SOIRÉE MUS’

Pendant des années, il a été le secret le mieux gardé du football belge. Un talent hors-normes qui ne semblait jamais devoir commencer à jouer. Et puis, il y a eu le Betis. À Séville, Charly Musonda prouve que les Belges aussi peuvent jouer comme des Brésiliens. Bienvenue chez Charlinho. Frissons garantis.

Parti de Gand en 2010 avec une Coupe dans les bagages, Roberto Rosales n’avait sans doute conservé que de bons souvenirs de Belgique. Et puis, au détour d’un voyage à Séville sous les couleurs de Málaga, son ancien pays d’adoption s’est rappelé à lui de façon plutôt douloureuse. Comme une ex qui vous collerait une gifle en vous croisant en boîte de nuit à cause d’une vieille rancoeur.

Sur la pelouse de l’Estadio Benito Villamarín, Rosales a vécu un tête-à-tête plutôt désagréable avec les pieds belges de Charly Musonda Junior. Le numéro 8 du Betis a multiplié les assauts balle au pied vers le Costaricien, jusqu’à l’envoyer au tapis d’un crochet ravageur. Décrite comme ça, la scène ressemble à un match de boxe déséquilibré. Sauf que les seuls coups donnés par Charly étaient des coups de rein. Suffisant pour asseoir Rosales sur la pelouse sévillane.

Il est déjà 22 heures quand le speaker du Betis égrène avec passion les noms des joueurs verdiblancos face aux 31.000 personnes rassemblées dans le stade. Un horaire étonnant que seuls l’horloge biologique décalée des Espagnols et le marketing télévisuel de la Liga peuvent expliquer. À l’applaudimètre, le transfert le plus chaud du mercato hivernal peine encore à rivaliser avec Ruben Castro, l’homme qui a conquis le coeur du bouillant public bético en inscrivant 14 des 27 buts marqués par le Betis cette saison. Tout ça à 34 ans.

Les buts, ce n’est pas vraiment le truc de Charly. Les jambes frêles du Belge ne parviendront jamais à inquiéter Guillermo Ochoa, installé derrière la défense de fer de Málaga (4e meilleure défense de Liga). Depuis son arrivée en Espagne, Musonda n’a marqué qu’une fois. De la tête. Par contre, il a dribblé. Beaucoup. Personne en Europe ne fait mieux que ses 4,6 dribbles par match.

S’il a débarqué à Séville quelques heures avant l’auriverde Leandro Damião, Mus’ est bel et bien le renfort le plus brésilien du mercato. Les plus anciens pensionnaires du stade Villamarín se rappellent des dribbles en vert et blanc de Denilson, pendant que d’autres avancent la comparaison avec Robinho quand il avait débarqué au Real Madrid en provenance du Brésil.

Pourtant, c’est bien en Belgique que Musonda a appris à dribbler plusieurs adversaires dans un espace encore plus restreint que le couloir d’un Ryanair.

LE BOURDON

Outre les Ultras, massés dans la seule tribune non rénovée du stade (un seul anneau, contre trois pour les autres tribunes), le public du Betis est une foule qui réagit : elle applaudit ses hommes quand ils le méritent, mais les hue sans vergogne à la moindre erreur. Charly fait figure d’exception. Quand le Belge entre en possession du ballon, le plus souvent sur son flanc gauche, la foule semble entamer un long murmure qui ressemble à un bourdonnement.

 » Le Bourdon « , c’est le surnom de Sylvester Stallone dans Driven, un film de monoplaces pas franchement réussi (et c’est un euphémisme) qu’il a lui-même scénarisé au début du millénaire. Sly campe le personnage de Joe Tanto, pilote sorti de la retraite qui a la particularité de bourdonner au volant quand il est lancé dans une prouesse anormale.

Musonda, c’est ça. C’est l’impression qu’il va toujours se produire quelque chose d’inattendu. Son jeu est cinématographique. C’est un film d’actions. Chacune de ses prises de balle est susceptible de se retrouver sur YouTube.

 » Il dribble même les flaques d’eau « , sourit Dani Ceballos, numéro 10 du Betis et né en 1996 comme Charly, qui s’est directement lié d’amitié avec le Belge. Il faut dire que Mus’ l’a surpris d’emblée, en lui disant dans le vestiaire qu’il le connaît déjà parce qu’il l’a vu à l’Euro U19. Tout ça dans un espagnol scolaire mais très clair, résultat de l’apprentissage précoce d’un enfant qui a toujours rêvé de fouler les pelouses de Liga et qui, très tôt, pensait déjà à ce qui pourrait faciliter son intégration dans le championnat le plus relevé d’Europe.

