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 » Si Ostende m’avait gardé, je serais allé à l’unif « 

À 34 ans, Silvio Proto vient de quitter le championnat belge pour la première fois de sa carrière. Après un été rempli de rebondissements, il n’est pas question pour lui de se la couler douce à l’Olympiacos.

Le spectacle n’est pas très beau à voir. Pourtant, à l’instar des innombrables lieux historiques d’Athènes pour lesquels des centaines de touristes acceptent de délaisser l’air conditionné de leurs énormes bus, la plage de Glyfada est noire. Mais pas de monde, de pétrole.

Début septembre, un tanker transportant plus de 2200 tonnes d’hydrocarbures a fait naufrage près d’une île située à quelques kilomètres au sud d’Athènes. Toujours à l’hôtel en attendant son vrai emménagement, Silvio Proto jette un oeil sur les photos.

 » Je pense que les enfants vont éviter la plage ces jours-ci « , raisonne-t-il. Question marée noire, l’ancien Diable Rouge a été servi cet été. Accusé par ici d’irrespect, par là d’égoïsme, le gardien a tenu à justifier son choix d’opter pour l’Olympiacos. Son rêve. Le dernier.

En mai 2005, le titre avait fait l’effet d’une bombe dans la presse : « Proto au FC Barcelone ». Un média belge avait alors assuré que tu allais rejoindre la Liga.

Silvio Proto : Je me souviens que mon manager avait fait le déplacement jusqu’à Barcelone. C’était assez bizarre parce que le club voulait me prendre et directement me prêter ailleurs pour que je joue. J’étais jeune mais malgré tout, je n’étais pas fort impressionné. Peut-être qu’à l’époque, je n’ai pas été assez audacieux et que j’ai fait le choix de la sécurité : j’étais titulaire chez les Diables Rouges et mon épouse n’avait pas fini ses études. J’ai donc préféré l’étape intermédiaire à Anderlecht.

12 ans plus tard, sans avoir quitté la Belgique dans l’intervalle, tu pensais vivre un été 2017 calme à Ostende…

Proto : Tout à fait. C’est au moment où Guillaume (Gillet, Ndlr) a signé à l’Olympiacos que les choses ont changé. Je l’ai félicité, puis j’ai très vite entendu que Besnik Hasi cherchait un deuxième gardien, donc je l’ai contacté en lui disant que ça m’intéressait. Il a été surpris parce qu’il pensait impossible que Proto accepte le banc. Je lui ai répondu que si Anderlecht m’avait clairement expliqué qu’il comptait faire confiance à un jeune gardien (Svilar, Ndlr), j’aurais peut-être accepté d’être deuxième. Besnik a donc parlé de moi à son directeur sportif. Quelques jours plus tard, il est revenu à la charge en demandant comment on pouvait s’arranger avec Ostende. C’était un rêve.

 » Je n’étais pas le plus épanoui à Ostende  »

À ce moment-là, tu te dis que c’est réglé ?

Proto : À 34 ans, compte tenu des bons contacts que j’ai avec le président et suite au discours de mon agent (Jacques Lichtenstein, Ndlr) au moment de rejoindre Ostende un an plus tôt, je me dis que le club ne me bloquera pas. Je prends donc le pouls en demandant par message à Marc Coucke si je peux partir gratuitement au cas où un club me ferait une offre. Il me répond : « Non, c’est hors de question. Pour le bon fonctionnement d’Ostende, aucun joueur ne partira gratuitement. » Malgré mes arguments concernant mon arrivée gratuite un an plus tôt, mon implication constante et le fait que je ne me sente pas spécialement heureux ni à mon meilleur niveau à la Côte, il l’a un peu mal pris.

Pas spécialement heureux ?

Proto : Quand tu dois te lever à 6 h du matin pour faire la route jusqu’à ton club, que tu reviens tard et que tu dois encore aller faire des exercices de musculation individuels parce qu’il n’y a pas de salle au club, c’est embêtant. Je n’étais pas le plus épanoui. Mais je prenais sur moi, je me disais :  » Tant pis, il me reste trois ans de carrière, on va tirer comme ça !  » Avec le recul, je dois dire que le passage d’Anderlecht à Ostende a été spécial. Quand tu passes d’un club, où tu as vingt douches à température réglable, à Ostende où les douches sont froides en plein hiver, ça fait un choc. Tous les joueurs passés par Anderlecht ont ressenti la même chose. Surtout qu’à mon arrivée, on m’a promis un nouveau centre d’entraînement… Je ne peux pas dire que j’étais malheureux, mais je n’étais pas heureux non plus.

