SIMON MIGNOLET

En moins de cinq ans, le Hesbignon est passé de la D2 belge à la Premier League. Peu de joueurs ont pu s’imposer aussi rapidement que Simon Mignolet (25 ans), le gardien du FC Liverpool. Retour sur une carrière-éclair.

Samedi 17 août 2013. A Liverpool Lime Street Station, sur l’air de The Lion Sleeps Tonight, les fans des Reds entonnent un chant à la gloire de SimonMignolet que les supporters de Sunderland avaient composé par le passé. Dans la jungle d’Anfield Road, le gardien n’a pas eu besoin de plus de 90 minutes pour les convaincre qu’il était bien vivant.

Pour son premier match face à Stoke City, alors qu’il ne restait que quelques minutes à jouer, utilisant un truc que l’entraîneur des gardiens de Saint-Trond lui avait appris, il a arrêté un penalty de Jon Walters et la reprise de Kenwyne Jones.

Le lendemain, les journaux sont lyriques.  » Il a montré qu’il était le successeur de Pepe Reina. S’il poursuit de la sorte, Liverpool sera candidat à une place en Ligue des Champions.  »

La semaine suivante, à Aston Villa, il empêche Christian Benteke d’inscrire deux buts tout faits. Liverpool s’impose 0-1, les fans chantent à nouveau, son rêve est devenu réalité : il joue dans un grand club de Premier League.

Tout a débuté quinze ans plus tôt dans une prairie de Brustem, un village de l’entité de Saint-Trond. Simon se faisait un plaisir d’arrêter les ballons envoyés par son frère aîné Wouter, son père Stefaan, son oncle Frits Geerts et ses cousins Jorrit et Dietmar.

 » C’est comme ça, et en jouant au water-polo dans la piscine, qu’il a aiguisé ses réflexes « , dit Frits. A six ans, il s’affilie au VV Brustem, où il ne défend les filets que lorsqu’il n’y a personne d’autre. Car comme il est grand et qu’il court beaucoup, ses entraîneurs préfèrent l’aligner dans le jeu.

Saint-Trond aller-retour

Après trois ans, il passe à Tongres où il ne restera qu’une saison car le prix de la cotisation a été multiplié par cinq. Il s’en va alors à Saint-Trond où on l’aligne en défense, comme médian défensif et parfois en pointe. Mais il grandit trop vite et a des problèmes de dos.

 » Le matin, il pouvait à peine sortir du lit « , dit son père, lui-même ancien gardien de Brustem.  » Pour l’assouplir, je l’ai inscrit à un entraînement de gardiens au Sporting Aalst-Brustem.. Après la première séance, l’entraîneur, Rudi Vanrusselt, a dit qu’il pouvait revenir quand il voulait.  »

A Saint-Trond, on le trouve trop léger. Comme les cadets provinciaux du Sporting Aalst-Brustem cherchent un gardien, son choix est vite fait et Rudi Vanrusselt se charge de l’écoler. Avec une technique particulière.  » Je me déplaçais avec un tuyau en plastique. Chaque fois que je passais près de lui, Simon devait sauter pour l’éviter, sans quoi il le prenait dans les chevilles. Ses jambes étaient couvertes de bleus mais ça a marché.  »

Après deux mois, Simon se retrouve en sélection provinciale et Saint-Trond revient à la charge.  » Je leur ai demandé s’ils voulaient tuer ma femme : ils l’avaient mis dehors comme un chien « , dit Stefaan. Mais Simon aimait Saint-Trond. Petit, il ne ratait aucun match.

A Saint-Trond, Mignolet devient international U17, U18 et U19. Il est souvent la doublure de Sinan Bolat. Le PSV et le Racing Genk s’intéressent à lui mais il veut rester dans un environnement qu’il connaît et combiner le foot avec des études de sciences politiques et sociales à la KUL. A 18 ans, il est troisième gardien des Canaris, qui évoluent toujours en D1, et ne songe plus depuis longtemps à devenir militaire à la base aérienne de Brustem, comme son père.