La maîtrise de la langue a contribué à l’intégration supersonique de Musonda, titularisé une semaine après son arrivée par Juan Merino pour le match face à Valence.  » En deux entraînements, il était déjà intégré « , raconte le coach, qui pouvait se féliciter de son choix après l’exhibition réalisée par son nouveau prodige devant un Estadio Villamarín ébahi.

En première mi-temps, Charly en avait presque fait trop, comme si ces 45 premières minutes avaient été les seules de sa vie et qu’il voulait y étaler tout son registre.  » Dès le premier jour, il a montré que faire un retourné devant tout Valence ne lui faisait pas peur « , rappelle Martin Montoya, débarqué à Séville en même temps que Musonda après un passage raté à l’Inter. Et puis, à force de dribbles incessants, le Belge a fini par provoquer la carte rouge de José Luis Gaya, grand espoir du football espagnol.

Parce que pour l’arrêter, il faut faire une faute, comme en témoignent les 4,1 fautes qu’il subit à chaque match. En Europe, seul Franco Vazquez de Palerme est plus souvent mis au tapis. Les débuts sont rêvés : Charly a aidé le Betis à remporter une victoire à domicile après cinq mois de disette. Le lendemain, sa photo est à la Une de tous les journaux de Séville. La folie Musonda est lancée.

CHARLY L’INSOLENT

Au terme d’un entraînement ouvert à la Ciudad Deportiva Luis del Sol rythmé par des ovations à chaque touche de balle de la nouvelle star locale, Bruno doit déjà jouer les pompiers.  » Il faut rester tranquille « , affirme le défenseur du Betis, qui doit toutefois bien concéder les qualités d’un Charly  » très électrique et très dynamique « , et avouer que  » nous manquions de quelqu’un comme lui, qui déséquilibre l’adversaire.  »

Cela faisait effectivement des mois que les Verdiblancos cherchaient un ailier rapide et vertical, capable de provoquer l’adversaire à chacune de ses prises de balle et de créer des occasions à la chaîne dans une équipe qui était loin d’être une usine à occasions. De quoi expliquer, encore, la présence de Charly dans le onze de base quelques jours à peine après son arrivée.

 » Il s’est seulement entraîné une semaine, mais on l’a trouvé très audacieux « , expliquait Juan Merinoaprès la rencontre face à Valence.  » Son insolence était surprenante « , confirme Montoya.  » Il déborde d’assurance et peut briser une défense à tout moment. C’est pour ça que c’est un joueur aussi important pour nous.  »

Même du haut du troisième anneau du stade, l’assurance de Charly Musonda crève les yeux. Il appelle sans arrêt le ballon, avec de grands gestes des bras, comme si ses chaussures orange fluo ne suffisaient pas à le rendre visible. Et une fois le ballon dans les pieds, il fixe l’adversaire dans les yeux, comme s’il se préparait à dégainer. Sa semelle multiplie les contacts avec la balle. On se croirait en salle, ou sur l’agora d’une cité bruxelloise.

 » Il joue comme s’il était dans la rue « , reprend Juan Merino.  » Il s’amuse, tout en se gérant très bien et en conservant de la rigueur sur le plan tactique. Notre seul doute, c’était qu’il n’avait jamais joué chez les adultes et que le public met beaucoup de pression sur les joueurs du Betis. Mais il s’amuse, à l’entraînement comme en match.  »

Charly aime le ballon. Il avoue à la presse sévillane être  » heureux en rentrant sur un terrain « , même si celui-ci est un terrain de rue. De retour de l’entraînement, il n’a d’ailleurs pas hésité à faire une pause sur la route de l’hôtel pour aller taper le ballon avec quelques gamins qui jouaient sur un terrain en béton du quartier d’Heliópolis. En toute décontraction, évidemment. Parce qu’il le dit lui-même :  » Je ne suis jamais nerveux quand je joue au football.  »

ISCO ET POGBA

Minuit approche sur la pelouse de l’Estadio Benito Villamarín, et le mur mauve dressé par Javi Gracia, le coach de Málaga, tient toujours. Charly rentre de plus en plus dans le jeu, pour laisser le Péruvien Juan Manuel Vargas arpenter tout le couloir gauche dans le 4-4-2 de plus en plus audacieux du Betis. Mus’ fait alors parler d’autres qualités : son sens du placement pour recevoir le ballon entre les lignes. Puis, celui de la passe, souvent verticale, toujours tranchante, histoire de systématiquement casser une ligne adverse. Et tant pis si ça rate.

