Signal d’alarme

La Louvière-Tubize en Coupe, c’est l’affrontement de deux entraîneurs passionnés de formation.

Deux copains se retrouvent ce soir pour un duel 100% wallon en Coupe de Belgique. Ariel Jacobs et Philippe Saint-Jean ont fait un long bout de chemin ensemble à l’Union Belge. Ils formèrent notamment le duo qui entraînait nos -20 ans au Championnat du Monde en Malaisie. La formation, c’est leur dada. Mais tous deux ont finalement préféré tenter leur chance à la tête d’une équipe Première. Entre autres choses parce qu’ils ne se sentaient plus en phase avec les priorités de la fédération.

Au tour précédent, La Louvière s’est imposée à Lommel et Tubize a gagné à Mons: deux résultats inattendus.

Ariel Jacobs: Cette qualification était d’autant plus inespérée pour nous que Lommel a pris goût à la Coupe la saison dernière et reste toujours difficile à manoeuvre sur son terrain. Nous avons beaucoup souffert pendant les premières minutes, puis nous avons grandi dans le match. Au bout du compte, la victoire de La Louvière dans les prolongations était tout à fait méritée.

Philippe Saint-Jean: Tubize n’avait aucune pression à Mons, c’était un gros avantage. Nous avons eu une campagne de préparation difficile, mais nous avons prouvé durant cette période que nous avions des qualités, surtout quand nous affrontons des adversaires qui nous sont supérieurs. Nous ne parvenons pas à être réguliers en championnat parce que nous essayons de faire le jeu. Quand Mons a marqué, j’ai craint un effondrement de mon équipe, mais nous avons su au contraire réagir directement et faire la différence dans les dernières minutes.

La Louvière-Tubize: est-ce un bon tirage pour vous?

Jacobs: Il me satisfait sur le plan sportif et extrasportif. Que ce soit en Belgique ou à l’étranger, il est fréquent que des équipes de divisions inférieures se surpassent quand elles affrontent un club de D1 en Coupe, mais nous aurions évidemment pu tomber plus mal. Même si nous devrons nous méfier, car je suis conscient que Tubize joue mieux contre les équipes qui lui sont théoriquement supérieures.

Au niveau extrasportif aussi, je me réjouis car nous devrions faire une recette valable. La Coupe ne déplace plus les foules. On peut se poser des questions quand on voit qu’Anderlecht-Lokeren, une des affiches du tour précédent, n’a attiré que 5.000 personnes. Je suppose que la moyenne de spectateurs par match ne va guère augmenter au prochain tour, quand je vois le programme. Il devrait quand même y avoir du monde au Tivoli, car La Louvière-Tubize sera une espèce de derby.

Saint-Jean: Pour notre trésorier, c’est un bon tirage car nos supporters devraient se déplacer en masse. Pour mes joueurs, affronter un club de D1 est toujours grisant. Evidemment, nous aurions pu mieux tomber car il reste deux autres équipes de D3 en Coupe. Plus personnellement, je regrette d’avoir tiré La Louvière car j’ai beaucoup d’amis là-bas: j’ai travaillé avec Ariel, son adjoint Patrick Wachel, Roland Louf, et même Fabien Delbeeke au Futurosport de Mouscron. C’est toujours délicat d’affronter des gens qu’on connaît aussi bien. En plus, nous avons joué contre La Louvière en début de saison, et il n’y aura donc pas d’effet de surprise.

L’entraîneur de La Louvière a changé…

C’est bien pour cela que le risque d’effet de surprise est encore moins grand: je n’ignore vraiment rien d’Ariel (il rit). Et le contraire est tout aussi vrai. J’avoue que j’aurais voulu connaître autre chose. Affronter Mouscron par exemple.

« Chacun fabrique son bébé éprouvette »

Les Diables sont qualifiés pour la Coupe du Monde, les Espoirs vont jouer le Championnat d’Europe et plusieurs sélections de jeunes font de bons résultats: tout va bien, donc…

Saint-Jean: C’est ce que l’Union Belge voudrait faire croire. En tendant l’oreille, on entend même que ce sont déjà les premiers effets bénéfiques des centres de formation. On ne peut pas nier que la situation est déjà moins dramatique qu’il y a quelques années au niveau du travail avec les jeunes, mais il n’y a toujours aucune symbiose. En France, quand ça allait mal, la fédération a fait des propositions qui ont été acceptées par tout le monde. Ici, chacun continue à fabriquer son bébé éprouvette de son côté… Mouscron et quelques autres clubs sont bien équipés pour le travail avec les jeunes, mais il n’y a pas de collaboration.

Jacobs: Je constate une amélioration au niveau de la formation dans les équipes de D1, mais aussi un abandon de plus en plus prononcé du travail avec les jeunes dans les divisions inférieures. Trouver une clé de répartition équitable des indemnités de formation reste une condition sine qua non pour qu’on avance. Il faut aussi motiver les bons entraîneurs à s’occuper des jeunes. Pourquoi est-ce possible en France et aux Pays-Bas, et pas chez nous? Dans ces pays, un entraîneur de jeunes est payé comme un professeur et se concentre exclusivement sur un travail sportif dans un club. A temps plein.

