SERRER les dents

Le Français ne veut ennuyer personne avec la grave maladie de sa fille mais parfois, en parler fait du bien.

M atthieuVerschuere :  » Le fil rouge de mes dix ans de carrière, c’est de ne jamais abandonner. Je sais que je vaux surtout par mes qualités athlétiques et que je ne puis lever le pied. Durant ma formation, j’ai pâti de ma petite taille. Ça m’a endurci. J’ai émergé à 19 ans et j’ai fait mieux que la plupart de mes anciens coéquipiers. Je dois cette carrière au passé. A la maison, on m’a inculqué la notion du travail, la valeur de l’argent. On m’a appris à ne jamais abandonner. Je n’ai pas été servi sur un plateau en argent. Mes parents exploitaient une auberge. C’est un travail dur. Le samedi soir, ils avaient des mariages mais le dimanche, ils étaient debout tôt pour préparer une fête de communion. Je les aidais.

Mes grands-parents ont vécu à Bruges avant d’émigrer en France. Je viens du nord de la France, d’Amiens, en Picardie. J’habite actuellement à Lille. Ce n’est qu’à 35 minutes de Gand et c’est plus intéressant pour ma famille. Vivre près des miens est important. Les graves problèmes de santé de ma petite fille ont resserré nos liens. Ma femme, ma soeur, mes parents, tous répondent toujours présents. C’est formidable. Heureusement que j’ai un tel cocon familial. A mes débuts professionnels à Châteauroux, ma femme et moi étions seuls, à 500 kilomètres du reste de la famille. J’ai vraiment dû serrer les dents.

Notre fille, Léanne, aura bientôt six ans mais elle reste très petite, elle ne parle pas, ne marche pas. Peut-être est-elle atteinte d’une maladie héréditaire mais ce n’est pas encore certain. Les médecins recherchent toujours la cause. Même s’ils la trouvent, ça n’y changera rien. Elle ne guérira pas, ce qui est très dur à accepter. Depuis sa naissance, notre vie et la sienne ne sont qu’un combat. Ma femme et moi feront tout ce que nous pouvons, jusqu’au bout, pour l’aider. La saison passée, à Sedan, j’en ai payé le prix, physiquement. Tous mes problèmes privés ont joué un rôle dans les blessures qui m’ont accablé. J’étais très fatigué. J’étais à plat. Il faut constamment être auprès d’elle. Comme elle ne peut parler, nous ne savons pas vraiment ce qu’elle veut. Le contact est très difficile. Je ne sais même pas si elle comprend que je suis footballeur… C’est le pire : nous ne pouvons communiquer avec notre propre enfant. Pourtant, elle nous apporte beaucoup. Elle fait des blagues.

Ce doit être très frustrant pour elle car parfois, je remarque qu’elle comprend quelque chose et qu’elle veut s’exprimer sans y parvenir. Nous faisons notre possible pour l’aider. Elle suit le même programme que la fille de JeanPierrePapin. Des exercices quotidiens la stimulent et lui permettent d’évoluer : exercices d’équilibre, des fiches pour apprendre à lire… Tous les six mois, nous nous rendons à Toulouse. Nous sommes en contact aussi avec des médecins espagnols.

Nous aimerions tant la voir marcher ou parler. Ce serait déjà une grande victoire. J’ai la chance de pouvoir me changer les idées grâce au football mais ma femme est vraiment occupée 24 heures sur 24, même si je la relaie quand je suis à la maison. Je l’admire beaucoup. Chapeau, Caroline. Mener une telle vie… Des parents attendent évidemment des tas de choses : d’autres enfants, des enfants en bonne santé. Mais voilà… Elle progresse tout doucement, disons. Notre plus belle victoire serait de la voir indépendante, car un jour, nous serons vieux…

Je n’ai jamais parlé aussi ouvertement de ça. Je n’ai pas voulu mettre ce problème en avant. J’ai mes souffrances et je ne veux pas ennuyer les autres ni m’en servir comme d’une excuse pour de moins bonnes prestations, mais il est peut-être bon que les gens sachent ce que je vis..

Je suis devenu plus optimiste car j’ai appris à positiver. Avant, j’étais d’un naturel plus pessimiste et je me préoccupais pour l’avenir. J’avais peur de rater. Me battre pour Léanne m’a appris à donner le maximum de moi-même et à trouver des choses positives qui me rendent heureux. Car malgré tout, il faut avoir une vie.

Parfois, en voyant des enfants donner le coup d’envoi puis courir jusqu’à la touche, en tenant la main de leur père, je souffre. Comme quand des amis me rendent visite et que leurs enfants jouent par terre. Ça fait mal au c£ur, c’est frustrant. Encore heureux que ma carrière de footballeur se déroule bien et que j’aie les moyens de faire face à tous les frais. A Toulouse, nous rencontrons beaucoup de gens confrontés au même problème. Il doivent fonder des associations, organiser des loteries et chercher des fonds partout. Ces gens doivent livrer un combat de plus pour payer le traitement, qui est très onéreux. Mais que ne ferait-on pas pour son enfant ? »

Raoul De Groote

 » On m’a appris à ne JAMAIS ABANDONNER  »

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