» Si je reniais le Standard, je me renierais aussi ! « 

Le Serpent n’a jamais caché son admiration pour Anderlecht où le départ du grand Romelu, même si c’était prévu depuis longtemps, augmentera le poids de ses responsabilités.

Les grandes nouvelles ne cessent de se succéder dans la maison mauve. Quelques heures après la joyeuse entrée de Milan Jovanovic dans son nouveau stade, acclamé par les 24.000 supporters d’Anderlecht-Malines, Romelu Lukaku réalisait le rêve de sa vie en signant à Chelsea. Tout le monde comprend ce départ qui propulse son talent dans une autre dimension tout en procurant des liquidités à son ancien club. Il est parti sur un dernier coup d’éclat, son but contre Malines (3-1). La division offensive bruxelloise aura désormais une allure totalement différente et le rôle de l’expérimenté Jova n’en sera que plus important.

A 30 ans, il possède un gros vécu qui sera utile à cet Anderlecht en reconstruction. Mais comment a-t-il digéré sa saison anglaise ? Son passage à Liverpool n’a pas été couronné de succès : est-ce que cela a laissé de traces dans ses envies et ses ambitions ? L’ADN de son football a-t-il subi des changements en Premier League ? Le Serpent nous a accueillis avec son légendaire sourire dans le grand hall de son hôtel bruxellois où le personnel l’a vite reconnu. En D1, il sera tout de suite pisté par les défenseurs adverses :  » Je sais, cela ne me fait pas peur mais il me faudra un peu de temps, deux semaines de travail, avant que je tourne à plein régime.  »

Alors que Lukaku file vers l’Angleterre, quels souvenirs garderez-vous de votre saison en Premier League ?

Milan Jovanovic : Ils sont mitigés, évidemment. Je m’attendais à connaître autre chose après avoir vécu tant de bons moments au Standard. Deux titres, Footballeur Pro, Soulier d’Or, de grands moments européens, cela compte et on en a parlé à l’étranger. J’ai été cité un peu partout dans de grands championnats européens et l’Angleterre m’attirait pour ses traditions, son image, sa culture du football, l’atmosphère dans ses stades. Pourtant, dans cette affaire, j’ai tout simplement manqué de chance. J’étais hyper motivé et je restais sur une bonne Coupe du Monde avec un but qui, pour mon pays, restera historique, face à l’Allemagne ( NDLR : le premier de la Serbie en Coupe du Monde). Mon état d’esprit était positif quand je suis arrivé en Angleterre. Pourtant, avant le premier entraînement, j’ai compris que le vent avait changé de direction. Et j’ai eu beau me convaincre du contraire, travailler, être bon à l’entraînement : je n’avais pas le bon jeu de cartes…

 » Je suis meilleur qu’il y a un an « 

C’est-à-dire ?

Je ne pouvais pas faire un plus mauvais choix. Et il aurait été impossible de le faire à un plus mauvais moment. L’erreur de casting dans toute sa splendeur. Et cela ne concerne pas du tout le niveau du championnat anglais ou mes propres atouts. J’aime le football qu’on y pratique… sauf celui de Liverpool la saison passée. Mais il ne faut pas faire non plus de la Premier League ce qu’elle n’est pas : une montagne inaccessible. Je n’ai pas vu que des stars et des matches de légende en Angleterre. Derrière les cinq ou six grands, il y a des imperfections, une qualité de jeu qui ne fait pas rêver. Bon, je n’ai pas réussi, me direz-vous…

En effet…

Pourtant, je suis meilleur, plus complet, qu’il y a un an, qu’avant mon arrivée en Angleterre. On n’a pas vu le vrai Jovanovic là-bas, c’est frustrant, et cela ne s’explique pas par mon football. Je sais pourquoi. Dans le football actuel, tout ne se joue pas que sur le terrain. A Liverpool, c’est Rafael Benitez qui me voulait à tout prix. Je l’ai écouté et il m’a convaincu que mon style de jeu cadrait parfaitement avec sa philosophie. J’ai opté pour un projet sportif… que je n’ai jamais vu car l’Espagnol a été remplacé avant que je débarque à Anfield Road. Le club avait changé de cap et j’ai été catalogué comme  » joueur de Benitez « , le coach dont on ne voulait plus. S’il était resté, je serais toujours à Liverpool, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Au lieu d’un coach offensif, comme le statut des Reds l’exige, j’ai hérité d’un entraîneur peureux dans son occupation de terrain, défensif et…

C’était Roy Hodgson, n’est-ce pas ?

Oui, et je tombais des nues : était-ce cela Liverpool ? Les entraînements n’étaient déjà pas fameux mais que dire de ce jeu ? C’était d’une pauvreté étrange au regard de la réputation du club. J’étais obligé de décrocher trop bas et il y avait des distances pas possibles à franchir avant d’arriver en zone de finition. Je suis rapide mais, là, c’était trop. Je ne suis pas du genre à fermer les yeux sur mes responsabilités. J’ai réfléchi, j’ai réagi, j’ai bossé mais le problème se posait en d’autres termes : je ne convenais pas à Hodgson qui ne m’avait pas fait venir à Liverpool, même s’il me connaissait et avait même songé à moi pour Fulham. J’étais facile à écarter…

Comment cela, facile à écarter ?

