« Si tu doutes de trop, faut arrêter »

A 28 ans, l’attaquant bruxellois porte un regard critique sur sa situation et les derniers événements mouvementés du football belge…

Rencontrer Thomas Chatelle, c’est l’assurance d’un discours posé, réfléchi. Les déclarations tapageuses, très peu pour lui. Vous aurez beau plonger dans les archives, jamais en près de 12 ans chez les pros, une de ses sorties n’a boosté les ventes de quotidiens ou de magazines. Sauf un  » Trond Sollied exige de la discipline mais n’en possède pas « . C’était en 2000, après avoir quitté Gand pour Malines. Depuis lors, il a retenu la leçon.  » Je ne vois d’ailleurs pas l’utilité de régler ses comptes via les médias. Je ne fonctionne pas comme ça.  »

Et puis, faire son trou dans les pages people n’est pas de son ressort. Pas question de jouer au bekende voetballerJonathan Legear a beau lui disputer le flanc droit, il est son antithèse stylistique. Le Bruxellois a toujours été très éloigné du tiercé fashion victim/bling-bling/rutilantes cylindrées. Sa posture rime plutôt avec simplicité. Quand il s’agit de discuter le bout de gras pour les besoins de l’interview, la réponse coule de sens. Direction Via Appia, resto qui borde l’arrière du Cinquantenaire, chez son ami, Luca, rencontré au Collège Saint-Michel.

Chatelle a toujours fonctionné comme ça : en toute discrétion, près de ses proches.  » C’est vrai que j’ai toujours été atypique dans ce milieu. Je m’en rends parfaitement compte mais je n’en retire aucune fierté. Je crois même que cette façon dont beaucoup de gens me perçoivent a pu ou peut se retourner contre moi. D’ailleurs, je n’aime pas cultiver ce côté différent. Il ne faut pas non plus forcer le trait : dans les vestiaires, je ne reste pas prostré dans mon coin. Loin de là. Je suis quelqu’un d’ouvert, quelqu’un qui s’est toujours intégré facilement dans un groupe. Et je ne suis certainement pas du genre à dénigrer ce milieu qui m’emploie depuis une dizaine d’années. Grâce au foot, j’ai rencontré des tas de gars intéressants. Sébastien Pocognoli est aujourd’hui un véritable ami. J’ai pu aussi, très jeune, découvrir différentes cultures.  »

La Belgique au ralenti

Pour ceux qui ont eu la malchance de ne suivre le football belge qu’à partir des années 2000, le nom Chatelle est encodé dans les mémoires. Que ce soit en tant que nouvel espoir du foot belge, capitaine de Genk ou au travers de ses multiples et sérieuses blessures… Hormis le facteur salaire, ce n’était assurément pas la meilleure décade pour chausser les crampons. Comment expliquer ou plutôt résumer cette longue chute en avant ?  » Le problème de la formation revient inévitablement. Pendant que nous stagnions, les autres pays progressaient. Mais le facteur économique a joué un rôle déterminant : il y a dix ans, on retrouvait des joueurs qu’aujourd’hui, on ne pourrait pas se permettre. Nos étrangers n’apportent plus la plus-value qu’ils apportaient. Et par conséquent, l’attrait que les autres pays portaient à notre championnat s’est dégradé. Aujourd’hui, choisir de passer par la Belgique pour te faire repérer par des clubs de championnats plus huppés, ce n’est pas un choix judicieux. Quand j’évoluais à Gand, j’ai connu le cas de Laurent Delorge qui, après quelques bons matches, a pu signer à Coventry alors en PremierLeague. Même chose pour Cédric Roussel. Maintenant, tu dois sortir au minimum une grosse saison et évoluer en équipe nationale, pour espérer taper dans l’£il d’un club anglais ou d’un autre grand championnat.  »

Taper cinq hommes derrière, c’est, semblerait-il, la solution prônée par Anderlecht pour ramener des points sur la scène européenne. Peut-on aussi y voir un aveu d’impuissance ?

 » C’est difficile à dire. Je le répète, le football belge n’est évidemment plus du niveau d’il y a dix ans. Et puis, il ne faut pas être dupe : notre force a toujours été de se baser sur une bonne organisation et profiter des contre-attaques. Aujourd’hui, on a tendance à regarder ces choix tactiques négativement parce que notre foot a régressé, que le fossé avec les grandes nations continue de s’agrandir, qu’il est même devenu énorme. Les plus petits pays ou traditionnellement moins forts que nous, nous ont rattrapés, c’est un constat. Jouer à Borisov ou à Zagreb, ce sont des matches devenus difficiles, il ne faut pas se voiler la face. « 

A Anderlecht, on avait pourtant bonne mine de juillet à la mi-août. Le 5-0 infligé au vice-champion de Turquie, Sivasspor (aujourd’hui plongé vers les places de relégable en Superliga…) laissait penser qu’on n’était finalement pas si petit, l’avènement de Mattias Suarez donnait du spectacle, etc. Lyon a remis les choses en place et stoppé net le court moment d’euphorie.

