« Sois attaquant, mon fils ! »

Interview exclusive avec l’attaquant uruguayen de l’Atlético Madrid, vainqueur pour la deuxième fois du classement des meilleurs buteurs des championnats européens organisé par ESM (European Sports Media) dont Sport/Foot Mag fait partie.

Jeudi passé, le Golden Shoe ESM récompensant le meilleur buteur 2008-2009 des championnats du Vieux Continent, a été remis à l’attaquant uruguayen de l’Atlético Madrid, Diego Forlán, lors d’une cérémonie organisée dans la capitale espagnole. La saison dernière, Forlán avait trouvé le chemin des filets à 32 reprises dans la Liga. Il avait déjà obtenu le trophée en 2004-2005, alors qu’il défendait les couleurs de Villarreal. A l’époque, 25 buts avaient été suffisants.

Ce sacre lui fait évidemment très plaisir, mais la situation de son club le préoccupe : l’Atlético a mal démarré le championnat, et en Ligue des Champions, cela ne va pas beaucoup mieux. Après avoir concédé le partage blanc au stade Vicente Calderón contre les Chypriotes de l’Apoel Nicosie, les Colchoneros ont été battus 2-0 à Porto, la semaine dernière. Malgré les paroles rassurantes du président Enrique Cerezo, les jours de l’entraîneur Abel Resino semblent comptés. Le nom de Diego Simeone a même déjà commencé à circuler. L’espace d’une soirée, Forlán a oublié ces soucis pour savourer sa récompense.

Un peu de talent et beaucoup de travail

Diego, quel sentiment vous procure cette consécration ?

Diego Forlán : C’est un grand honneur. Il n’y a que huit joueurs qui ont réussi à l’obtenir à deux reprises. Voir mon nom aux côtés de Gerd Müller et Eusebio, par exemple, c’est extraordinaire. J’ai réussi l’exploit avec deux équipes différentes, ce qui n’en prend que plus de valeur.

La saison dernière, Samuel Eto’o avait longtemps occupé la tête du classement des buteurs de la Liga. Vous avez émergé grâce à un sprint final étourdissant. Lorsque vous avez remporté le trophée avec Villarreal, le scénario avait été similaire. Avez-vous une explication à ce phénomène ?

Pas vraiment. La saison dernière, j’avais été relativement régulier d’un bout à l’autre du championnat. Si j’ai été amené à réaliser une course-poursuite derrière Eto’o, c’est parce que j’avais loupé cinq matches en début de saison. J’ai eu la chance de voir l’Atlético réussir une très bonne fin de championnat et j’ai pu profiter de cet état de grâce collectif. En 2005, c’est vrai, j’avais aussi rattrapé Eto’o sur le fil. J’avais terminé avec 25 buts alors qu’il en était resté à 24. Je ne sais pas si c’est parce qu’il en avait marre de voir ma tête qu’il est parti à l’Inter. ( Ilrit). Toujours est-il que, s’imposer dans ces conditions-là, cela confère toujours un petit parfum particulier.

D’où vous vient ce sens du but ?

Un peu de talent naturel et beaucoup de travail. Pour se trouver à la bonne place au bon moment, il faut faire appel à son instinct. Mais il faut aussi répéter sans cesse les mêmes gestes à l’entraînement.

Comme le travail du pied gauche ?

Exactement. Lorsque j’étais jeune, mon père m’a toujours exhorté à travailler mon pied gauche. Je le fais encore aujourd’hui et j’en recueille les fruits. Je suis devenu quasiment aussi à l’aise du gauche que du droit. S’il y a un point que je pourrais encore améliorer, c’est sans doute mon jeu de tête.

Lorsque vous étiez jeune, votre père vous aurait dit :  » Mon fils, si tu veux gagner beaucoup d’argent, tu as intérêt à devenir un attaquant, pas un défenseur comme moi… « 

Oui, c’est vrai. Mon père, Pablo Forlán, était un arrière droit. Il a joué à Montevideo et à Sao Paulo. Avec l’Uruguay, il a disputé les Coupes du Monde 1966 et 1974. Il aurait pu participer à celle de 1970 également, mais n’a pas été sélectionné parce qu’on ne voulait pas prendre de footballeurs évoluant à l’étranger. Or, il jouait alors au Brésil. J’aurais pu être tenté de suivre ses traces, voire même d’encore reculer davantage dans le jeu, car à l’époque, un proche de mon père m’a offert le maillot d’Harald Schumacher et de… Jean-Marie Pfaff. Mais mon père m’a dit : – Surlemarché, lesattaquantssonttoujoursbeaucoupplusprisésquelesdéfenseurs. Situveuxdevenirriche, tusaiscequ’iltereste àfaire

Le football semble être une histoire de famille chez les Forlán…

Tout à fait. Mon grand-père maternel, Juan Carlos Corazzo, a également été footballeur international et même été sélectionneur de l’équipe nationale. C’était un milieu de terrain. Mon frère aîné, lui, fut défenseur en Uruguay, au Chili et aux Etats-Unis. Et à la maison, lorsque la télévision était allumée, c’était souvent parce qu’un match était diffusé. Ma voie semblait donc toute tracée, et pourtant, durant mon enfance, je n’étais pas spécialement attiré par le sport. Mais j’ai fini par m’y mettre…

Footballeur-tennisman

Aujourd’hui, vous êtes un sportif éclectique : vous appréciez tout autant le tennis…

C’est vrai. J’ai eu la chance de grandir dans un quartier relativement huppé où le tennis était beaucoup pratiqué. J’y ai tâté, et à 16 ans, j’étais même très bon en tennis.

Un choix professionnel ou émotionnel ?

