« Si les dégoûtés s’en vont, il ne reste que les dégoûtants…

Voici pourquoi et comment le jeune Namurois a plaqué son brillant avenir d’arbitre.

Saison 2007-2008. Dimitri Godart (35 ans) est une valeur sûre des arbitres de D2. L’homme, qui gagne sa vie en gérant une taverne à Ciney, semble sur une voie royale pour passer en D1 dès le championnat suivant. Cette saison-là, il est suivi par trois observateurs différents de la Commission centrale des arbitres (CCA). Tous d’anciens sifflets de haut niveau :

22 septembre 2007, Eupen-Tirlemont. Observateur : Léon Schelings. Commentaires figurant dans son rapport officiel sur Godart :  » Forte personnalité. Dégage une impression d’assurance et de détermination maximum. Rien ne semble pouvoir l’ébranler (…) Très bonne technique. Très bonne lecture du jeu (…) Très bonne prestation de Dimitri qui a confirmé ce que j’avais déjà vu la saison dernière (…) Il possède toutes les qualités pour progresser (…) Il faut le désigner dans les rencontres difficiles de D2 pour connaître ses limites.  » Cotation globale : 8/10, soit  » Très bien « . Possibilités : 3, ce qui veut dire qu’il est capable de monter d’une série.

6 janvier 2008, Courtrai-Beveren. Observateur : Fernand Meese. Commentaires :  » Très calme et sûr de lui. Auto-évaluation positive (…) Malgré une condition physique qui n’est pas directement son point fort, il était toujours proche de l’endroit où ça brûlait (…) Bonne collaboration avec deux bons assistants (…) Lors de ce match de D2 pas facile à arbitrer, Monsieur Godart a livré une prestation très positive, surtout caractérisée par une très bonne technique et une très bonne exécution de l’autorité. De plus, il possède une très forte personnalité qu’il transmet de façon naturelle aux joueurs et au public. On sent que l’arbitre est le patron sur le terrain.  » Cotation : 8/10. Possibilités : 3.

16 février 2008, Tubize-Union-St-Gilloise. Observateur : Michel Piraux. Commentaires :  » Un rayonnement sur et en dehors du terrain qui permet à l’arbitre d’être respecté de la première à la dernière minute (…) Force est de constater que l’arbitre est sur le bon chemin. A lui de continuer dans ses efforts (…) Jamais mis en difficulté grâce à une autorité naturelle forte qui est l’atout premier de cet arbitre (…) Dimitri est prêt à gérer toutes les tâches de la division et surtout capable également d’en affronter certaines de la division supérieure.  » Cotation : 7,9/10. Possibilités : 3.

La voie de garage plutôt que la D1

Mais aujourd’hui, Dimitri Godart n’est pas en D1. Il n’est même plus arbitre du tout. Il a démissionné en septembre 2009. Trop dégoûté par tout ce qui s’est passé entre sa confirmation en D2 et cette rupture de contrat de commun accord signée avec la CCA.

Dimitri Godart : L’arbitrage en Belgique, on pourrait en parler pendant 105 ans, on n’aurait pas encore tout dit ! Il se passe des trucs tellement énormes. Dans le milieu, tout le monde sait qu’il y a plein de problèmes, chacun en parle dans son coin, aux entraînements et aux repas d’arbitres, mais personne n’ose dénoncer publiquement le malaise. Moi, je l’ai fait : j’ai donné une interview à Sud Presse en novembre 2008. Ce n’était pas bien méchant, je signalais surtout que si on voulait changer les mentalités à la CCA, il fallait d’abord changer les personnes. C’était déjà beaucoup trop dur : on m’est vite retombé dessus. J’ai été convoqué à la Commission, on m’a rappelé les règles de déontologie et on m’a demandé d’être discret dans le futur.

Vous étiez certain que vous alliez passer en D1 ?

