds pas non plus. Au fil des années, j’ai appris à souffrir. Je constate que je ne peux pas me permettre de ne rien faire pendant une semaine. Sinon, la machine s’enraie.

Vieux bouc, d’euphorique à minable

Tu aimes tant souffrir ?

VANHOENACKER : Encore plus qu’avant parce que je suis conscient que ma carrière peut se terminer très vite. Ce que j’aime le plus, c’est de voir ce qu’on peut faire de son corps. Sentir qu’on est le meilleur en compétition est super mais ça peut changer très vite. Un moment, on est euphorique et on se prend pour dieu mais peu après, on peut très bien devenir un minable.

En décembre 2013, la chaleur humide du Mexique t’a contraint à l’abandon et le médecin t’a dit que tu avais flirté avec la mort. Ta température était descendue sous les 34 degrés.

VANHOENACKER : C’est mon problème. Parfois, ma température monte à plus de 40 degrés puis retombe très vite. J’ai eu de la chance, au Mexique. On m’a évacué en ambulance mais elle a été bloquée une demi-heure dans le trafic. J’avais des crampes partout et j’ai pris conscience que le coeur est aussi un muscle. Je pouvais donc mourir…

On aurait dû me mettre immédiatement sous baxter mais l’ambulance est retournée au poste médical de l’arrivée, où se trouvait le médecin urgentiste. Il leur a dit de ne plus jamais faire ça. On ne va quand même pas se mettre dans les files quand quelqu’un est en train de mourir ? Je puise parfois plus dans mes réserves à l’entraînement qu’en compétition mais ça ne dure pas huit heures. Est-ce sain ? Non. Je veux rester le plus longtemps possible en bonne santé mais je ne fais pas du triathlon pour ma santé. Je veux gagner.

Tu ne t’entraînes pas pour terminer cinquième ?

VANHOENACKER : Certainement pas ! Je me mets la pression. C’est la perspective de gagner qui me motive jour après jour. En plus, je veux gagner en beauté. Achever mes concurrents et arriver avec un quart d’heure d’avance, c’est fantastique.

J’ai bâti ma carrière sur l’agressivité : soit je gagne, soit je finis en ambulance. Je dois me détacher à vélo. Le sport a évolué. Je dois développer un wattage plus important en hiver pour contrer tous les jeunes qui débarquent. Je pensais ne jamais y arriver mais je développe déjà 350 watts sur des longs tronçons, à une moyenne juste supérieure à 300. C’est dur pour un vieux bouc comme moi. Quand j’ai gagné mon premier Ironman, je bouclais le marathon en trois heures et une minute. Maintenant, je dois viser un temps sous les deux heures cinquante. C’est une fameuse différence.

Fin de parcours

Tu es la figure de proue de l’équipe autrichienne Pewag Racing Team depuis cinq ans. Avant, tu faisais partie de l’équipe professionnelle de la Commerzbank. Quelle est l’importance de cette sécurité financière ?

VANHOENACKER : Le soutien de la Défense a été un tournant. À partir de ce moment, j’ai pu gagner de l’argent, bien que ça n’ait jamais été ma motivation. Est-ce que je ferais encore du triathlon sans sponsors ? Peut-être. Il y aurait 25 euros sur mon compte. J’arrêterai immédiatement le jour où l’envie me quittera, même si j’ai un bon contrat.

Tu redoutes ce moment ?

VANHOENACKER : Non. Mon instinct me dictera la conduite à suivre. L’année passée, je me suis fracturé la cage thoracique pendant un entraînement à Terneuzen. En attendant l’ambulance, je me suis dit : Ça ne va quand même pas finir comme ça ? Ce serait beaucoup plus difficile à accepter. Mais après quelques jours, en avalant des antidouleurs, j’ai pu m’entraîner sur les rouleaux et ça m’a rassuré.

Les projets pour demain

Marino Vanhoenacker :  » Il y a deux ans, j’ai écrit sur Facebook que je souhaitais encadrer des triathlètes. J’ai eu une centaine de réactions mais faute de temps, je me suis limité à un groupe de huit : un Slovène, un Finlandais, un Autrichien, deux Allemands et trois Belges. Le critère ? Qu’ils ne se pavanent pas trop sur Facebook. Un seul est professionnel mais c’est justement là le défi : chercher comment exploiter au mieux leur temps libre. Si quelqu’un n’a que dix heures par semaine, à côté de son travail et de sa famille, il ne faut pas lui concocter un schéma d’entraînement de vingt heures. Bien que je le dise moi-même, je suis doué pour ça. Ils doivent juste faire ce que je dis. Quand j’arrêterai, il y a des chances pour que je travaille avec plus d’athlètes à la Bink’s Base ou que je lance une équipe, comme manager ou propriétaire. Je veux rendre quelque chose à Elke.  »

Hawaï, un amour à sens unique

Marino Vanhoenacker :  » J’ai tenté ma chance douze ou treize fois à Hawaï. J’ai été bon deux fois, en terminant cinquième et sixième, et très bon en 2010 avec une troisième place après m’être battu toute la journée pour la victoire. En 2012, j’ai entamé le marathon avec douze minutes d’avance mais j’ai craqué après seize kilomètres. Un trou noir. En 2014, j’ai marché les douze derniers kilomètres et je n’ai plus voulu y retourner. Je suis revenu sur ma décision une fois, après avoir remporté deux Ironman en quatre semaines, mais j’ai à nouveau été contraint à l’abandon, vidé et cuit.

La chaleur, l’humidité et la dynamique de course – je ne pouvais pas isoler mes rivaux – ne me conviennent pas. En renonçant définitivement, j’ai craint de ne plus parvenir à me motiver pour d’autres épreuves. C’est pour Hawaï que je faisais du triathlon. À Klagenfurt, une fois, à mi-parcours du marathon, j’ai pensé à Hawaï. Un amour à sens unique.  »

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