Si t’as peur, t’es foutu!

Les deux gardiens évoquent le match de coupe de ce soir et leur vie à risques.

Franck Vandendriessche et Gert Doumen ont eu leur lot de malheurs. Le premier a été opéré à deux reprises des ligaments croisés. Le second vient d’être touché à Alost, voici dix jours: une légère commotion cérébrale et un pouce froissé. Rien de grave, cependant, il ne désespère pas de pouvoir effectuer son retour dès ce soir au Canonnier, en huitièmes de finale de la Coupe de Belgique.

Comment cet accident est-il survenu?

Doumen: La seule chose dont je me souvienne, c’est que je me suis retrouvé en situation de un-contre-un. J’ai reçu un coup sur le pouce et sur le visage. Lorsque j’ai ôté mon gant, le pouce était ouvert. Je souffrais aussi d’une légère commotion cérébrale. J’ai passé deux jours à l’hôpital. Finalement, il y a eu plus de peur que de mal. L’opération n’a pas été nécessaire.

Pour vous, Francky, cela avait été pire l’an passé?

Vandendriessche: En effet. Le 19 mars 2000, je me suis également retrouvé en situation de un-contre-un, face à Bartosz Tarachulski, un attaquant polonais de Beveren. J’ai plongé dans ses pieds et il a heurté mon genou: rupture des ligaments croisés. Cinq mois plus tard, je renouais avec la compétition. Etait-ce trop tôt? Je ne le pense pas. Je crois surtout que j’ai joué de malchance. Le 20 août 2000, j’étais entre les perches de l’Excelsior pour le deuxième match du nouveau championnat, face au FC Brugeois. Je me suis à nouveau retrouvé en situation de un-contre-un, cette fois face à Sven Vermant. Lui aussi a heurté mon genou. Le même genou. Et le médecin a établi le même diagnostic.

Ce n’est plus aujourd’hui qu’un mauvais souvenir?

Vandendriessche: J’en ai gardé de légères séquelles. Comme tout le monde qui a subi une opération, je pense. Je suis guéri à 90%. Mais je ne récupérerai probablement jamais les 10% restants. Parfois, après deux entraînements lourds, je ressens certaines raideurs le lendemain matin et j’ai du mal à descendre l’escalier. Je devrai apprendre à vivre avec cela.

Doumen: J’ai été victime de la même blessure, voici sept ou huit ans. Un choc à l’entraînement. Je pensais être de retour quatre mois plus tard. J’ai été écarté des terrains durant huit mois.

Seul face à son destin

Quel fut le moment le plus difficile à vivre?

Vandendriessche: La sensation d’être seul face à son destin. On voit les autres joueurs qui montent à dix ou à vingt sur le terrain d’entraînement. Le joueur blessé ne peut compter sur personne, hormis le kinésiste. Et il doit s’entraîner deux ou trois fois plus. Alors que tous ses coéquipiers rentrent chez eux après l’entraînement matinal, on doit rester au stade pour poursuivre sa rééducation. Sans compter les séances d’aqua-gym.

Doumen: Dans ces moments-là, il est important de bénéficier d’un accompagnement adéquat. De sentir la présence du kinésiste à ses côtés.

Avez-vous douté de votre retour au plus haut niveau?

Vandendriessche: Pas la première fois, car j’ignorais de quoi il ressortissait. Je n’avais jamais dû subir la moindre opération jusque-là. En revanche, après mon deuxième accident, j’ai craint que ma carrière soit terminée. Le médecin m’a rassuré: il m’a certifié qu’après une deuxième opération identique, et un peu plus de patience, je reviendrais.

Doumen: J’ai douté après cinq ou six mois de rééducation, parce que ma guérison prenait tellement de temps. Il faut une grande force de caractère pour s’en sortir.

Ressentez-vous désormais une certaine appréhension lorsque vous devez plonger dans les pieds d’un adversaire?

Vandendriessche: Pas du tout. A l’entraînement, je fais parfois plus attention, mais en match, je n’hésite jamais.

Doumen: Un gardien de but qui a peur est perdu. Si l’on ressent une appréhension, il vaut mieux arrêter sa carrière.

Est-ce pour cela que l’on dit qu’un gardien de but doit être un peu fou?

Doumen: Sans doute. Jean-Marie Pfaff m’en a encore parlé, après mon accident à Alost, voici dix jours. Il m’a conseillé de porter des lunettes de soleil lorsque je viendrais au stade. Je n’ai pas écouté son conseil. Les gens n’ont qu’à penser que je suis fou.

Quelle impression cela fait-il d’avoir Jean-Marie Pfaff dans le comité?

Doumen: Il se confine dans sa fonction de directeur commercial, mais il n’hésite pas à prodiguer l’un ou l’autre conseil. Pour un gardien, un petit mot peut être important. L’expérience d’un tel personnage est toujours utile. Il fut jadis l’un des meilleurs gardiens du monde.

Vandendriessche: Je l’ai admiré, mais je voue encore une plus grande admiration à Filip De Wilde. Pour sa sobriété et son efficacité.

