SÉRIE NOIRE

Bernard Jeunejean

J’ai failli vous inventer une histoire de Marcel, lequel se serait trouvé sur le bord de la touche en train de coacher : son équipe aurait été mauvaise, mais Marcel aurait trouvé que l’arbitre l’était plus encore, et il se serait mis à fulminer contre l’homme en noir. Homme en noir d’autant plus noir qu’il aurait été noir de peau. Serait venu le moment fatidique, où une énième décision arbitrale en défaveur de Marcel aurait fait péter tous les plombs de son installation électrique cérébrale, pour peu qu’on puisse parler de cerveau. Marcel, ironiquement, aurait dès lors pu s’écrier rageur, comme c’est d’usage dans le milieu :  » Cet arbitre, c’est la meilleure ! « , ou :  » C’est un comble ! « , ou à la rigueur :  » C’est le fin des fins !  »

Hélas pour lui, Marcel, pris d’une envie subite de faire son malin avec des mots latins, se serait alors plutôt écrié :  » Ce ref’, c’est le nec plus ultra, et y’ veut pas qu’on gagne !  » Retenez bien les mots précis de cette gueulante, ils vont avoir leur importance.

Car dans mon histoire, le referee, alors éloigné puisque situé près du point de corner opposé au banc, aurait piqué le sprint de sa vie pour venir se planter face à Marcel : et lui enjoindre, avec de la fureur plein les yeux, de quitter illico la zone neutre pour regagner les vestiaires ! Marcel aurait alors roulé ses yeux de pilchard, qui revient de Pontoise et n’y comprend que dalle. Mais il n’aurait pas insisté, tant l’arbitre le fusillait du regard en répétant, hors de ses gonds :  » Il y aura rapport, Monsieur, il y aura rapport !  » Et dans le rapport en question, dont Marcel aurait pris connaissance en comparaissant plus tard devant le Comité Provincial, l’arbitre aurait narré l’agression raciste dont il avait été victime, relisant texto les 14 syllabes de la phrase de Marcel parvenue à ses oreilles :  » Je rêve : ce nègre est plus ultra qu’un vieux con hooligan !  »

Marcel aurait plaidé son innocence et tout aurait fini par s’arranger, surtout que l’arbitre aurait fini par avouer qu’il diminuait toujours le volume de son appareil auditif lorsqu’il arbitrait…

Finalement, je ne vous mettrai pas l’anecdote en scène, car j’aurais manqué de place pour évoquer ce qui l’inspirait, à savoir le désormais célèbre Fuck you jestrovicien. Au passage, faut commencer par dire que le monde du foot est sacrément faux cul lorsqu’il s’agit d’admettre ses tares quant aux rapports humains qui s’y développent, qu’il s’agisse comme ici du racisme ambiant ou qu’il s’agisse d’autre chose. Quand le footeux veut faire sa propre pub, pour obtenir des subsides ou simplement pour montrer que son football est une activité noble, il baratine en évoquant son sport collectif comme un exceptionnel vecteur de valeurs, si rares à rencontrer ailleurs que chez lui : et vas-y que je te parle de solidarité, d’intégration sociale, de respect de la différence…

Mais quand les faits montrent que le foot aboutit aussi à l’inverse de cela, le footeux joue les Ponce Pilate : et prétend alors que ces tares sont normales, qu’on les y trouve chez lui comme ailleurs, vu que le foot  » n’est qu’un microcosme de la société  » (air connu)…

En vain, mon magnéto et moi avons tenté cent fois de lire au ralenti sur les lèvres de Nenad Jestrovic, pour savoir s’il avait lâché Fuck you, man ! ou Fuck you, black !. Le problème est que, suite à cela, la polémique se soit étendue sur la problématique  » suspension ou pas pour injure raciste « . A lire la presse, tu en concluais que verbalement, tu pouvais fucker impunément n’importe qui sur un terrain de foot, à condition de t’abstenir d’allusion à la couleur de sa peau. Ou que si tu rencontrais un vieux copain noir et que tu lui faisais la bise en lui disant  » Tu vas bien, black ? », tu risquais une suspension !

Et j’ignore toujours la raison précise des trois matches de suspension en fin de compte ramassés par Jestro, lequel n’a fait qu’attiser ma curiosité : en prétendant comme un môme à la récré que c’était l’autre qui avait commencé, en disant quelque chose  » de beaucoup plus grave  » qu’il  » n’osait même pas répéter !  » Là, depuis lors, j’avoue que ça me taraude : pourquoi Jestro ne répète-t-il pas ? Pourquoi souffre-t-il en silence ? De quoi donc Mohamed Sissoko a-t-il bien pu le menacer, qui serait plus grave que se faire fucker contre son gré ? Je n’y comprends plus rien. Sinon que Kim Milton Nielsen devient notre bête (oserais-je ajouter ?)… noire.

bernard jeunejean

 » CE REF’, C’EST LE NEC PLUS ULTRA, ET Y’ VEUT PAS QU’ON GAGNE !  » OU  » JE RÊVE : CE NÈGRE EST PLUS ULTRA QU’UN VIEUX CON HOOLIGAN !  »

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