» Si Defour a eu le Soulier d’Or, j’aurais dû recevoir le Soulier de Diamant « 

Passé d’Al Ahly au Zamalek du Caire l’été passé, Magic suit toujours de près le football belge. Et Anderlecht, en particulier, dont il gérera à terme une académie implantée non loin de la capitale égyptienne.

Si, de tous les joueurs africains en activité, le Camerounais Samuel Eto’o présente le plus beau palmarès, à l’échelle continentale, c’est l’Egyptien Ahmed Hassan qui a le curriculum vitae le plus fourni, comme en attestent ses 4 victoires en phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations et ses désignations comme meilleur joueur de cette épreuve en 2006 et 2010. Capitaine des Pharaons, pour lesquels il compte 178 caps, Magic est recordman absolu en matière de sélections nationales, à égalité avec le keeper saoudien Mohamed Al-Deayea.

En Egypte, personne ne jouit d’une plus grosse cote. En cause, ses passages dans les trois clubs les plus populaires : Ismaily, dont il a défendu les couleurs en 1997-1998, puis Al Ahly, où il a joué de 2008 à 2011 avant de passer, l’été dernier, dans les rangs de l’autre géant du football cairote, le Zamalek.

A 36 ans bien sonnés, l’ex-Anderlechtois combine aujourd’hui ses activités de footeux avec la gestion de sa société de voitures de luxe Seventeen Limousine à Mohandessen, au c£ur de la capitale égyptienne. Il y occupe un bureau des plus sobres avec, comme seules réminiscences au ballon rond, une photo à son effigie symbolisant tous ses succès en CAN et une plaquette-souvenir de l’édition 2010 en Angola.

Lors de notre dernière interview en Belgique, vous nous aviez dit redouter votre retour au pays. Pourquoi ?

Ahmed Hassan : Quand j’ai quitté l’Egypte, en 1998, j’étais encore un illustre inconnu. Certes, je venais de remporter ma toute première CAN au Burkina Faso, face à l’Afrique du Sud, mais les vedettes avaient alors pour noms Hani Ramzy, Hazem Emam et, surtout, un certain Hossam Hassan, avec qui je n’ai d’ailleurs pas le moindre lien de parenté. Jusqu’en 2008, j’ai joué à l’étranger ; en Turquie d’abord, puis en Belgique. L’engouement des Egyptiens, je ne l’ai vécu durant toute cette période qu’à l’occasion de mes retours au pays, dans le cadre de rencontres internationales. C’était toujours la frénésie à ces moments-là car j’étais sollicité de toutes parts. J’avais peur, en revenant cette fois pour de bon, de vivre cette effervescence au quotidien. Mais après trois mois chaotiques, tout s’est tassé et je vis désormais une existence plus ou moins normale.

Pour quelles raisons, à l’époque, aviez-vous choisi Al Ahly ?

J’aurais pu gagner six fois plus au Qatar si je l’avais voulu mais, à 33 ans, j’aspirais à me rapprocher de mon épouse et de mes deux enfants, restés au pays au cours de mes deux saisons au Sporting. Si j’ai privilégié Al Ahly plutôt que Zamalek, qui m’avait approché aussi, c’est parce que ce club était, et est d’ailleurs toujours, le meilleur du pays comme le prouvent ses 7 succès d’affilée en championnat de 2005 à 2011. J’ai participé activement aux titres de 2009 et 2010 mais la saison passée, je n’ai quasi pas joué en raison d’une opération aux ligaments croisés du genou. Comme je ne faisais plus partie des plans de bataille du coach, Manuel José, j’ai préféré rejoindre le club rival qui, lui, était toujours intéressé par mes services.

Passer de l’un à l’autre n’est-il pas perçu généralement comme une trahison ?

Si j’avais accompli cette démarche il y a dix ans, c’eût été la révolution, c’est certain. Dans le cas présent, chacun y a trouvé son compte : Al Ahly, qui ne comptait manifestement plus trop sur moi ; le Zamalek tout heureux d’accueillir un joueur actif chez son ennemi héréditaire et moi, enfin, puisqu’à échéance de mon contrat en 2014, je pourrai dire que j’ai joué pour les trois meilleurs clubs égyptiens. Ce n’est pas réservé à tout le monde. L’objectif, dans mon nouveau club, sera de réduire la distance qui nous sépare des champions. Ça me semble très compliqué mais je compte y arriver avant la fin de mon bail. Car il y a du beau monde ici, à commencer par le coach, Hassan Shehata, avec qui j’ai gagné les trois dernières CAN.