Tout à fait. J’avais un très bon contrat, c’est vrai, mais il n’y a pas eu de montant de transfert et c’est un désavantage que j’ai pu mesurer à mes dépens.

Comment cela ?

J’étais un salaire, une dépense, mais pas un investissement. Quand cela va mal, on coupe dans les dépenses mais pas dans les investissements qui doivent être protégés, mis en vitrine pour ne rien perdre de leurs valeurs. Il y a des joueurs qui ont nécessité des fortunes en montants de transferts et, en plus de la plongée au classement général, Liverpool ne pouvait pas négliger la cote financière de ses joueurs. Hodgson ne m’a jamais offert une série de matches, histoire de trouver mes sensations. Chaque fois que je montrais quelque chose, comme ce fut le cas en Europa League, j’étais écarté au match suivant. A la longue, on s’interroge…

 » L’équipe nationale serbe a été ma bouée de sauvetage « 

Pourtant, lors d’un entretien de début de saison passée à Liverpool, vous nous aviez fait part de votre certitude de réussir.

Je sais mais des facteurs extérieurs ont été les plus forts. Je me suis bouffé les nerfs car je pouvais réussir là-bas. Kenny Dalglish, le successeur d’Hodgson, m’a félicité après mes bons matches en équipe nationale de Serbie. C’était quand même étrange : j’étais bon lors des matches de qualification pour l’Euro 2012 mais pas pour la Premier League. L’équipe nationale serbe a été ma bouée de sauvetage. Je dois beaucoup à Vladimir Petrovic (ex-joueur du Standard) qui m’a tout simplement offert sa confiance. Là, je baignais dans un autre climat. J’en avais tellement besoin. Dalglish m’a affirmé que je n’entrais pas dans ses plans pour l’avenir. C’était clair. Spécial tout cela : je n’avais pas d’amis. Heureusement que ma famille était là. Quand cela ne tourne pas, tout le reste s’effondre aussi : vivre à Liverpool, c’est quand même pas marrant, surtout quand on ne joue pas…

Un site internet a parlé du  » forgetten player of Liverpool  » en annonçant votre transfert à Anderlecht.

Et pas du Forgetten club ? C’est quand même sans moi, puisque j’ai peu joué, que les Reds ne sont pas sortis du trou. Qui est responsable alors ? Je ne dois plus me poser la question. J’avais et j’ai toujours le niveau de la Premier League qui n’est pas toujours le nirvana du football comme on le dit trop. Bon, je suis déçu, c’est sûr, mais, là-bas, techniquement, j’ai aussi vu des matches plus que moyens. La page est tournée, j’en aborde une autre. J’ai 30 ans et même si ce fut dur à accepter, j’ai l’avantage de la maturité.

Quel club de Premier League vous a le plus marqué ?

Un club se dégage du lot pour son jeu, sa vision, la personnalité de son coach, son travail à long terme : Arsenal. Arsène Wenger est vraiment en phase avec son époque.

Lukaku réussira-t-il en Angleterre ?

Oui. Chelsea, où il fera la connaissance de mon ancien équipier de Liverpool, Fernando Torres, l’a inclus dans ses plans d’avenir et ça veut tout dire. Il est jeune, doué, taillé à la Drogba, donc pour bouger les défenses de Premier League. L’avenir nous l’apprendra mais je crois que Lukaku a fait un très bon choix même s’il devra forcément se mesurer à Drogba, Torres et Anelka. Il a le temps et la jeunesse pour lui. Les charges de travail sont importantes mais cela ne lui posera quand même pas trop de soucis, je crois. Il réussira en Angleterre comme ce sera le cas d’Axel Witsel à Benfica. Cela doit être un plaisir de jouer avec Romelu.

Votre transfert a étonné les supporters du Standard !

J’ai passé quatre saisons fabuleuses à Sclessin et j’ai vécu en véritable osmose avec ce club et ses supporters. C’est magnifique d’avoir des souvenirs de cette qualité. Je suis un vrai sportif et je tiens à ce vécu comme à la prunelle de mes yeux. Je n’aimerais pas qu’on abîme ces moments uniques. Je suis certain que tous les amateurs de sport, donc les milliers de supporters du Standard, partagent le même point de vue que moi ; personne ne pourra jamais nous voler ce que nous avons vécu ensemble. Ils m’ont tout donné et j’ai parfois pris des risques avec ma santé pour que le Standard avance. Si je reniais le Standard, je me renierais aussi. Il faut comprendre qu’un joueur doive songer à son futur. C’est ce que j’avais fait en signant à Liverpool. Là, après une saison, je n’avais plus d’avenir ; on m’a demandé de reprendre l’entraînement avec les jeunes. C’était une façon de me mettre la pression. A un moment, je me suis dit, découragé : -Bon, si c’est ainsi que cela doit aller, je m’entraîne deux ans et je vais jusqu’au bout de mon contrat. Mais je suis un footballeur et un vrai footballeur, il joue.