Pourquoi Marc Coucke a-t-il mal pris ton message ?

Proto : Il a pensé que c’était une stratégie de Mogi Bayat pour déstabiliser le club alors qu’à ce moment-là, il m’avait juste appris que l’Olympiacos cherchait un deuxième gardien. C’est moi qui ai décidé seul de contacter Marc Coucke. Il faut aussi préciser qu’à ce moment-là (début août, Ndlr), je n’avais pas encore d’offre de l’Olympiacos, c’était juste des suppositions. Marc Coucke a pensé que le deal était déjà fait depuis belle lurette, mais je n’avais rien, je ne lui citais même pas le nom du club.

 » Dans mes messages à Coucke, il n’y avait rien de méprisant  »

Devant le refus du président, tu laisses tomber l’affaire dans un premier temps ?

Proto : Je me dis qu’il ne veut pas. C’est dommage, mais je suis tout de même prêt à rester à Ostende. Puis j’ai un nouveau contact avec Besnik Hasi, qui insiste. Le temps des suppositions était fini, c’était devenu du concret : le club me voulait. Je tente donc une dernière fois ma chance auprès de Marc Coucke. Je lui envoie un long message dans lequel j’explique toutes les raisons qui me poussent à vouloir rejoindre l’Olympiacos. Parmi celles-ci, il y a le fait que je n’avais quasiment aucun contact avec Yves Vanderhaeghe. Alors qu’on a joué ensemble, je pense que c’est le coach avec lequel j’ai eu le moins de rapports.

C’était dû à un manque d’affinités ?

Proto : Ouais peut-être, je ne sais pas. Nico Lombaerts non plus n’avait pas de contact, je trouvais ça un peu spécial. (D’après nos informations, Proto et Lombaerts n’étaient pas dans les petits papiers du coach parce qu’ils n’étaient pas ses transferts, mais ceux du président Marc Coucke, Ndlr.) Dans ma carrière, j’ai toujours eu des contacts privilégiés avec mes entraîneurs et là, à la limite, je n’ai reçu que des critiques et des remarques. Suite à mon transfert en Grèce, pratiquement tous mes anciens entraîneurs m’ont félicité sauf lui. C’est qu’il y avait un malaise. À un certain moment, j’ai été le trouver pour savoir quel était le problème, il m’a répondu : « Aucun souci, tu es exemplaire, tu fais ton taf, etc. »

Il s’est dit que l’atmosphère du vestiaire ostendais n’était plus au beau fixe ?

Proto : Non, l’atmosphère était parfaite ! J’ai toujours eu des top contacts avec mes coéquipiers, il y avait quelque chose de plus familial qu’à Anderlecht. Après l’entraînement, on allait manger un bout ensemble… ce qu’on ne faisait pas au Sporting.

Fin août, à trois jours de la clôture du mercato, les choses s’accélèrent mais ta relation avec Marc Coucke en prend un coup.

Proto : Après mon long message envoyé au président, il a parlé d’un manque de respect dans la presse. Je pense que j’ai respecté le club jusqu’au bout. Je pourrais montrer les messages que je lui ai envoyés, il n’y a rien de méprisant. Je conçois qu’il ait voulu récupérer de l’argent, mais je suis arrivé gratuitement. Ce n’était pas logique.

 » J’ai écrit à Devroe qu’il était hors de question que je reste  »

De l’extérieur, on voit Marc Coucke comme un personnage exubérant, expansif et souriant. Tu l’as aussi découvert comme un vrai businessman.