A la fin de la saison, quand les décisions sont déjà tombées, il dispute deux matches de championnat et l’été suivant, après le départ de Bart Deelkens, il avance d’un rang dans la hiérarchie des gardiens. Après un 0 sur 21, Franck Boeckx est écarté.  » Simon a senti que sa chance était là  » raconte PollPeters, le coach des gardiens.  » A l’entraînement, pendant 20 minutes, il a tout arrêté. J’ai dit à Peter Voets que c’était le moment de le lancer. Il n’était pas convaincu et m’a dit que c’était ma responsabilité. Mais j’étais sûr de moi.  »

Le désespoir de ses coéquipiers

Après trois minutes face à Zulte Waregem, Mignolet (19) doit se retourner. St-Trond est faible et chute en D2.  » Pourtant, Simon a fait mieux que se défendre « , dit Stefaan.  » Il n’a commis qu’une erreur, face à Roulers. Et il a été tellement critiqué par les supporters que nous avons dû lui parler. La semaine suivante, St-Trond gagnait à Gand et il sortait un bon match. Heureusement car s’il avait craqué à l’époque…  »

N’empêche qu’après la relégation, le doute s’installe. Finalement, c’est Guido Brepoels, le nouvel entraîneur, qui insiste pour garder Mignolet.  » Il est de la région, il travaille, il est intelligent et il a du talent « , dit-il. Il ne regrettera pas sa décision : Mignolet est, avec Ibrahima Sidibe, un des piliers de l’équipe qui remonte aussitôt en D1.  » A l’époque, déjà, il avait trois grandes qualités « , dit Poll Peters.  » Des réflexes phénoménaux, il était imbattable en un contre un et très fort dans les airs.  »

Selon Guy Vandersmissen, son agent depuis la première heure, la saison de la relégation et celle du titre en D2 ont joué un rôle crucial dans l’évolution de Mignolet.  » En D1, il a eu beaucoup de travail dans son rectangle et en D2, comme l’équipe jouait très haut, il a appris à relancer et à rester concentré.  »

De retour en D1, dès le début de la saison 2009/2010, il se remet à briller.  » A l’entraînement, lorsque nous travaillions la finition, il arrêtait 17 ou 18 ballons sur 20 « , dit Peter Delorge.  » Et comme nous ne pouvions prendre notre douche qu’après avoir marqué, nous étions désespérés. Et lui, ça le faisait rigoler.  »

Dès le premier match au Standard, il se met en évidence en arrêtant un penalty d‘AxelWitsel à la dernière minute (2-2).  » C’est plus facile de jouer au Standard que devant 800 personnes en D2 « , dit-il. Désormais, tout le monde le connaît.  » Au début, ça l’étonnait « , dit son père.  » Il disait que, pourtant, ce penalty ne l’avait pas changé.  »

Et le conte de fées se poursuit. Le 12 septembre, Saint-Trond bat Anderlecht et se retrouve en tête de la D1 pour la première fois depuis 44 ans. Lors des matches à Courtrai et à Charleroi, Mignolet sort des arrêts incroyables.

Gardien de l’Année devant Silvio Proto

 » Nous avons le meilleur gardien du pays « , dit le président, Roland Duchâtelet. Guido Brepoels n’en croit pas ses yeux non plus.  » A Anderlecht, en février, nous avons fait 1-2 à la 89e minute. Le Sporting a mis tout devant et Simon est allé cueillir un ballon au deuxième poteau, au-dessus de la tête de Lukaku. Celui qui ose faire ça à un tel moment est un grand gardien.  »

Ses confrères pensent la même chose puisque, à sa grande surprise, Mignolet est élu Gardien de l’Année avec 250 points d’avance sur Silvio Proto. A ce moment-là, depuis quelques mois déjà, Sunderland s’intéresse à lui. Son entraîneur, Steve Bruce, a été tuyauté par son ancien équipier de Birmingham, Nico Vaesen, aujourd’hui agent de joueurs chez Star Factory.

Nigel Spink, entraîneur des gardiens des Black Cats, vient le voir à plusieurs reprises.  » A Charleroi, après une demi-heure, il a rangé son carnet de notes en disant qu’il en avait vu assez « , dit Vaesen.

Le PSV est aussi sur les rangs mais depuis son enfance, Simon est fan de la Premier League. Pour Stefaan et Bernadette, ses parents, c’est un choc :  » Comment allait-il se débrouiller seul en Angleterre ? Le PSV nous semblait être un meilleur choix mais nous l’avons soutenu « , dit Bernadette.