 » Ce retour en Belgique ne constitue pas du tout un pas en arrière « 

Le Club Bruges vous a-t-il contacté avant Anderlecht ?

Ah non, jamais. Je n’ai négocié qu’avec un club belge : Anderlecht. D’autre part, il y a eu Benfica, le Sporting Portugal, Schalke 04, Panathinaikos, Newcastle, Al Shabab, le club d’Arabie Saoudite de Michel Preud’homme, un club suisse dont j’ignore le nom, etc. J’ai eu pas mal de pistes mais c’est le discours d’Anderlecht qui a été le plus persuasif. J’étais sous le charme et c’était une solution enthousiasmante pour moi, la preuve que je n’avais pas été oublié en Belgique. J’aimerais réussir la même moisson qu’au Standard. Pour moi, ce retour en Belgique ne constitue pas un pas en arrière, pas du tout. L’argent joue un rôle important, on ne peut pas le nier, mais s’il n’y avait que cela, j’aurais signé en Arabie Saoudite. Le challenge sportif est magnifique, comme celui relevé par Jelle Damme ou Mémé Tchite qui ont évolué à Anderlecht avant de jouer ou rejouer à Sclessin. C’est le football qui doit gagner et si je peux rapprocher les deux clubs, ce serait chouette.

Mais les négociations furent très longues.

Et c’est normal à ce niveau-là. Ce sont des dossiers très compliqués et il y a beaucoup en jeu pour toutes les parties, les deux clubs et moi. Je n’avais pas d’agent. C’est Anderlecht qui en a mandaté un, Dejan Veljkovic. J’y vois une preuve de plus que ce club me voulait absolument : Anderlecht m’a contacté et la machine s’est mise en route.

Il y a un an, vous aviez repoussé l’idée d’aller à Anderlecht.

Ben oui, Benitez m’avait déjà contacté pour Liverpool. J’étais dans mon trip anglais. Je ne dois même pas le dire : Anderlecht est un grand club. Je le sais depuis toujours et quand on voyage, on se rend compte à quel point il est connu. Mais vous savez, entre de premiers contacts et la finalisation d’un transfert, cela peut durer des mois.

L’histoire d’amour entre Jova et Anderlecht a-t-elle commencé lors de l’affaire Witsel-Wasilewski ?

Je ne parle plus de ça, c’est le passé.

Votre transfert s’est conclu à la dernière seconde : la délégation mauve était déjà à l’aéroport pour rentrer au pays quand Liverpool a donné son accord, n’est-ce pas ?

J’étais pendu au téléphone à Novi Sad. Dejan Veljkovic a trouvé les mots et l’énergie qu’il fallait pour convaincre Liverpool. J’avais encore deux ans de contrat et on ne renonce pas à cela d’une seconde à l’autre. Liverpool entendait me dédommager si je trouvais un nouvel employeur. Anderlecht était là mais c’était aux Reds de définir ma prime de départ. Je dois les remercier car tout s’est finalement débloqué. Sans Veljkovic et Herman Van Holsbeeck, qui a insisté, cela ne se serait pas fait. J’étais venu à Bruxelles deux semaines avant cet accord.

Fait à 99 %, ce transfert avait alors été mis au frigo !

Ben oui, il n’y avait plus que Veljkovic, l’agent mandaté par Anderlecht, qui y croyait encore, il me semble. Enfin, tout est bien qui finit bien. Même si j’ai connu plusieurs transferts, je ne m’étais jamais rendu compte à quel point tout est compliqué. Le moindre détail doit être examiné à la loupe.

Votre femme doit être heureuse, n’est-ce pas ?

Elle tenait tout spécialement à revenir en Belgique. J’ai encore mon appartement à Liverpool et mon épouse va gérer le déménagement. Nous nous établirons pas loin d’Anderlecht, à Bruxelles ou dans la périphérie.

Quelles seront vos ambitions ?

Elles collent avec celles du club. Anderlecht vise chaque année le titre mais il n’y a pas que cela : ce club ne peut pas se contenter de briller dans son pays. Anderlecht, c’est plus que cela. Une telle institution doit se retrouver chaque année dans les poules de la Ligue des Champions, aller plus loin et redevenir rapidement ce que ce club a été durant des décennies : une référence européenne. Moi, quand je vois le succès du football portugais, je me dis qu’on peut vivre cela ici. Je veux aider, apporter mon vécu pour que soit la fête. J’ai apprécié l’accueil des supporters. Je sais que les attentes sont grandes pour moi et tout l’effectif. J’ai déjà vu de bonnes choses et je sais que ce club a des solutions pour toutes les questions. Dieumerci Mbokani ? Avant de signer, j’avais entendu que son nom était cité ici. J’ai toujours considéré que mon ancien équipier est pétri de talent.

PAR PIERRE BILIC-PHOTOS : REPORTERS/SCHROEDER

 » Je n’ai négocié qu’avec un club belge : Anderlecht. « 

 » Oui, Lukaku réussira à Chelsea. « 

 » Mbokani ? J’ai toujours considéré qu’il était pétri de talent. « 

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