En Belgique, on estime qu’engager un entraîneur de jeunes full-time, c’est de l’argent perdu. Et on en arrive à des situations aberrantes où le boucher du coin peut entraîner une équipe Première. En Hollande, si vous possédez le diplôme C, vous ne pouvez entraîner qu’au niveau amateur ou chez les jeunes. Vous n’avez aucune chance d’aller plus haut, sauf si vous vous perfectionnez. J’ai énormément de respect pour les bénévoles, mais on n’arrivera à rien si des pensionnés à la recherche d’une petite activité continuent à s’occuper des gosses qui veulent jouer au foot. La fédération commet l’erreur de se braquer uniquement sur le nombre d’affiliés: elle annonce fièrement 500.000 pratiquants mais néglige le fait que, chaque année, de nombreux jeunes joueurs arrêtent le foot. Si le quota reste élévé, c’est uniquement dû au fait que ceux qui arrêtent sont remplacés numériquement par de nouveaux affiliés en bas âge. Et pourquoi y en a-t-il autant qui arrêtent? Parce que les parents voient qu’on manque de gens compétents pour s’occuper de leurs gosses. Et ceux que vous perdez, vous ne les récupérez jamais.

Uniquement parce que l’encadrement n’est pas assez compétent?

Jacobs: Il y a aussi un problème d’infrastructures et d’organisation. Il faut prendre exemple sur le modèle scandinave, avec ses clubs multisports. Si un gamin en a marre du foot, on lui propose de faire de l’athlétisme ou autre chose en restant dans le même bain, avec les mêmes gens. Et rien ne dit que celui-là ne retournera pas au football deux ou trois ans plus tard. Là-bas, ceux qui font du foot en été, pratiquent le hockey sur glace en hiver. C’est un processus continu. Chez nous, quand on arrive au mois de mai, les entraîneurs disent aux gosses qu’ils sont sûrement fatigués et tout le monde est alors au repos pendant deux ou trois mois, alors que ce sont les meilleurs mois pour la pratique du football. Les jeunes qui veulent continuer à jouer au ballon sont confrontés à des panneaux qui interdisent l’accès aux pelouses.

« En 98, Guy Roux a réclamé 10.000 nouveaux terrains »

Pour Jean-François de Sart, la qualification des Diables, des Espoirs et des -19 prouve qu’il y a encore du talent en Belgique.

Saint-Jean: Il y a du talent partout dans le monde, et certainement en Belgique, où il existe une culture sportive. Mais si nous n’avons plus de Gaston Roelants ou d’Eddy Merckx aujourd’hui, c’est que le problème est ailleurs. Il est politique avant tout. C’est très bien de promouvoir le sport pour les dames, mais il faut analyser les choses sous un angle plus large. En offrant des infrastructures dignes de ce nom aux Belges qui sont des sous-développés physiques. Il faut le faire avant qu’il ne soit trop tard, avant que les aides de l’état ne soient considérées comme de la concurrence déloyale. Les Français sont occupés à mettre le paquet parce qu’ils savent que ces subsides seront bientôt interdits. Sur ce plan-là, je suis un privilégié à Mouscron, où on m’a aménagé tout ce que j’avais demandé. Cela a coûté pas mal d’argent, mais regardez le résultat: la vente de Blondel va payer tous les travaux réalisés au Futurosport depuis cinq ans!

Jacobs: Beaucoup de clubs de D1 se vantent d’avoir leur centre de formation, mais on ne voit pas dans leur équipe Première de joueurs formés au club. Ce n’est pas parce qu’on aligne des jeunes en D1 qu’on les a soi-même éduqués.

On est actuellement tenté de dire que tout va bien dans le football belge parce que l’équipe nationale A, les Espoirs et les -19 viennent de réussir de bons résultats. Alors qu’on disait que ça allait très mal il y a moins de deux ans, quand ces trois équipes n’avaient pas répondu aux attentes. Si les Diables ratent leur Coupe du Monde, si les Espoirs bâclent leur EURO et si les -19 passent aussi à côté de leur sujet, on dira de nouveau que notre football est très malade. La vérité se situe sans doute entre ces deux extrêmes. Les jugements émotionnels, qu’on fait à chaud, sont toujours dangereux parce qu’ils aveuglent les gens.

Saint-Jean: On est plus logique dans les pays voisins. Suite à l’échec des Néerlandais dans les qualifications pour la Coupe du Monde, c’est tout un pays qui s’est mis en branle. Les présidents, les entraîneurs et les patrons de la fédération se sont réunis pour une gigantesque discussion. Les journaux et les télés n’ont parlé que de cela pendant plusieurs semaines. Et tout ces gens sont allés sur le terrain, voir comment on travaillait dans les centres de formation. Quand la France est devenue championne du monde, Guy Roux a directement déclaré: -Pourvu qu’on aménage 10.000 terrains, pour que tous les jeunes puissent jouer au foot. Ici, dès qu’on gagne, on ne parle plus de rien.

Jacobs: Je n’aime pas tellement entendre que nos équipes nationales se sont qualifiées en misant sur leur caractère, leur enthousiasme. Je préfèrerais qu’on dise que la Belgique a un bon groupe en -19, mais surtout deux ou trois joueurs qui sortent vraiment du lot. Cela voudrait dire qu’au moins un d’entre eux aurait une chance de faire une grande carrière chez les Diables. J’ai vu récemment un match Belgique-Yougoslavie en -19 et j’ai fait remarquer à un voisin dans la tribune que deux ou trois joueurs yougoslaves étaient vraiment très bons. Il m’a répondu que je ne devais pas compter sur ces joueurs pour La Louvière parce qu’ils valaient déjà 300 millions sur le marché des transferts. Nous n’avons pas de tels talents en Belgique.

Pierre Danvoye dia 1 page 46

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