 » Une quarantaine de joueurs égyptiens ont leur place en Belgique « 

Au Zamalek évoluent aussi deux autres joueurs dont les noms nous sont familiers : Mido et Shikabala. Evoquez-vous parfois la Belgique avec eux ?

Oui, de temps à autre. Mido, par exemple, se demande parfois ce qu’il se serait passé s’il avait opté pour Anderlecht en 2001, comme il en avait eu l’opportunité, plutôt que l’Ajax Amsterdam. Il n’aurait sans doute pas eu une carrière aussi mouvementée mais, à l’entendre, il ne regrette pas grand-chose. Shikabala, lui, est l’enfant-chéri du club. D’un côté, il ne serait pas opposé à une aventure à l’étranger et, en particulier, à Anderlecht comme il en a été question. Mais, de l’autre, il a ses racines ici. Honnêtement, je ne le vois pas partir de sitôt. C’est dommage, car c’est un garçon qui est à même d’apporter un plus au Sporting. Il n’est d’ailleurs pas le seul : une quinzaine de footballeurs égyptiens ne détonneraient pas chez les Mauves. Et une quarantaine auraient leur place en Belgique tout court. En fait, tous les cadres de l’équipe nationale et de la sélection olympique pourraient aisément jouer chez vous.

Vous suivez toujours le football belge ?

Les matches de la Jupiler Pro League sont retransmis ici sur la chaîne Al Nahar Sports. Je suis donc au courant de l’actu en Belgique. Je trouve que Matias Suarez mérite son Soulier d’Or. J’aurais franchement aimé jouer avec ce gars-là. Je l’ai loupé de peu à Anderlecht, puisque je suis parti l’année où il est arrivé. Des Argentins, j’ai connu Cristian Leiva et les deux Nicolas, Frutos et Pareja, ainsi que Lucas Biglia. De tous, c’était lui le meilleur. Je ne comprends pas qu’il n’ait jamais reçu le prix du meilleur joueur en Belgique.

Vous ne l’avez jamais eu non plus…

Non, et je n’ai jamais compris très bien pourquoi non plus. En toute logique, j’aurais dû être couronné début 2008 pour l’ensemble de mon année 2007. Bizarrement, c’est Steven Defour qui avait été primé. S’il a été Soulier d’Or, moi il aurait fallu me donner le Soulier de Diamant. Ce verdict-là et le fait aussi de ne pas avoir gagné le Soulier d’Ebène constituent deux déceptions pour moi.

Il y en a eu d’autres ?

Je regrette amèrement de ne pas avoir participé, jusqu’ici, à une phase finale de la Coupe du Monde. La défaite face à l’Algérie, lors du test-match à Khartoum, en 2010, me reste toujours en travers de la gorge. Je crois sincèrement qu’on aurait été meilleurs que les Fennecs dans ce groupe avec la Slovénie, l’Angleterre et les Etats-Unis. Malheureusement, on ne change pas le passé. Il me reste l’espoir de décrocher une qualification pour le Brésil. Ce sera donc 2014 ou jamais.

 » Si je m’étais montré place Tahrir, les fans de Zamalek l’auraient mal pris « 

Après trois victoires d’affilée, les Pharaons sont absents de la phase finale de la CAN 2012. Usure du pouvoir ?

Les trois quarts des joueurs accusent évidemment six ans de plus par rapport à notre première victoire devant notre public en 2006. Mais ce n’est pas là, d’après moi, les raisons de notre échec. Auparavant, il nous est arrivé à plus d’une reprise de renverser une situation compromise. Théoriquement, nous aurions dû y parvenir ce coup-ci aussi, lors d’un double affrontement avec l’Afrique du Sud après un 1 sur 6 face à la Sierra Leone et au Niger. Hélas, la révolution battait son plein à ce moment-là et le climat n’était pas vraiment propice au football. On a d’ailleurs loupé ces deux matches-clés : défaite 1-0 à Johannesburg et nul vierge au Caire. Avec 2 points sur 12, tout était joué. Pour les besoins des deux derniers matches, la fédération a fait appel aux Olympiques pour nous représenter. Avec une défaite à la clé en Sierra Leone, 2-1, et une victoire face au Niger : 3-0. Mais le mal était fait et on a terminé dernier du groupe.