C’était le cheminement logique. J’étais dans l’arbitrage depuis plus de 15 ans, j’avais sifflé deux ans en Promotion, cinq ans en D3 puis cinq en D2. Ma saison 2007-2008 en D2 avait été très bonne. Tout le monde était conscient que je devais monter en D1. Mais pour une fois, la CCA n’a fait monter personne en fin de saison. Comme par hasard… En janvier 2009, Christof Virant est passé en D1 : un Limbourgeois comme Robert Jeurissen, le patron de la CCA. Encore un pur hasard… Virant répond à certains critères : il n’est pas mauvais et il est jeune. Mais bon… Moi, je suis Namurois : je viens d’une province qui, comme le Luxembourg, ne représente rien du tout à l’Union belge.

Pendant cette saison 2007-2008, il y a eu ce fameux match Eupen-Tirlemont et une plainte contre vous pour propos racistes… On vous reprochait d’avoir traité de  » sale noir  » un joueur de Tirlemont, Michaël Lacroix.

On y vient ! Pendant le match, Lacroix me sort tous les noms d’oiseaux, du style  » arbitre de pétanque « . Il continue dans les escaliers qui mènent aux vestiaires et je lui sors la carte rouge. Il ne la voit pas. Je suppose qu’une fois dans le vestiaire, ses coéquipiers lui ont dit qu’il avait pris le carton. Quelques minutes plus tard, un policier d’Eupen vient me dire que Lacroix a déposé plainte contre moi pour propos racistes. Il y avait plein de monde autour de nous mais personne n’a rien entendu ! Le lundi, Het Laatste Nieuws me met en première page, avec ma tête en noir et blanc : toutes les allures d’un skinhead ! Le blanc au crâne rasé qui insulte un noir : facile… Au journal télévisé du soir, on donne la parole à Lacroix mais on ne m’appelle même pas. Bref, je deviens l’arbitre raciste alors que je n’ai rien dit au joueur. Je serais assez courageux pour assumer si j’avais dérapé, mais il n’y a rien eu du tout. D’ailleurs, le dossier du Parquet d’Eupen a été classé sans suite !

Comment a réagi la CCA ?

Au lieu de contre-attaquer, elle a laissé les choses se passer, comme à son habitude. Robert Jeurissen s’est contenté de déclarer dans les journaux et à la télé qu’il me connaissait bien et qu’il ne croyait pas le joueur. Il me l’a directement répété. Mais la CCA devait aller bien plus loin. Comme elle devrait réagir chaque lundi quand autant d’arbitres se font descendre. Mais non, elle ne bouge pas. Je ne comprends pas comment il n’y a jamais eu de grève des arbitres en signe de protestation. Le problème est que dans ce cas-là, la CCA trouverait toujours bien assez de béni-oui-oui pour siffler les matches.

 » Couille molle « 

Une autre affaire a marqué votre saison : l’après-match Charleroi-Beerschot, en mars 2008.

J’étais quatrième arbitre, celui qui n’a qu’un boulot administratif et a très froid pendant tout l’hiver… Tim Pots était arbitre principal. Charleroi réclame un penalty, Pots ne donne rien. Dans mon dos, j’entends alors : -Couille molle, tu as une oreillette à 6.000 euros et tu ne lui dis rien ? Je me retourne : c’était Mogi Bayat, juste derrière le grillage. A la mi-temps, un steward lui ouvre la grille et il se retrouve dans le tunnel qui mène aux vestiaires : pas normal, il n’a pas le droit d’être là. Juste avant la fin du match, je dis au steward de ne plus laisser passer personne avant que tout le monde soit rentré dans les vestiaires. Mais Mogi lui lance sans doute l’une ou l’autre insulte et se retrouve à nouveau dans ce tunnel. Quand il est face à moi, je lui dis : -Qui êtes-vous ? Vous êtes sur la feuille de match ? Il me répond : -Je vais t’en mettre une. Et il insulte aussi Tim Pots. La routine. Je fais un rapport et l’affaire passe au Comité sportif à la fin du mois de mars. Quelques heures avant la séance, Mogi Bayat dépose plainte contre moi pour calomnie et propos racistes. Sa plainte est déposée plus de deux semaines après le match ! Moi, je suis sûr que si j’ai des propos racistes envers lui, il m’en colle une directement et ameute toute la presse dans les minutes qui suivent. Quand le président du Comité sportif demande à Laurent Denis, l’avocat de Mogi Bayat, s’il a des questions, Denis me lance : -Monsieur Godart, êtes-vous raciste ou xénophobe ? Sidérant. Guy Goethals, qui est la seule personne capable de sortir la CCA du marasme, m’a directement dit que la plainte de Bayat était seulement destinée à faire traîner les choses. Cette affaire est d’ailleurs toujours en correctionnelle à Charleroi.