Début juin 2010, l’affaire est conclue. Saint-Trond touche 2,4 millions et Mignolet signe un contrat de cinq ans. La concurrence est rude puisque, en 2007, Sunderland a déboursé dix millions pour obtenir les services de l’Ecossais Craig Gordon, le gardien britannique le plus cher de tous les temps.  » Mais nous savions qu’il était fragile et que, tôt ou tard, Simon jouerait « , dit Vaesen.

Dès les premiers entraînements, Gordon se casse le bras.  » Steve Bruce a hésité à prendre un gardien expérimenté car il ne voulait pas brûler Simon mais je l’ai convaincu de lui donner une chance dans les matches amicaux face à Hoffenheim et Benfica.  » Et comme toujours, Mignolet l’a saisie. Pour sa première rencontre officielle, à Birmingham, il est élu Homme du Match.

Avec les félicitations d’Arsène Wenger

En dehors du terrain, c’est plus difficile pour lui.  » Il était tout seul dans sa chambre d’hôtel puis dans son appartement « , dit sa mère.  » Il devait faire la cuisine, la lessive, le repassage… Parfois, il me téléphonait trois fois par jour mais il est vite devenu autonome. Il s’est même habitué à la nourriture anglaise même si, chaque semaine, nous lui amenions du steak, du hachis, du fromage et du pain.  »

En octobre, Gordon est rétabli et Bruce se retrouve face à un dilemme. Dans un premier temps, il maintient sa confiance à Mignolet mais après un 5-1 à Newcastle (alors que le Limbourgeois n’a rien à se reprocher) et malgré une victoire face à Tottenham la semaine suivante (2-0), il relance l’Ecossais.

 » Il avait coûté tellement cher qu’il fallait le mettre en vitrine « , dit Stefaan.  » Simon savait que ses prestations n’y étaient pour rien. Il appréciait que Bruce ne lui ait pas raconté des salades et il était bien déterminé à le faire changer d’avis.  »

Le retour de Gordon n’est pas couronné de succès. Il souffre du genou et en février, après quatre mois sur le banc, Mignolet retrouve sa place. Il a pris du muscle et, malgré le 0-2 contre Everton, il n’a rien à se reprocher. La semaine suivante, à la veille de son 23e anniversaire, il préserve le nul blanc à Arsenal.

 » Le match était télévisé sur Sky et ce jour-là, toute l’Angleterre l’a découvert « , dit Vaesen.  » Même Arsène Wenger l’a félicité.  » Steve Bruce n’est pas avare d’éloges non plus :  » Si Simon était anglais, il serait international « , dit-il.

Il le devient le 25 mars 2011, mais pour la Belgique, qui se rend en Autriche en match de qualification pour le championnat d’Europe (0-2). Comme lors de ses débuts à Saint-Trond ou à Sunderland, il joue sans complexe.  » Après le match, je lui ai demandé s’il était nerveux « , raconte JosBeckx, ex-entraîneur des gardiens de St-Trond.  » Il m’a répondu : Non, pourquoi ? « 

En championnat d’Angleterre, ça se passe moins bien. Il commet deux petites erreurs face à Birmingham (0-2) et Sunderland chute au classement. Bruce évoque un retour de Gordon mais celui-ci doit être opéré. Big Si disputera donc le match à six points face à Wigan.  » Pour la première fois, je l’ai senti stressé « , dit Stefaan.  » Mais il a bien joué.  » Sunderland s’impose 4-2 et assure son maintien.

The Lion sleeps tonight

Comme Gordon est out pour plusieurs mois, Sunderland acquiert, à l’inter-saison, l’international irlandais Keiren Westwood. Mignolet reste titulaire mais fin octobre, il entre en collision avec Emile Heskey, l’attaquant d’Aston Villa. Verdict : fractures de la pommette, de la mâchoire et du nez. C’est le premier coup dur de sa carrière. Pendant des semaines, il souffre de maux de tête. Sunderland ne va pas bien non plus. Début décembre, Steve Bruce est viré et remplacé par Martin O’Neill.

