Ses idées pour le foot belge.

Thomas Bricmont

Les gueules défaites et le pessimisme ambiant ont particulièrement la cote depuis quelques années, avec une très forte poussée ces derniers mois. Quelle surprise, dès lors, de voir une Brabançonne suivie d’une prestation cinq étoiles, et ce, quatre fois d’affilée. Cet étonnement, on le doit évidemment à nos Espoirs qui ont réussi à raviver une flamme que beaucoup pensaient définitivement éteinte. L’ex-joueur devenu analyste tactique a bien voulu sortir pour nous de ses attributions et donner ses idées sur le foot belge dans son ensemble, au-delà des matches de D1.  » Mais sans critiques gratuites « , pour reprendre ses termes.

Les Espoirs

Les supporters belges retrouvent le sourire avec nos Diablotins. Leur coach a été porté en triomphe durant le tournoi. Comment réagissez-vous au phénomène de S(t)art ?

Je suis heureux pour Jules, mais ce qui lui arrive ne m’étonne pas du tout. C’était un joueur discipliné avec une saine ambition. Aujourd’hui, il exploite ces qualités en tant que coach. Il a su mettre en valeur le potentiel d’une génération dorée, le cas d’Anthony Vanden Borre en est une parfaite illustration.

Qu’est ce qui vous frappe principalement chez cette génération ?

Il y a vingt ans, nous étions connus principalement pour notre maîtrise tactique. Au niveau européen, toutes les nations nous craignaient. La discipline à la Belge était devenue une marque de fabrique qui s’exportait très bien. Maintenant, on a devant nous une génération peut-être plus douée encore. Mais c’est au niveau de la mentalité que le changement est considérable : nos Diablotins sont ambitieux et sûrs d’eux. Et cette confiance en soi ne doit pas être prise pour de la prétention, c’est juste qu’ils croient en leurs possibilités.

Avec de Sart, la succession de Vandereycken est-elle toute désignée ?

Je ne me montrerai pas euphorique à ce sujet. Jules fait un boulot formidable, mais il a le désavantage de n’avoir jamais entraîné les adultes. Raymond Domenech a pris la succession de Jacques Santini après avoir entraîné les Espoirs français mais il compte aussi toute une série de rencontres à la tête de l’Olympique Lyonnais.

Et Marco van Basten ?

OK. Sauf qu’il a derrière lui une carrière extraordinaire qui lui donne une certaine aura. Je pense qu’il est préférable que Jean-François continue avec cette équipe et dispute l’apothéose des Jeux Olympiques.

On continue donc dans la même galère ?

Il est évident que René à un gros problème d’image, au-delà des résultats. Il méprise trop la presse et s’enfonce, lentement mais sûrement. Cependant, c’est aussi un grand connaisseur apprécié de ses joueurs. Qui oserait parier sa maison qu’avec un autre entraîneur, les résultats seraient meilleurs ?

L’Union Belge

Où le bât blesse-t-il alors ?

A la Fédération, il existe des personnes compétentes, mais elles sont trop peu nombreuses. Le pire, ce sont ceux qui n’ont rien fait pendant tant d’années qui réapparaissent au premier plan depuis les brillants résultats de nos jeunes. Ça a quelque chose de pathétique. Et dites-moi qui s’y retrouve dans l’organigramme et la hiérarchie de la maison de verre ? Quelle perte de temps, par exemple, toutes ces commissions !

Que prônez-vous ?

Une seule commission qui décide réellement. Une véritable instance technique qui décide de sujets comme une revitalisation de la Coupe avec l’obligation de jouer chez le plus petit ou la possibilité de voir les Réserves évoluer en D3 ou en Promotion. Toute une série de questions qui concernent de près notre football. Avec Michel Preud’homme, cela aurait pu être une bonne chose… Si l’on veut voir naître une ligne de conduite, il faut que les gens de terrain se mettent à table. Et je pense naturellement à Franky Vercauteren ou à Marc Degryse : voilà des gens qui connaissent le football et qui pourraient nous être utiles. Mais avant cela, il faudra chasser quelques egos et autant d’opportunistes pour être enfin concret !

L’avenir, est-ce la lutte avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ou plus près des meilleurs ?

Proportionnellement au nombre d’habitants, la Belgique compte énormément d’affiliés. Je ne vois donc pas pourquoi, au sein de cette masse, ne s’extirperaient pas plusieurs joueurs talentueux. Le parcours des Espoirs a mis en lumière que le talent existait bel et bien.

La formation

Le nombre d’affiliés a toujours été important en Belgique. Ces  » talents  » sont-ils alors seulement le fruit du hasard ?