Un mois plus tôt, c’est avec Abbas Bayat que vous aviez eu une altercation…

Oui, il m’a agressé dans un couloir de l’Union belge. Je venais de témoigner dans l’affaire du match Malines-Charleroi, où Abbas Bayat avait jeté un billet à l’arbitre Raf Bylois. J’ai simplement expliqué ce que j’avais vu et entendu. En sortant de la salle d’audience, Abbas Bayat a menacé Bylois puis il m’a enguirlandé.

La position de la CCA dans l’affaire Charleroi-Beerschot ?

Ils m’ont dit que j’avais bien fait mon boulot mais que j’aurais pu passer  » à côté de Mogi Bayat  » pour ne pas me retrouver nez à nez avec lui… Les autres arbitres l’auraient fait, apparemment. Toujours ce monde de béni-oui-oui, de gars qui ont peur en permanence de perdre leurs privilèges s’ils ne marchent pas dans les bonnes traces.

 » Tu traînes des casseroles « 

Suite à ces affaires, c’était dangereux d’attaquer la CCA dans un journal, non ?

Je n’ai pas l’impression d’avoir été exagérément sévère quand je me suis expliqué à Sud Presse. Pourquoi faut-il changer les personnes à la CCA ? Parce que certaines sont là depuis 30 ou 40 ans : ce n’est jamais bon. En m’adressant au journaliste, je me suis dit : -Ça passe ou ça casse, mais si les choses ont un peu changé, ça doit passer. Mais non, rien n’avait évolué. Quelques semaines après la parution, la CCA refaisait ses classements et cinq arbitres de D2 devaient recevoir une chance en D1. Mon nom n’a même pas été évoqué. Il semble qu’un dossier disciplinaire à mon encontre soit entre-temps parti de la CCA vers le top de l’Union belge. Avec cette conclusion : -Qu’est-ce qu’on va faire de Godart ? La CCA m’a convoqué pour aborder le fameux article. J’y suis allé sans avocat : c’est rare car aujourd’hui, même les arbitres se déplacent avec leur avocat ! J’ai dit que j’assumais tout.

Mais cela vous a coûté très cher !