Blessé, vous n’aviez pas disputé ces qualifications. Vous n’étiez pas en Egypte non plus au moment de la révolution, puisque vous poursuiviez votre revalidation au Qatar. Si vous aviez été présent, vous auriez manifesté place Tahrir ?

(hésite). Je ne sais pas. J’étais à Al Ahly à ce moment. Si je m’étais exposé, les fans de Zamalek l’auraient très mal pris. A présent, c’est différent, vu que les jalousies ne sont plus possibles.

Des méchantes langues disent que vous avez attendu que tout se normalise au pays avant de rentrer…

C’est faux. En principe, Anderlecht aurait dû dévoiler durant cette période les plans d’une RSCA Youth Academy Egypt dont je serai le responsable. Lors de la visite du secrétaire général Philippe Collin en Egypte, dans l’optique de la candidature belge à la Coupe du Monde 2018, le projet avait été mis sur papier. Un emplacement avait d’ailleurs été trouvé à la Cité du 6 octobre, dans la grande banlieue du Caire. Sans les événements, la direction anderlechtoise et moi aurions présenté le projet. J’aurais donc été sur place. Ceux qui prétendent le contraire racontent n’importe quoi.

Quel sera le propos de cette académie ?

Former des joueurs qui seront proposés en priorité au Sporting. A côté d’initiatives personnelles, comme l’Académie de Football d’Ibrahim Nader El Sayed à Shiek Zayed ou celle d’une autre ancienne gloire, Mahmud Al Khatib au Caire, on a assisté ces derniers temps à l’essor de centres de formation qui travaillent en collaboration avec des clubs étrangers. C’est le cas de Wadi Degla, lié à la fois à Arsenal et au groupe Jean-Marc Guillou, et du Cairo AC Milan Club. Anderlecht s’inspirera donc de ces exemples. Je pense que l’initiative sera positive pour toutes les parties. La Belgique est une destination idéale pour un jeune Egyptien qui veut faire carrière. C’est dommage que je n’aie pas eu cette possibilité. Je dis et je maintiens, en tout cas, que si j’avais abouti en Belgique et non en Turquie en 1998, ma carrière aurait sans doute été plus belle encore.

 » Je vise les 200 matches avec les Pharaons « 

Pourquoi ?

Je suis passé en tout début de carrière d’une compétition où tout se joue d’ordinaire entre trois grands clubs – Al Ahly, Zamalek et Ismaily – pour aboutir dans une autre où le titre concerne quatre équipes : Fenerbahçe, Besiktas, Galatasaray et Trabzonspor. J’ai perdu pas mal de temps précieux là-bas en jouant dans des clubs comme Kocaelispor, Denizlispor ou même Genclerbirligi. On dira peut-être que la situation est la même en Belgique avec Anderlecht, le Club Bruges, Genk et le Standard, mais il y a quand même une différence essentielle : le niveau. En Turquie, il n’y a pas photo entre les ténors et le reste. Chez vous, en revanche, des déplacements à Malines, Charleroi, Westerlo ou Saint-Trond ne sont pas du tout gagnés d’avance. Au contact de ceux-là, un footballeur s’endurcit. C’est pourquoi je ne suis pas surpris de la bonne tenue des joueurs belges comme Vincent Kompany à Manchester City, Marouane Fellaini à Everton et Axel Witsel à Benfica à présent. Si j’avais eu les mêmes bases qu’eux, j’aurais sans doute pu évoluer aussi dans un championnat de renom. Enfin, j’ai eu pas mal de satisfactions, malgré tout.

Quel top dégageriez-vous ?

En un, je citerais mes 178 matches avec les Pharaons. Je suis co-recordman mondial à ce niveau, avec le keeper saoudien Mohamed Al-Deayea, qui a arrêté sa carrière en 2006. En principe, je devrais être seul leader à la fin du mois prochain car trois rencontres amicales sont prévues en février : le 20 face au Botswana, le 23 contre le Kenya et le 29 en République Centrafricaine. Mon objectif est d’être le premier joueur à atteindre la barre des 200. A la deuxième place, je songe à ma désignation comme meilleur joueur de la CAN 2010. Quand j’ai signé à Al Ahly en 2008, quelques-uns me prétendaient fini. Je suis heureux d’avoir pu leur démontrer le contraire. Enfin, pour compléter le podium, je mentionnerai ma première victoire à la CAN en 1998.