Le rôle du gardien a fortement évolué en dix ans

La Belgique a toujours été réputée pour la qualité de ses gardiens de but. Mais, après une génération exceptionnelle, la relève a tardé.

Vandendriessche: Je n’oserais pas affirmer cela. Il y a aujourd’hui de très jeunes gardiens comme Silvio Proto, Cliff Mardulier, Olivier Van Impe et Philip Deckers qui sont pétris de qualité. Peut-être y a-t-il eu un trou après la génération des Filip De Wilde, Michel Preud’homme et autres Gilbert Bodart, qui sont restés très longtemps au sommet et ont ainsi barré le chemin de l’équipe Première à leurs successeurs potentiels. Mais ce trou s’explique aussi par l’introduction de la règle de la passe en retrait. Du jour au lendemain, le rôle du gardien de but a fortement évolué. Les gardiens de ma génération ne s’étaient jamais entraînés à jouer au pied. Nous pouvions nous contenter d’arrêter les ballons. Tout d’un coup, on nous a demandé d’être aussi de bons footballeurs. Cela a nécessité une période d’adaptation. Malgré cela, on a assisté à l’éclosion de très bons gardiens comme Geert De Vlieger, Frédéric Herpoel ou Bart Deelkens. Aujourd’hui, les gardiens s’entraînent à jouer au pied dès leur plus jeune âge.

Doumen: Francky et moi avons vécu en dix ans la plus forte évolution du rôle de gardien de but qu’ait connu l’histoire du football.

Quel souvenir avez-vous gardé de Mouscron?

Doumen: J’étais arrivé là-bas en cours de saison, parce qu’à la longue indisponibilité de Francky, s’est greffé la blessure de son substitut, Kurt Vandoorne. Je me trouvais à l’époque sur une voie de garage à Genk et j’ai accepté la proposition mouscronnoise sans hésiter. Je suis reconnaissant à l’Excelsior, car sans mon passage là-bas, je n’aurais peut-être jamais abouti au RWDM. Je n’ai pourtant joué que deux matches sous le maillot de l’Excelsior: contre le Standard et contre Genk. J’avais espéré jouer davantage, mais je n’en tiens rigueur à personne car je connaissais les données dès le départ. Mouscron est un club formidable. Tout est parfaitement organisé. Jamais de retard dans le payement des salaires. Un très bon terrain d’entraînement, de très bonnes infrastructures, deux kinésistes présents en permanence. Certes, le public est moins nombreux qu’à Genk. 20.000 spectateurs se pressent à chaque match au stade Fenix. Cet engouement s’est surtout déclenché après la conquête de la coupe et du titre. Il ne s’est jamais démenti depuis lors. Aujourd’hui, beaucoup de gens vont à Genk pour l’ambiance. Mais je me souviens qu’avant de se bâtir un palmarès, le club limbourgeois n’attirait aussi que 7 ou 8.000 spectateurs.

Mouscron doit regarder vers la Flandre

Mouscron aurait-il pu connaître le même engouement populaire que Genk si l’Excelsior avait été champion lors de sa première saison en D1, en 96-97?

Vandendriessche: Peut-être. L’enthousiasme, à l’époque, était extraordinaire. Lors du premier déplacement à Anderlecht, il y avait 50 bus de supporters. Lorsque nous sommes retournés au stade Constant Vanden Stock, voici dix jours, on était loin du compte. C’est compréhensible: Mouscron ne joue plus la tête et l’attrait de la nouveauté a disparu. En 96-97, des gens qui n’avaient jamais connu que des terrains de D2 ou de D3 ont découvert le Parc Astrid. Aujourd’hui, ils connaissent. Les plus fidèles y sont déjà allés six fois. Une certaine routine s’est installée. D’un autre côté, Mouscron et Genk ne sont pas comparables d’un point de vue géographique. Le club limbourgeois ne doit pas faire face à une énorme concurrence dans sa région. Au contraire de Mouscron: Lille est à 15 kilomètres et Lens à 30. Ces deux clubs français marchent le tonnerre et on peut comprendre que beaucoup de gens préfèrent aller voir des matches au sommet du championnat de France plutôt qu’un match moyen du championnat de Belgique. S’il y a encore un public potentiel à trouver, il faudra sans doute chercher du côté de la Flandre. L’intérêt en faveur de l’Excelsior grandit au fil des ans dans le nord du pays.

Un Flamand peut-il réellement s’identifier à Mouscron?

Vandendriessche: Pour cela, il faudrait que Mouscron se bâtisse un palmarès. On s’identifie toujours à une équipe qui gagne. Pour l’instant, il est évident que les gens de Courtrai ou Roulers iront plus facilement voir le Club Brugeois. Mais, si l’Excelsior remporte des trophées, je pense qu’ils seraient tout disposés à franchir l’E17 pour venir au Canonnier.

L’absence de palmarès constitue donc le principal handicap de Mouscron?