Proto : Lors des derniers jours, j’ai davantage été confronté à l’homme d’affaires qu’au président. J’ai toujours un énorme respect pour lui, mais je n’ai pas apprécié qu’il ne se mette pas à ma place : je n’aurais plus eu d’opportunités comme celle-ci. D’ailleurs je lui en aurais voulu énormément si j’avais dû rester à Ostende. Il ne faut pas oublier que l’année passée, je me suis pété les ligaments du genou et qu’on me pronostiquait d’abord neuf mois de revalidation. J’aurais très bien pu me dire : « J’ai quatre ans de contrat, je me laisse aller. Même si je ne reviens pas, je m’en fous, ils doivent me payer. » Mais je me suis battu, j’ai refusé l’opération, j’ai bossé comme un fou 3-4 heures par jour et je suis revenu après trois mois. Pour Marc Coucke et l’offre qu’il m’avait faite en 2016. Mais ça, le club l’a oublié cet été…

Quel est le déclic final pour débloquer ton transfert ?

Proto : J’ai écrit à Luc Devroe : « Je veux absolument aller à l’Olympiacos et je vais tout faire pour y aller ! Il est hors de question que je reste à Ostende vu que le club me bloque pour partir. Je trouve que c’est un manque de respect et quoi qu’il arrive, vous pouvez transférer un autre gardien. »

Luc Devroe a pris ses dispositions et a transféré Mike Vanhamel, en provenance du Lierse…

Proto : Le 31 août, il m’a appelé en disant : « Demain, il y a entraînement à 17 h. » Je ne comprenais pas vu que normalement, la séance était prévue à 10 h. « Tu vas rejoindre le noyau B », a-t-il poursuivi. Mais j’étais sûr qu’ils n’allaient pas le faire : ils n’allaient pas me laisser trois ans là-bas tout en payant mon salaire. On dit que les footballeurs sont cons, mais j’ai bien capté que c’était une tactique : à travers ce discours, Ostende m’a fait comprendre que j’allais devoir payer pour partir.

Tu as pensé à ton avenir au cas où le transfert en Grèce ne se faisait pas et que tu restais dans le noyau B ?

Proto : Ça aurait été emmerdant, mais je serais allé à l’université. Je comptais aller faire des tests pour voir dans quelle branche me diriger. Le plus simple aurait été d’opter pour des études de Droit, pour lesquels la présence au cours n’est pas obligatoire. Mais d’un autre côté, c’est long…

 » à l’Olympiacos, je retrouve la pression  »

Ton transfert s’est vraiment réglé dans les dernières heures du mercato ?

Proto : Après mes messages à la direction, j’ai contacté Mogi Bayat, vu que Jacques Lichtenstein ne m’avait été d’aucune aide dans ce dossier. Il n’en revenait pas qu’on ait osé me mettre dans le noyau B et m’a dit : « T’inquiète pas, je vais arranger la situation. » J’étais un peu désespéré, ça sentait vraiment mauvais. Mogi a été un grand seigneur parce qu’il a laissé tomber sa commission pour payer une partie du transfert là où j’ai abandonné une partie de mon salaire. L’Olympiacos a mis la différence. Mais je ne préfère pas évoquer les chiffres.

Comment vois-tu ce rôle de deuxième gardien ?

Proto : Quand j’arrive à l’entraînement, aujourd’hui, j’ai vraiment faim. Je prends ça comme un nouveau challenge. En Belgique, j’ai dépassé les 500 matchs, j’ai gagné le championnat, la Coupe, le titre de meilleur gardien… Je pense que c’était devenu une routine. Et ma famille l’a remarqué : mon attitude sur le terrain n’était plus la même qu’à l’époque d’Anderlecht. Ici, je vais pouvoir retrouver la pression, la Champions League…

Tu t’es tout de même fixé un objectif en termes de matchs ?

Proto : Je vais peut-être jouer beaucoup moins qu’à Ostende où j’étais dans un fauteuil et où j’aurais pu être titulaire jusqu’à la fin de ma carrière. En général, le deuxième gardien joue la Coupe (Silvio a été titularisé mardi dernier lors de la victoire de l’Olympiacos contre Asteras Tripolis 2-1, Ndlr). Mais je suis aussi ici pour aider le jeune gardien titulaire, Stefanos Kapino. Et je prends ça à coeur, j’essaie de l’aider à devenir le meilleur possible. Et s’il a une défaillance ou une blessure – ce que je ne lui souhaite pas – je serai là pour aider l’équipe à atteindre ses objectifs. Je ne suis pas en vacances pendant deux ans. Je me prépare à chaque fois comme si j’allais jouer et je suis évidemment déçu de ne pas être titulaire. Si je ne l’étais pas, c’est qu’il y aurait un problème.