Où se situe la différence entre l’équipe championne d’Afrique en 1998 et celle qui a réalisé le triplé entre 2006 et 2010 ?

En 1998, nous n’étions pas favoris. Ce rôle-là était réservé à l’Afrique du Sud, qui avait remporté l’épreuve sur son sol deux ans plus tôt, et le Cameroun emmené par Rigobert Song et Patrick Mboma. Mais de 2006 à 2010, nous étions incontestablement les meilleurs. En 2006, nous présentions évidemment l’avantage de jouer chez nous mais à l’occasion des deux autres rendez-vous, nous avons prouvé notre supériorité ailleurs. Cette génération était sans doute la plus belle de tous les temps en Egypte.

Comment, dans le même laps de temps, avez-vous vu évoluer le football dans votre pays ?

Il n’y a pas grand-chose de changé puisque ce sont toujours les trois mêmes qui se disputent le titre. Seulement le niveau d’ensemble est meilleur. En 1998, nous n’étions pas encore de véritables professionnels. C’est le cas à présent. Il y a pas mal d’argent dans le football égyptien grâce à quelques sponsors comme Total, McDonald’s, York et G-Tide Mobile. De ce fait, les meilleurs n’éprouvent pas nécessairement le besoin de partir à l’étranger. Anderlecht l’a vérifié avec Mahmud Shikabala et le Standard a fait la même expérience avec Emad Meteb. A l’échelle des valeurs, les équipes égyptiennes restent les plus performantes sur le continent. Il y a bien eu une parenthèse avec les succès des Congolais du Tout-Puissant Mazembé en Ligue des Champions en 2009 et 2010 mais c’étaient des exceptions. Le c£ur du football africain se situe toujours au nord avec les meilleurs chez nous et les grands de Tunisie que sont l’Espérance Tunis ou l’Etoile du Sahel. Avec le Maroc, ces trois nations ont également les meilleurs championnats.

 » Le Maroc, la Côte d’Ivoire et le Ghana, c’est mon tiercé pour la CAN « 

Le Maroc est-il favori de la CAN qui vient de débuter au Gabon et en Guinée Equatoriale ?

L’édition 2012 est privée de plusieurs anciens vainqueurs comme le Cameroun, l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigeria et nous. Une équipe qui n’a jamais été sacrée, comme le Maroc, pourrait donc profiter de l’aubaine. Je le souhaite à Mbark Boussoufa, avec qui j’entretiens toujours des contacts. Je pense aussi que les Lions de l’Atlas ont un excellent entraîneur en la personne d’Eric Gerets. Il faudra tout de même qu’ils se méfient du Ghana, très solide lors de la Coupe du Monde 2010 et de la Côte d’Ivoire. Cette équipe, très talentueuse, n’a jamais remporté le moindre trophée ces dernières années. Elle voudra sans doute se rattraper lors de cette édition. Ce serait aussi une manière d’apaiser les tensions au pays puisque le foot y est fédérateur.

En Egypte, les fans se sont semble-t-il distancés du football ?

C’est la situation du pays qui l’a voulu. Mais cette aversion ne durera pas. Bientôt aura lieu le derby du Caire et 75.000 personnes prendront d’assaut le stade national.

Votre contrat au Zamalek arrive à échéance en 2014. Que ferez-vous ensuite ?

Si ma santé le permet, j’espère jouer encore après cette date. Peut-être plus dans un club du top mais à un niveau plus bas. Une activité que je combinerai avec mes attributions pour Anderlecht. On m’a demandé également d’être consultant foot à la tété. En ce qui concerne ma reconversion, j’avais déjà pris les devants, lors de ma période anderlechtoise, en créant ma société de limousines au Caire. Et je compte m’investir dans le tourisme aussi.

Comment vont les affaires ?

C’est calme, très calme. Les touristes ne se tournent plus vers nous pour le moment, suite aux événements. Mais quand tout se sera normalisé, ils reviendront, j’en suis sûr.

Que vous inspire l’avenir du pays ?

Nous sommes au début d’une nouvelle ère. Il faut laisser le futur faire ses preuves et non le condamner à l’avance comme le font déjà certains. Moi, j’ai pleinement foi en l’avenir de mon pays en tout cas.

PAR BRUNO GOVERS

 » Le c£ur du football africain continue à battre au nord du continent. « 

 » J’aurais aimé jouer avec Matias Suarez. « 

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