Même le public est étonnamment indulgent, parce qu’il sait que chaque touche de balle de Charly près du but adverse est comme une chance de gagner au Lotto : on est excité, on se prépare presque à exulter, mais on n’est finalement jamais trop déçu quand on perd. On le trouve presque lucide quand il déclare dans les colonnes de Marca :  » Mon joueur préféré, c’est moi.  »

Dans l’axe, Musonda s’associe presque naturellement avec Dani Ceballos. Le feeling entre les deux hommes saute aux yeux, et va au-delà du terrain. Charly l’appelle  » Isco « , pour sa ressemblance physique et stylistique avec l’élégant milieu de terrain du Real. Et le vestiaire bético aime visiblement les faux sosies, puisque Musonda a été surnommé  » Pogbita  » (le petit Pogba) dès son arrivée à Séville car son visage rappelait étrangement celui du Français.

S’il passe également beaucoup de temps avec les francophones du noyau que sont Foued Kadir, Didier Digard ou Alfred N’Diaye, et qu’il ne manque pas d’échanger quelques mots ou d’écouter quelques conseils de Rafael Van der Vaart ou du légendaire Joaquin, c’est surtout avec Ceballos que Musonda passe son temps.

Les deux hommes, âgés de 19 ans, offrent en compagnie de Fabián – produit de la cantera locale – une cure de jouvence à un Betis qui était présenté en début de saison comme une équipe vieillissante, dont les noms les plus ronflants avaient largement passé le cap de la trentaine.

Si Ruben Castro se charge plus souvent qu’à son tour de mettre la balle au fond des filets, ce Betis version 2016 porte la marque de Ceballos et de Musonda bien plus que de tous les autres joueurs présents sur le terrain. En fin de match, après l’ouverture du score d’Ignacio Camacho pour Málaga suite à une erreur d’Antonio Adán qui avait pourtant maintenu les siens en vie en début de match, les deux jeunes verdiblancos se démultiplient.

Mais ces derniers instants sont surtout marqués par le manque de puissance des centres de Charly, ceux qui rappellent que le prodige prêté par Chelsea n’a pas résolu les problèmes offensifs d’un Betis auquel  » il manque des buts « , comme le soulignera un Ceballos abattu après la rencontre.

Certains sifflets s’échappent même des tribunes après une ultime perte de balle, rapidement suivis d’applaudissements quand le Belge s’arrache sur cinquante mètres pour stopper un contre adverse d’un tacle qui fera même tomber le piquet de corner. Comme pour rappeler que l’écolage footballistique du prodige s’est terminé au pays du sliding tackle.

UN BETIS TRANSFIGURÉ

Imaginer Musonda sur une pelouse de Premier League reste une épreuve compliquée. Parce que le numéro 8 a progressivement disparu du jeu sévillan quand le match a commencé à passer d’un but à l’autre, et que l’arme principale du Betis est devenu le centre en bout de course de Joaquin.

Charly a semblé bien plus à l’aise en première période, quand la circulation de balle finissait pas l’isoler sur le côté et qu’il pouvait faire parler sa vitesse de jambes pour pivoter sur lui-même avec l’agilité d’un danseur étoile et exploser sur quelques mètres après son crochet. Paco Jemez, l’entraîneur du Rayo Vallecano qui a fait le forcing pour attirer le joueur dans la banlieue de Madrid en janvier dernier, est certain que  » cette Liga lui ira très bien, parce qu’il excelle dans le un-contre-un au niveau offensif. Il apportera beaucoup au Betis.  »

Dans son nouveau club, Charly a déjà apporté la foi. Parce que son arrivée a rimé avec une série de six matches sans défaite, au point que certains le considéraient comme un talisman avant le récent 0/6 des siens. Mais ce Betis semble désormais loin de l’équipe qui n’était plus qu’à deux points de la zone rouge à la fin du mois de janvier.

Parce qu’avec un joueur comme Charly Musonda, l’équipe peut se permettre de sortir le ballon de la défense, de l’envoyer sur le flanc gauche et de laisser le stade bourdonner pendant que son talent belge caresse le ballon sous sa semelle.  » Quelque chose  » finira bien par se passer. Face au ballon, sous l’oeil des caméras, le latéral adverse a l’air inquiet. Parce que s’il se retrouve avec Musonda sur YouTube, Charly n’a certainement pas l’intention de lui laisser un autre rôle que celui de figurant.

PAR GUILLAUME GAUTIER, À SÉVILLE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Charly, il dribble même les flaques d’eau.  » – DANI CEBALLOS, NUMÉRO 10 DU BETIS

 » Son insolence est surprenante.  » – MARTIN MONTOYA, COÉQUIPIER

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