Je dois dire qu’à cet âge-là, je songeais surtout à m’amuser, pas encore tellement à réaliser une carrière professionnelle. Mon c£ur oscillait : il y avait des périodes où j’étais plus porté vers le tennis, d’autres où j’étais plus porté par le football, et d’autres encore où j’avais surtout envie de profiter de la vie et même… d’étudier. C’est sans doute parce que mon père, à cette époque, est devenu l’entraîneur du Peñarol Montevideo que j’ai finalement opté pour le football. Je l’accompagnais. Mais j’apprécie toujours énormément le tennis, je continue d’ailleurs à le pratiquer chaque fois que c’est possible et il m’arrive même d’avoir un certain Ferrero comme sparring-partner.

Aujourd’hui, le football est devenu un métier. Vous l’appréciez malgré tout ?

Oui, bien sûr. Mais je dois reconnaître qu’à un moment donné, j’ai dû me faire violence. Surtout lorsque je suis parti en Argentine, pour jouer à l’Independiente. J’étais encore jeune, et certaines semaines, j’aurais préféré me retrouver simplement aux côtés de mes amis, ne pas avoir d’obligations le week-end. Heureusement, j’ai toujours aimé m’entraîner et je dois admettre qu’il existe des métiers moins agréables que celui de footballeur professionnel.

Après l’Argentine, ce fut l’Angleterre. Vous n’avez pas été aussi performant à Manchester United qu’aujourd’hui en Espagne…

L’explication est simple : je n’ai pas joué beaucoup de matches chez les Red Devils. Il m’a manqué la continuité, pouvoir rester dans l’équipe plusieurs semaines d’affilée. Je devais profiter de chaque minute de temps de jeu qui m’était accordée et accepter de retourner dans l’ombre au match suivant, alors que je n’avais pas démérité. Lorsque j’ai décidé de quitter l’Argentine pour l’Angleterre, je savais que ce serait difficile. J’étais encore en pleine phase d’apprentissage. Malgré un temps de jeu restreint, j’ai beaucoup appris sous la houlette de Sir Alex Ferguson. Ces deux années et demie en Angleterre ont été importantes pour mon développement futur. Je ne regrette pas d’être passé par là.

Performance, marketing et médiatisation

Si l’on se fie aux chiffres, vous êtes le meilleur attaquant d’Europe. Avez-vous ce sentiment ?

En principe, les chiffres ne mentent jamais. J’ai gagné le Golden Shoe ESM à deux reprises ( NDLRil termina en fait à égalité avec Thierry Henry, d’Arsenal, avec 25 buts en 2004-2005 quand il jouait avec Villarreal), avec deux équipes différentes qui ne sont pas nécessairement les meilleures d’Europe, cela signifie quelque chose. Maintenant, d’autres personnes ne portent peut-être pas le même jugement sur moi.

Lorsqu’on évoque les meilleurs attaquants du monde, les noms qui reviennent le plus souvent sont ceux de Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, Zlatan Ibrahimovic ou Fernando Torres. Avez-vous l’impression d’être sous-estimé ?

Les joueurs précités sont de grands attaquants, ils jouent dans des grands clubs et sont très performants, mais d’autres éléments interviennent également dans la notoriété : le marketing, la médiatisation, etc. Mais je savoure le fait de gagner le Soulier d’Or européen pour la deuxième fois. Plus tard, mes enfants trouveront une trace de leur père dans les palmarès.

Cet été, votre nom a été cité en relation avec le Real Madrid et le FC Barcelone. Qu’en est-il ?

C’est flatteur de susciter l’intérêt de clubs aussi prestigieux. Mais je suis sous contrat avec l’Atlético jusqu’en 2013.

On ne peut pas passer sous silence le mauvais début de saison de l’Atlético. Avez-vous une explication ?

On ne joue pas bien en ce moment, c’est clair. On commet beaucoup d’erreurs, on marque peu et on encaisse beaucoup. C’est un ensemble de circonstances.

Le limogeage d’Abel Resino est dans l’air. En savez-vous davantage ?

Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent. J’ignore si elles sont fondées ou pas. Notre entraîneur sait qu’il est urgent de prendre des points, mais on a une bonne équipe et je suis certain qu’on est capable de renverser la tendance. ( NDLR : deux jours après cette interview, l’Atlético a remporté sa première victoire en championnat : 2-1 contre Saragosse).

Vous occupez une nouvelle position, comme deuxième attaquant en soutien d’Agüero. Comment vous sentez-vous à cette place ?

Lorsque l’équipe ne tourne pas bien, il faut essayer quelque chose. Comme l’équipe encaisse beaucoup de buts, on m’a demandé de défendre un peu plus. Je me sacrifie pour le bien de l’équipe. J’ai un peu reculé dans le jeu, mais sur le fond, il n’y a pas grand-chose de changé. Ma position est fort similaire à celle que j’occupais la saison dernière. Et j’essaie de réaliser les mêmes gestes, mais cela ne réussit pas toujours.

Votre compatriote Luis Suarez marque comme il respire avec l’Ajax Amsterdam. Il vient de déclarer qu’il rêve du FC Barcelone. Est-il déjà prêt pour effectuer le grand saut ?

Luis est un très bon joueur : rapide, puissant, doté d’un sens du but très aiguisé. Ce serait bien pour l’Uruguay s’il pouvait également jouer en Espagne ou dans un autre grand championnat. On en a déjà discuté, on fait parfois chambre commune en équipe nationale. Ce n’est sans doute qu’une question de temps. Son tour viendra : il n’a encore que 21 ans. Il faut aussi prendre la donnée économique en compte : l’Ajax ne va pas le brader, son prix de transfert ne sera pas à la portée du premier club venu.

par daniel devos, à madrid

« Lorsque j’étais gamin, je jouais au goal avec le maillot de Jean-Marie Pfaff. »

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