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 » SI JE JOUE, IL FAUT QUE JE MARQUE « 

Longtemps cantonné au banc de touche et aux bribes de matches débridés, CristianBenaventebouscule la hiérarchie à grands coups de golazos. Rencontre avec le joueur-frisson qui sublime le collectif carolo.

Depuis ses premiers pas sur les terrains d’entraînement de Marcinelle, son talent n’a pas suscité le moindre doute. Cristian Benavente a tellement d’or dans les pieds qu’au bout d’une heure de séance, on avait dû demander à Felice Mazzù quel était son bon pied. Le Péruvien avait nettoyé les lucarnes des buts avec la même facilité, du gauche comme du droit.

Malgré une maîtrise du français de plus en plus fluide, c’est en espagnol qu’on s’installe en compagnie de celui que le vestiaire surnomme  » la Quica « , pour une ressemblance physique présumée avec l’acteur qui incarne le tueur à gages préféré de Pablo Escobar dans la série Narcos. Un surnom de plus pour celui qui, en déroulant sa vie entre  » el Madrid  » (car c’est comme ça que les Espagnols parlent du Real Madrid) et Charleroi, revient sur les étiquettes qu’on lui a collées, entre  » Ronaldinho du Pérou  » et  » Kebano du Real « .

On t’a montré des matches de Neeskens Kebano, quand tu es arrivé à Charleroi ?

CRISTIAN BENAVENTE : Je ne l’ai jamais vu jouer. Je sais qu’il est parti en Championship, et il me semble qu’il y est toujours, non ? Mais je n’ai jamais vu un de ses matches. Je sais que c’est un numéro 10, qui jouait derrière l’attaquant de pointe, qu’il était fort et rapide. Il a fait un an et demi ou deux ans de très haut niveau ici. Les seules fois où je l’ai vu, c’est dans le vestiaire. Il est parfois venu saluer ses anciens équipiers après un match.

Il s’est imposé dans l’équipe quand il a commencé à marquer. Il a fini sa meilleure saison avec douze buts et huit passes décisives. Pour toi aussi, c’est indispensable de marquer pour rester dans l’équipe ?

BENAVENTE : Il faut être décisif. Cette saison, par exemple, j’en suis à six buts (huit après son doublé de ce week-end : six en championnat et deux en coupe, ndlr). Mais j’en veux encore plus. Tu me dis qu’il en a mis douze, sur toute la saison ? Alors pour le moment, je suis dans les temps (il sourit). Tous les joueurs offensifs doivent faire la différence. Si je joue, il faut que je marque, et c’est pareil pour Pollet, Kaveh, Bedia ou Amara. Sinon, on ne gagne pas.

Le coach a commencé la saison en 4-4-2, on sait que c’est son système préféré. Mais c’est un système sans numéro 10.

BENAVENTE : C’est vrai que si on joue avec deux numéros 9, comme c’était le cas en début de saison, il n’y a pas vraiment de place pour moi, parce qu’on joue avec deux 9 et deux 6. L’espace entre les deux n’est pas occupé. Et cet espace-là, c’est celui où je me sens le mieux.

 » J’ai toujours aimé El Madrid  »

Donc, tu dois être assez fort pour que le coach se sente obligé de changer son système pour toi.

BENAVENTE : Dans les derniers matches, il l’a fait.

Parce que tu es décisif.

BENAVENTE : Oui, c’est clair. Si je ne le suis pas, c’est un autre qui rentre. Et si cet autre ne l’est pas non plus, ce sera au tour d’un troisième. Le football est comme ça. Tu n’as pas énormément d’opportunités, donc il faut les saisir.

Tes années à Madrid, ça t’a appris à saisir à fond ces opportunités ?

BENAVENTE : Bien sûr ! Parce que depuis le plus jeune âge, tout le monde veut jouer, prouver ses qualités. Et finalement, ici, c’est pareil. Nous sommes 25 joueurs de bon niveau. On le voit bien pendant les matches, parce qu’il n’y a pas de différence quand un joueur en remplace un autre.

Le football et le Real, ça a toujours été des évidences pour toi ?

BENAVENTE : Le foot, c’est quelque chose d’inné, je crois. Sans que personne ne me dise quoi que ce soit, j’ai commencé à aimer le football, depuis tout petit. Et j’ai toujours aimé el Madrid, parce qu’en Espagne il y a beaucoup d’équipes, mais au final, c’est toujours Barça ou Madrid.