Du talent, il y en a toujours eu. Mais aujourd’hui, plusieurs clubs sont en train de faire du bon boulot avec les jeunes. Je pense en priorité à Genk où Ronny Vangeneugden, entraîneur des Espoirs au Fenixstadion, fait de l’excellent travail. C’est un homme de l’ombre dont on parle peu, mais qui est pour beaucoup dans l’avènement de la classe biberon de cette saison. Au Standard, on s’est également félicité des réussites que sont Axel Witsel ou Marouane Fellaini. Et avec le nouveau centre Robert Louis-Dreyfus, d’autres promesses devraient suivre. Tant mieux mais quels sont les clubs qui peuvent se doter d’une infrastructure comme chez les Rouches ?

Quelles solutions ?

Pourquoi ne pas créer des centres de formation privés dans chaque région du pays ? Un à Anvers, un dans le Hainaut et un à Bruxelles, par exemple. Les clubs pourraient y inscrire leurs meilleurs éléments et n’auraient pas à subir les coûts engendrés par ce type d’infrastructure. En France – NDLA : où il existe déjà le centre national de Clairefontaine, géré par la Fédération Française de Football -, on planche sur ce projet alors que les clubs sont bien plus avancés que nous à ce sujet. Pour eux aussi, la question est d’ordre financier.

Nos clubs ne font plus le poids sur la scène européenne. La formation peut-elle à elle seule nous sortir de ce bourbier ?

On a quand même tendance à nous sous-estimer, à être trop négatif. Regardez le parcours d’Anderlecht en Ligue des Champions, par qui ont-ils été battus ? Par Milan, vainqueur de l’épreuve. Le reste, ce ne sont que des résultats nuls. Il n’y a rien de dramatique. Pourtant, c’est ce qui a été dit, alors que les rencontres se sont souvent jouées sur des détails.

Peut-on parler de détails quand on termine trois ans de suite dernier de sa poule ?

Si je dois reprocher quelque chose à Vercauteren qui, n’oublions pas, disposait d’une nouvelle équipe, c’est le manque d’audace à certains moments. Pour réussir, il faut sortir les tripes, oser. Attention, s’il faut surfer sur la vague actuelle et profiter de l’élan créé par les Diablotins, il ne faut pas non plus être d’un optimisme béat. Passer du noir au blanc en si peu de temps n’est pas bon non plus. On peut, par exemple, se poser des questions quand on voit que plus de la moitié de l’équipe (titulaire) évolue ou évoluera hors de nos frontières.

L’après-football

On en revient au manque d’argent.

Au début des années 90, quand je suis revenu de Lens pour le Standard après une seule saison dans le championnat français, c’est parce que la compétition belge était plus relevée. Aujourd’hui cette tendance s’est inversée. Francis Gillot, ex-coach à Lens, m’expliquait que les clubs français éprouvaient de plus en plus de difficultés à garder leurs jeunes, le salaire mensuel moyen dans un club comme les Sang et Or n’étant  » que  » de 75.000 euros (bruts). Chez nous, c’est avec un zéro en moins sur la fiche de paie qu’il faut espérer les convaincre de rester.

Vous avez raccroché les crampons il y a maintenant cinq ans. Quel est votre regard actuel sur le métier de footballeur ?

J’ai vu, malheureusement, beaucoup trop de vies brisées parmi les anciens joueurs. Et majoritairement, ce n’est pas un problème d’argent, mais bien d’équilibre. Durant leur carrière, les footballeurs sont de véritables assistés. Tout leur est servi sur un plateau et ils ne jurent que par le foot. Pas étonnant que beaucoup d’entre eux aient du mal à se recaser par la suite. S’ils ne retrouvent pas une fonction liée au foot, il leur arrive de perdre pied. Sans oublier que rares sont ceux qui ont un diplôme. A l’époque, Jean-François de Sart faisait figure d’exception, lui qui a décroché une licence en sciences économiques.

Il faut une fameuse discipline pour concilier foot pro et études…

Pourquoi ne pas inciter les joueurs à suivre des cours ou une formation durant leur dix, quinze ans de carrière ? Un cursus que l’on fait normalement en deux ans mais que l’on étalerait sur sa carrière. Je trouve dommage que l’on arrête de croire en ses chances à 20 ans pour aller gagner de l’argent en Provinciales. On devrait s’accrocher jusqu’à 23, 24 ans. Et dire qu’y a quatre ans, le père de Logan Bailly m’a dit il que son fils en avait marre et qu’il allait sûrement jouer en Promotion. Heureusement qu’il a changé d’avis…

thomas bricmont

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