 » J’ai l’impression d’être à Anderlecht  »

Tu retrouves aussi un club du top…

Proto : J’ai l’impression d’être à Anderlecht, ici. Mon expérience au Sporting a vraiment été extraordinaire. Au point qu’avec le recul, je comprends même qu’ils aient voulu faire de la place pour que Svilar émerge.

Du coup, tu peux aussi te dire : « Merde, je suis parti pour lui et il n’est plus là ! « 

Proto : Il y a eu un souci de communication : les dirigeants se sont peut-être dit qu’après toutes ces années, je ne me contenterais pas d’être sur le banc. C’est vrai, parce que j’ai toujours envie de jouer. Mais peut-être qu’à un moment, je me serais dit qu’à 34 ans, aider un petit jeune à se lancer dans une carrière serait une bonne chose. Ce que je fais ici…

Ce n’est pas une forme de message caché aux dirigeants bruxellois ?

Proto : Je ne critiquerai pas Anderlecht parce que j’ai énormément de respect pour ce club. Si je prends ma situation personnelle, ça fait évidemment mal de se faire jeter dehors. Mais si je me mets à la place des dirigeants, qui ont alors une jeune pépite dans les bras, je comprends qu’ils veuillent miser sur l’avenir et qu’ils me remercient en me laissant partir gratuitement. J’aurais d’ailleurs pu me retrouver deuxième gardien à l’AS Monaco grâce au club. Mais mon agent m’a présenté la proposition d’Ostende comme étant la plus intéressante. (D’après nos informations, l’agent de l’époque de Silvio aurait trouvé un meilleur arrangement personnel avec les dirigeants côtiers, Ndlr).

Mais tu regrettes malgré tout un manque de dialogue dans cette séparation avec Anderlecht.

Proto : Le discours de mon agent était : « Tu dois partir ! « , pas « Tu peux rester, tu vas être deuxième ». Mais Herman Van Holsbeeck ne m’a pas dit en direct que je devais m’en aller. Par la suite, je me suis demandé ce qui se serait vraiment passé en cas de titre (la condition pour que Silvio soit prolongé, Ndlr). Anderlecht aurait perdu Svilar parce que son père ne voulait pas de moi… Quoi qu’il en soit, si j’étais resté, j’aurais joué.

Ce manque de communication avec le Sporting serait-il dû à une relation compliquée avec Herman Van Holsbeeck ?

Proto : Non j’ai toujours eu de très bons contacts avec Herman. Un jour, j’aimerais d’ailleurs aller manger un bout au resto avec lui pour qu’on discute de cette situation au calme. Parce que je ne l’ai jamais critiqué et je le respecte de m’avoir tant offert au Sporting.

 » J’espère jouer le dernier match de ma vie avec Anderlecht  »

On sent qu’il te manque tout de même quelque chose pour que ton histoire avec Anderlecht soit vraiment parfaite…

C’est sûr que j’aurais aimé jouer toute ma carrière à Anderlecht. D’ailleurs, j’espère toujours jouer le tout dernier match de ma vie avec le Sporting.

Un premier départ pour l’étranger à 34 ans, ça doit faire bizarre…

Proto : Quand j’ai signé ici, on s’est dit avec mon épouse que j’aurais dû faire ça avant. J’avais des craintes pour ma famille, mais là il y a une école internationale à dix minutes, mes enfants sont plus grands et vont apprendre l’anglais. Tout se met vraiment bien pour qu’on se dise : « On va être heureux ici !  » L’argent ne fait pas tout, l’aventure humaine vaut le coup d’être vécue.

PAR ÉMILIEN HOFMAN À ATHÈNES – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je ne peux pas dire que j’étais malheureux à Ostende. Mais je n’étais pas heureux non plus.  » – Silvio Proto

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