Ton père a joué au foot en salle, en deuxième division. Ça n’a jamais été une option pour toi ?

BENAVENTE : Non, parce qu’à la télévision, je voyais le grand football, et c’est là que je voulais jouer. Le foot en salle n’a pas beaucoup attiré mon attention.

Qui attirait ton attention, alors ?

BENAVENTE : À l’époque, j’aimais beaucoup Mijatovic. Je me souviens que dans l’équipe, il y avait aussi Panucci. Mais j’aimais surtout Mijatovic.

 » Les Madridistas me connaissaient comme joueur de la Castilla  »

Avant d’arriver au Real, tu as commencé à jouer dans un petit club du quartier de Vallecas, sur des terrains en terre. Ça t’a servi, dans ton apprentissage ?

BENAVENTE : Le sol est dur, alors la balle rebondit dans tous les sens. Ici, en Belgique, vous jouez sur l’herbe depuis tout petit, ou bien sur synthétique. C’est vraiment différent.

Ça te rend plus dynamique, au moment de chasser le rebond ?

BENAVENTE : Je pense que oui. Sur un terrain pareil, tu dois t’habituer à soigner tes contrôles, sinon la balle s’en va. Je trouve que c’est une belle progression, du moins bon au meilleur : sur la terre, sur synthétique, et puis sur de l’herbe naturelle.

Quand tu débarques au Real, tu as un double sentiment ? C’est un rêve qui se réalise, et en même temps l’histoire n’a pas encore vraiment débuté…

BENAVENTE : Oui, parce que c’est un rêve, mais au final c’est seulement le moment où tout commence. Rien n’est fait, et tu démarres de zéro. Évidemment, j’étais très content, parce qu’il y avait énormément d’enfants qui voulaient entrer dans la cantera. Mais une fois dedans, je n’avais qu’une envie : tout faire pour y rester.

Quand tu arrives dans le noyau de la Castilla (l’équipe B du Real, ndlr), tu es déjà un peu une célébrité en ville ?

BENAVENTE : Les gens te connaissent, oui. La Castilla a une certaine répercussion à Madrid, notamment parce que les matches sont retransmis à la télévision sur la chaîne du Real, qui est une chaîne gratuite, donc beaucoup de gens te voient. Si tu es un supporter du club, alors tu connais les joueurs de la Castilla.

Comment on vit le fait d’être une mini-star, alors que ta carrière n’a pas encore vraiment débuté ?

BENAVENTE : Tu as atteint un premier objectif, mais c’est encore le moment où tout commence. Parce qu’au Real Madrid, tu rentres, tu sors… Il y a beaucoup de gens qui veulent arriver là, donc faire partie de la Castilla est déjà un but important. Mais dans les faits, ta carrière professionnelle n’a pas encore commencé. Tu dois sortir de la Castilla pour faire une carrière.

 » Le Real, c’est différent de la logique de Barcelone  »

Tu t’entraînes parfois avec l’équipe première du Real. Là, c’est vraiment le rêve.

BENAVENTE : C’est une expérience… Je ne sais pas comment dire. C’est quelque chose de vraiment différent. Tu es avec les meilleurs. L’entraîneur, pour ma première fois, c’était José Mourinho. Il y a beaucoup de respect, c’est une sensation incroyable.

La différence avec la Castilla t’impressionne ?

BENAVENTE : À la Castilla, on est des enfants à côté de ça. Le niveau de jeu, l’intensité… Ils font la même chose que nous, mais à une vitesse bien supérieure.

Tu ne dois pas étudier le jeu des joueurs de l’équipe première, comme ils le font au Barça ?

BENAVENTE : Au Barça, ils ont une idée de jeu très fixe. C’est 4-3-3, toujours. Au Real, ça change beaucoup : 4-3-3 quand Bale joue, ou bien 4-4-2 avec Ronaldo et Benzema devant… Et puis Ronaldo, ce n’est pas un ailier, c’est presque un 9. C’est très différent de la logique de Barcelone.

Mais tu es quand même attentif à ce que fait le 10 du Real de Mourinho. C’est un certain Mesut Özil…

BENAVENTE : À cette époque-là, Özil était le meilleur numéro 10 au monde. Il est encore très bon maintenant, même si Arsenal a parfois du mal. Mais si on parle de numéro 10 pur, c’est l’un des meilleurs, pour moi.