Vandendriessche: L’objectif du club est d’y remédier en remportant l’un ou l’autre trophée dans les années à venir. Il y a dix ans, l’Excelsior militait encore en Promotion. Mouscron a connu une croissance phénoménale. Maintenant, après avoir investi dans les infrastructures, il est temps d’investir dans l’équipe.

La Coupe pour sauver la saison

La Coupe constitue souvent le chemin le plus court vers l’Europe. Le match de ce soir est-il le plus important de la saison?

Vandendriessche: En tout cas, il est le plus important du mois de décembre. Davantage que les confrontations de prestige face à Anderlecht, Genk ou Bruges. En championnat, nous ne pouvons plus espérer grand-chose. Je me souviens que, certaines années, Genk avait aussi livré un championnat décevant mais l’équipe avait sauvé sa saison en remportant la Coupe de Belgique. Je ne veux pas encore envisager cette hypothèse pour Mouscron, ce serait prématuré. Une place en finale ou en demi-finale me comblerait déjà d’aise. Jusqu’à présent, la Coupe de Belgique a souvent débouché sur un flop pour l’Excelsior. Si nous battons le RWDM, nous serons déjà en quarts de finale. Le tirage au sort nous a été favorable en nous offrant un match à domicile, mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué et ayons conscience que l’équipe molenbeekoise n’a plus qu’un lointain rapport avec celle que nous avons battue 4-1 en championnat.

Doumen: Bien des choses ont changé, en effet. La confiance est désormais présente en nos rangs. Les transferts de joueurs comme Jimmy Smet, Mike Origi ou Edin Ramcic ont solidifié l’équipe. L’apport de l’entraîneur est également très important. Loin de moi l’idée de critiquer Patrick Thairet, mais il manquait d’expérience à ce niveau. Emilio Ferrera connaît parfaitement la problématique d’une équipe qui lutte contre la relégation. Dès les premiers entraînements, il a mis l’accent sur l’organisation, le positionnement et le système de jeu. En tapant toujours sur le même clou. Cela a porté ses fruits.

Vandendriessche: Lors de la confrontation entre les deux équipes en championnat, Mouscron comptait zéro point sur quinze. Il fallait battre le RWDM à tout prix. L’objectif a été atteint. Cette première victoire contre Molenbeek a provoqué le déclic pour l’Excelsior. Deux autres victoires ont suivi: à St-Trond et contre le GBA. Malheureusement, l’euphorie fut de courte durée. Nous sommes retombés dans nos travers. Cette saison, il n’y a aucune régularité dans nos prestations. Parfois, nous jouons bien pendant vingt minutes, puis cela s’effiloche. Lorsque nous ouvrons la marque, nous avons peur de perdre le bénéfice des efforts accomplis et nous nous crispons. C’était très perceptible contre La Louvière. Nous menons 2-0, et au lieu de continuer sur notre lancée pour inscrire un troisième but, nous nous sommes repliés.

Doumen: La confiance est importante. Voici deux mois, le RWDM s’effondrait au moindre but encaissé. Maintenant, nous sommes capables d’aller gagner à l’Antwerp, au Lierse et à Alost après avoir été chaque fois menés à la marque.

L’ambiance est au beau fixe au RWDM

Un déplacement à Mouscron ne doit donc plus vous effrayer?

Doumen: J’aurais préféré jouer à domicile, mais le sort en a décidé autrement. L’objectif principal du RWDM demeure le maintien. Mais nos récents succès en championnat nous ont permis de nous extraire un tout petit peu de la zone dangereuse. Alors, s’il y a moyen de grappiller l’un ou l’autre succès en coupe, pourquoi pas? Un beau parcours en coupe peut avoir des répercussions bénéfiques pour le prestige et la recherche du sponsoring. Sportivement aussi, c’est très excitant. J’ai déjà vécu deux finales de coupe sur le petit banc avec Genk, et même si l’on n’y participe pas directement, c’est un événement très spécial. L’ambiance est actuellement au beau fixe au RWDM. Les supporters ont toujours soutenu le club, y compris dans les moments difficiles, et maintenant que l’équipe a renoué avec la victoire, ils sont aux anges. Des liens très étroits se sont tissés entre les supporters et les joueurs.

Vandendriessche: On prétend qu’à Mouscron, l’ambiance est moins bonne pour l’instant. Je jure qu’il n’en est rien. Entre les joueurs, il n’y a aucun problème. Mais on peut difficilement être souriant après une défaite.

Pourquoi Mouscron vit-il une saison aussi laborieuse?

Vandendriessche: Nous sommes restés dans les starting-blocks au départ de la compétition et nous en subissons toujours les conséquences. Zéro sur quinze, cela laisse des traces. Ce départ raté s’inscrivait lui-même dans la foulée d’une avant-saison peu convaincante. En match amical, nous avons éprouvé les pires difficultés à battre des équipes comme Handzame et Lauwe. Nous nous imposions à l’énergie, jamais grâce à une bonne circulation de ballon. Ces matches amicaux contre des équipes de divisions inférieures sont en principe destinés à prendre confiance. C’est au contraire le doute qui s’est installé.

Daniel Devos

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