 » L’OL, c’était une grosse cylindrée, trop grosse pour nous. Par après, il y a eu trop de changements, trop de modifications dans l’équipe pour un tas de raisons. Comment dès lors trouver une stabilité ? »

La stabilité, l’ailier du Sporting connaît plutôt mal ce terme depuis son arrivée au club en janvier 2008 :  » C’est frustrant. Cet été, j’avais fait une très bonne préparation, un très bon début de championnat. De super matches face à Sivasspor, contre le Standard et au bout du compte, tu te trouves hors de l’équipe…. La saison dernière, j’avais également connu une période difficile. J’en étais sorti sur la fin avec une période de dix prestations d’un bon niveau avec comme apothéose les test-matches. Je pensais pouvoir poursuivre sur ma lancée. Je dois malheureusement déchanter. « 

Moins de crédit que d’autres joueurs du noyau ?  » Difficile à dire. Être mis sur le côté, c’est dur à accepter, même si je sais que la concurrence est forte au poste auquel j’évolue, que certains choix tactiques privent le onze d’un joueur de flanc, etc. Il m’est arrivé de parler avec Ariel Jacobs de ma mise à l’écart. Mais à partir du moment où ça se répète, je ne crois pas que cela serve à grand-chose d’insister. Il connaît mon point de vue, je connais plus ou moins le sien… Dès le début de saison, il m’a parlé d’un système de tournante. De toute façon, je sais très bien que la meilleure façon de se faire respecter, c’est sur le terrain. Bon, quand tu reçois si peu de chances, ça complique les choses. Il faut sans cesse repartir de zéro.  »

Ballotté du banc au terrain, jusqu’à quand ?  » Quelles sont les alternatives, il n’y en a pas trente-six. Si une belle opportunité émanait de l’étranger, je ne dirais pas non. Mais pour cela, faudrait que je joue plus. Je sais que j’ai les qualités pour m’imposer à Anderlecht. Je l’ai déjà démontré. Mon jeu ne plaide peut-être pas en ma faveur, je ne suis pas le stéréotype du joueur spectaculaire, show-man, qui en rajoute. J’ai beau être le seul Bruxellois de l’équipe, ce n’est pas pour autant que je suis chouchouté par le public. Je ne doute toutefois pas de mes qualités et je n’en ai jamais douté. Je n’aurais pas réussi une carrière comme celle que je réalise si ça n’avait pas été le cas. Si tu doutes de trop, faut arrêter. « 

Les non-matches

Arrêter sa carrière (ou plutôt être forcé de l’arrêter), il en été un temps question au soir de Gand-Genk, d’un mois d’avril 2005, quand le défenseur australien des Buffalos, Stephen Laybutt arrache la cheville de Chatelle lors d’un tacle d’une extrême violence. Bilan des dégâts : fracture et déchirure des ligaments internes. Il restera sur le flanc pendant près de huit mois. Comment ne pas faire le lien avec la blessure que connaît Marcin Wasylewski ?

 » La blessure de Wasyl m’a, sur le moment, rappelé la mienne. Le contexte était différent, ce qui s’en est suivi aussi : Laybutt n’a même pas été sanctionné, il n’y a même pas eu de carte jaune brandie. Ce n’était pas le choc de l’année, il n’y avait pas l’effervescence du dernier Anderlecht-Standard. Mais ça m’a quand même coûté une saison et on a aussi parlé d’une possible fin de carrière. Je ne sais pas si on en fait trop aujourd’hui, ou qu’on n’en a pas fait assez à l’époque. Les images de ma blessure étaient choquantes, certes, mais dans le cas du Polonais, l’événement, la force médiatique, le personnage Wasyl ont accentué la gravité. Pour ce qui est de la blessure en elle-même, je ne pense pas qu’on en ait fait trop car ce qui lui est arrivé est une catastrophe. Malheureusement, les deux clubs ont remis de l’huile sur le feu après l’incident alors que la situation était déjà assez explosive…  »

Comment expliquer ce climat nauséabond avant, pendant, et après Clasico ?  » On a senti une grande nervosité entre les deux clubs à partir des test-matches ou plutôt les non-matches. Le point de non-retour avait déjà été atteint dès ce moment. Personne ou très peu de gens l’ont relevé car cela n’a eu aucune conséquence fâcheuse sur le moment, même si Mbark Boussoufa avait été durement blessé, que Wasyl avait joué des coudes,… tout cela étouffait l’aspect foot. Les test-matches n’ont jamais été une fête du football. Malheureusement, rien n’a été fait après pour calmer la situation, ni dans les clubs, ni dans la presse, etc. Les jours qui ont précédé le dernier Anderlecht-Standard, trop de ranc£ur était encore présente pour que cela se passe normalement.  »

L’époque prête-t-elle à ce type de situation ? Ce type de rencontre était-elle envisageable lors de ses débuts, fin des années 90 ?  » Aujourd’hui, la pression pèse davantage sur les épaules des joueurs : l’aspect financier a pris bien plus d’ampleur, et les médias sont de plus en plus présents. Cela se répercute sur les acteurs. Le contexte qui est créé aujourd’hui amène à des situations inévitables. Tu peux comprendre certains pétages de plomb, même si tu ne peux les accepter. « 

par thomas bricmont – photos: reporters/ gouverneur

« Je ne suis pas le stéréotype du joueur spectaculaire, show-man, qui en rajoute. »

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