Et un des derniers.

BENAVENTE : Oui, parce que c’est un rôle qui disparaît dans le football. À Madrid, par exemple, on pourrait dire qu’Isco est un 10, mais il joue sur un côté. Ces 10 purs, il y en a de moins en moins.

 » L’Angleterre m’a servi pour m’adapter en Belgique  »

Pourquoi tu finis par sortir de la Castilla ?

BENAVENTE : La Castilla fonctionne avec des cycles. Il y a une dizaine de joueurs qui quittent l’équipe chaque année, et une dizaine d’autres, plus jeunes, qui la rejoignent. En général, à partir de 20 ans, les joueurs commencent à sortir de l’équipe parce que la Castilla est en Segunda B, la troisième division. Et à cet âge-là, tu ne peux plus être en D3. Donc, tu dois partir et commencer ta carrière.

Choisir la D2 anglaise, ce n’est pas vraiment le parcours attendu pour un jeune de Madrid.

BENAVENTE : Normalement, j’aurais dû me retrouver en D2 espagnole. D’ailleurs, la plupart de mes équipiers de l’époque sont aujourd’hui dans ce championnat. Mais au dernier moment, cette proposition est venue d’Angleterre. L’entraîneur m’a appelé personnellement, il m’a expliqué que son idée de jeu était différente de ce qui se faisait normalement en Championship. Le problème, c’est que les premiers résultats de la saison n’ont pas été bons, donc l’idée de jeu a rapidement changé. Ce nouveau style n’était pas du tout fait pour moi, je me m’y sentais pas bien footballistiquement. Donc, au bout de six mois, j’ai décidé de partir. Pourquoi je serais resté plus de temps, si je n’étais pas à l’aise ?

La vie en Angleterre était difficile ?

BENAVENTE : Ça m’a servi pour m’adapter en Belgique par après. Parce que là-bas, il pleut encore plus qu’ici ! Je n’étais pas tellement loin de ma famille. C’était plus ou moins comme ici. Le truc, c’est surtout que la ville était très neuve, qu’il n’y avait pas beaucoup de choses à y faire, et que tu avais besoin de la voiture pour tout. Et moi, je n’aime pas conduire. C’est pour ça que je vis ici, juste à côté. Prendre la voiture pour aller chercher du pain, ce n’est pas pour moi. J’aime sortir me promener.

C’est très espagnol, ça.

BENAVENTE : Oui oui ! Tu aimes sortir de chez toi, te promener, voir des gens… Là, il n’y avait que des maisons, donc tu ne voyais personne. Je n’aimais pas ça.

 » Bruxelles me fait penser à Madrid  »

Tu prends le temps de sortir de chez toi pour voir la Belgique ?

BENAVENTE : J’ai visité la plupart des villes connues. Je suis allé à Bruges, à Gand, même à Ostende… J’aime visiter quand on a du temps libre. Au nord du pays, les paysages sont très beaux. Mais ce que j’aime le plus dans ce pays, c’est qu’on est proche de plusieurs pays. En Espagne, si tu veux aller à l’étranger, tu dois prendre l’avion. Ici, avec ta voiture, tu peux aller à Amsterdam, à Paris ou en Allemagne.

Et puis, Bruxelles me fait beaucoup penser à Madrid, parce que c’est une ville qui n’est pas tellement grande, où tu trouves de tout. Et ma famille n’est pas tellement éloignée, avec l’aéroport ici, on peut se retrouver en 1h30 de vol. Toutes les deux ou trois semaines, quand on a des jours libres, je vais à Madrid, ou bien ce sont eux qui viennent ici.

C’est pour les remercier de leurs visites que tu ne marques que des buts  » YouTube  » ?

BENAVENTE : (Il rit) Oui, c’est vrai. Mais il faut aussi marquer des buts comme celui de l’autre jour contre Gand, après un bête rebond. Le coach me le répète souvent. Ceux-là aussi valent un but, autant que les autres.

par Guillaume Gautier – photos Belgaimage

 » Mon premier entraînement avec les A du Real, c’était sous les ordres de Mourinho.  » – Cristian Benavente

 » Petit, j’aimais surtout Mijatovic.  » – Cristian Benavente

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