Quand on m’a annoncé que je n’étais pas dans les montants en D1, Goethals m’a dit : -Je vais être clair, tu traînes quelques casseroles. A la CCA, ils ne veulent pas des gens qui font des vagues. Je connaissais le système. Je suis parti parce que j’étais dégoûté. Et si tous les dégoûtés s’en vont, il ne restera plus que des dégoûtants. Des gars qui se nourrissent du système. Des types qui acceptent de facto les stratégies de la Commission. Un exemple : si tu déranges, on ne t’enverra pas les mêmes observateurs que si on souhaite ta promotion dans la division supérieure. Un cas parlant : David Delferière vient d’être promu international après avoir arbitré à peine dix matches en D1. Une promotion à la Virant. Sans remettre en cause les qualités de Delferière, que je trouve ni meilleur ni moins bon que certains autres, c’est clair que tout est un peu plus facile quand on est le fils d’un vice-président du Comité exécutif. Cette promotion a fait à la fois sourire et grincer des dents. Il faut créer des internationaux, la FIFA et l’UEFA exigent qu’ils soient jeunes. Alors, la CCA nomme ses jeunes. Sans se demander nécessairement s’ils ont le niveau ou s’ils sont les meilleurs. Elle pourrait limiter le nombre si elle estimait qu’elle n’a pas assez de bons jeunes. Mais ça diminuerait le nombre de missions à l’étranger pour les membres de la CCA et ce serait la catastrophe pour ceux qui se nourrissent de ces petits et grands voyages… Même principe pour les examinateurs en D1. Pour coter l’arbitre d’un match du Standard, on peut envoyer un gars qui n’a jamais sifflé plus haut qu’en D3. Le gars est content, il a son petit parking et son café à la mi-temps. S’il est vraiment gentil, il sera même invité au resto. Un jour, j’ai demandé à un arbitre de D1 où il était allé le week-end précédent et comment ça s’était passé. Il m’a répondu : -On a bien mangé après le match. C’est révélateur. On va dire que Dimitri Godart est un frustré. Non : ce que je dis aujourd’hui, je le disais déjà quand j’étais encore arbitre. Ce que Marcel Javaux fait à Studio 1, c’est bien, mais ce serait encore mieux si des avis pareils venaient d’un type qui est toujours dans le bain. Malheureusement, je n’y crois pas du tout. Frank De Bleeckere ne se mouillera jamais là-dedans. Alexandre Boucaut est allé récemment à la télé : tout ce qu’il a déclaré était clairement du préenregistré. On voit directement que le gars n’est pas du tout convaincu de ce qu’il raconte. Entre les discours et la réalité, il y a plus qu’un monde.

 » Dites-vous bien que vous êtes dans un monde de putes « 

La vie sans l’arbitrage, c’est comment ?

La façon dont ma carrière s’est terminée est révélatrice du malaise. J’ai demandé un rendez-vous au top de la CCA : Jeurissen, Goethals et les deux vice-présidents, Michel Piraux et Marcel Van Elshocht. Ils m’ont reçu dans un hall de l’Union belge. Tu as donné à l’arbitrage pendant des années et des années, on t’a encore dit récemment que tu étais très bon, mais tu n’as droit qu’à un couloir pour un entretien important. Ils m’ont dit : -Qu’est-ce que tu veux ? J’ai répondu : -J’arrête. Et ma rupture de contrat, je l’ai signée debout dans un couloir du centre d’entraînement à Louvain.

Vous n’avez pas envisagé d’aller en justice pour faire respecter vos droits ?

J’aurais pu y aller et exiger d’être promu en D1 sur la base des bons rapports notamment. J’aurais peut-être gagné. Geert Barbry l’a fait après avoir été exclu parce qu’il avait atteint la limite d’âge. Il a obtenu raison et est remonté sur les terrains. Il a même peut-être pris ma place en D1 parce que je risquais de monter au moment où il a été réintégré. Moi, je ne joue pas à ça. C’est fini, ce monde n’est vraiment plus pour moi. Quand je vois des arbitres de 21 ou 22 ans qui se battent, montent en Promotion, puis voient plus haut et font plein de projets, j’ai envie de leur crier : -Hé les gars, dites-vous bien que vous êtes dans un monde de putes. Je suis de plus en plus étonné qu’autant de gens s’accrochent à l’arbitrage en Belgique.

Comme preuves de la véracité absolue de tout ce qu’il avance, Dimitri Godart nous a montré tous documents originaux ad hoc dont les rapports d’arbitre, le courrier du Parquet d’Eupen, les courriers de l’Union belge et les procès verbaux d’audition de la police de Charleroi.

par pierre danvoye – photos : laurent brandajs

« L’arbitrage en Belgique, on pourrait en parler pendant 105 ans… »

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