Fin décembre, Westwood se blesse et le nouveau coach s’adresse à Mignolet, qui n’a qu’un seul entraînement derrière lui. Est-il prêt à affronter Manchester City avec un masque ? Le Limbourgeois n’hésite pas. Il livre un super match, Sunderland l’emporte 1-0 et entame son opération maintien.  » Ce jour-là, Simon a marqué beaucoup de points dans l’estime de O’Neill « , dit Vaesen.

Les supporters de Sunderland l’admirent de plus en plus également. En novembre 2012, ils lui consacrent une version de The Lion Sleeps tonight et même après son mauvais match contre West Ham (2-4), ils scandent son nom. Ce sera d’ailleurs la seule erreur du Limbourgeois qui, en équipe nationale, a dû céder sa place à Thibaut Courtois mais qui, en 2012, a conservé ses filets intacts à 15 reprises. Il est aussi le gardien de Premier League qui a effectué le plus d’arrêts.

Après le Nouvel An, Sunderland navigue à nouveau en eaux troubles et O’Neill doit céder sa place à Paolo Di Canio mais Mignolet contribue à assurer le maintien. Cela fait un bout de temps que Brendan Rodgers, le manager de Liverpool, s’intéresse à lui.  » Pendant des mois, des scouts ont décortiqué son jeu « , dit Vaesen.  » Lors du premier entretien, ils nous ont montré son profil : il était terriblement détaillé. Nous avions donc compris qu’ils étaient très intéressés.  »

Rodgers veut mettre un peu de pression sur PepeReina et débourse 11 millions pour obtenir les services de Mignolet. A l’annonce de son transfert, près de 3,5 millions d’internautes cliquent sur le site du club mais ça ne l’impressionne pas. Reina ne lui fait pas peur non plus.  » Je n’ai jamais choisi la voie la plus facile « , dit-il.  » Tant que je joue bien, je n’ai rien à craindre. La concurrence ne m’a jamais rendu nerveux, au contraire : elle fait ressortir mes qualités « , dit-il.

La bête d’Anfield

De concurrence, il n’en sera pas question car fin juillet, Reina est loué à Naples. Rodgers estime qu’il est trop cher (135.000 €/semaine) pour rester sur le banc et il fait confiance au Limbourgeois qui, mis à l’aise par Steven Gerrard ( » Il m’a parlé comme si j’étais son petit frère « ), fait forte impression à l’entraînement.  » C’est une bête « , dit Jamie Carragher.

Contre Stoke City, il arrête un penalty puis il rend trois clean sheets. Et même si Liverpool, qui joue très haut, encaisse beaucoup de buts par la suite, les commentaires à son sujet restent positifs. Début décembre, le site américain Bleacher Report l’élit même deuxième gardien de Premier League derrière Wojciech Szczesny (Arsenal).

Fin décembre, sa réputation est entachée parce qu’il évalue mal un lob d’Alvaro Negredo (Manchester City) et commet quelques erreurs au cours des matches suivants mais Rodgers refuse de le remettre en question.  » Il reste un excellent gardien « , dit-il. Même la presse lui maintient sa confiance : « Mignolet mérite du crédit », écrit le Liverpool Echo.

Fort de ces signes de confiance, Mignolet redresse la tête. Au cours des dernières semaines, il encaisse beaucoup mais n’a rien à se reprocher.  » La défense n’est pas stable et il y a des blessés « , dit Vaesen.  » De plus, Rodgers préfère gagner 4-3 que 1-0. Simon préfère disputer la Ligue des Champions plutôt qu’être le gardien qui encaisse le moins tout en terminant sixième. Car maintenant, il doit montrer qu’il a l’étoffe nécessaire pour jouer au plus haut niveau.  » Peu nombreux sont ceux qui en doutent encore.?

PAR JONAS CRÉTEUR – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » A Charleroi, après une demi-heure, le scout de Sunderland a rangé son carnet de notes en disant qu’il en avait vu assez.  » Nico Vaesen, manager du joueur

 » Après son premier match en équipe nationale, je lui ai demandé s’il était nerveux. Il m’a répondu : Non, pourquoi ?  » Jos Beckx, ex-entraîneur des gardiens à Saint-Trond

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire