Sept heures du mat’

L’adjoint d’Aimé Anthuenis ne fera pas la grasse matinée après Pologne-Belgique.

EddySnelders : « Ma famille a toujours été active dans le secteur de la construction. Je me suis consacré au football puis j’ai combiné les deux car il était alors impossible, surtout pour un joueur de mon niveau, de gagner assez pour ne plus rien faire ensuite. Après avoir travaillé avec mon père, j’ai lancé ma propre société, dans le même secteur.

Mon passage au Standard n’a pas été positif. Il avait sans doute une pointure de trop pour moi. Je jouais avec la Réserve et je ne touchais que mon salaire, sans prime. J’ai appris à relativiser et beaucoup de joueurs vont suivre mon exemple. Mon père m’a confié des travaux administratifs et quand j’ai joué à Courtrai, j’effectuais les déplacements en train pour gagner deux heures. J’arrivais au club avec mon attaché-case. Le football n’en a pas pâti, au contraire, j’ai marqué 18 buts cette saison-là.

Jusqu’à présent, j’ai bien gagné ma vie grâce à la construction, mieux qu’en football. Compte tenu de mes activités, je ne puis être entraîneur professionnel. Par contre, je peux être consultant à Canal+. Flandre. Ce boulot n’est pas toujours marrant: il faut réagir objectivement et faire, parfois, de la peine aux gens. Il faut rester fidèle à sa vision, pour traiter les gens avec honnêteté.

Etre adjoint, comme je l’ai été sous GeorgesLeekens, confère une autre vision du football. Je ne dois pas exprimer mon point de vue en public car rien n’est plus facile que de miner un entraîneur de cette façon. Il faut soutenir la même optique, même si on n’est jamais d’accord à 100%. Je vais devoir diminuer mes activités professionnelles et ma collaboration à Canal+. Le scouting et les retraites demandent du temps. L’entreprise a grandi, en trois ans: nous sommes passés de deux à cinq personnes et nous employons plus de monde à l’extérieur aussi. En fait, je vais consacrer des soirées et le dimanche à la société, un peu au détriment de ma vie familiale. Quand nous rentrerons de Pologne à deux heures du matin, je serai debout à sept heures et je travaillerai tard.

Peut-être est-ce un trait de mon caractère: j’aime être présent sur plusieurs fronts. J’ai 43 ans. Je ne veux rien lâcher car si je le fais, je risque de ne plus retrouver de place. Je ne veux pas perdre contact avec le football. Tant que je serai en bonne santé, je veux travailler dur. Comme ça, je pourrai peut-être arrêter plus tôt et profiter de la vie ».

Peur de l’avenir

« Si j’ai bénéficié du savoir familial, j’ai dû travailler. Je suis fier de ce que nous avons réussi mais qui sait de quoi demain sera fait? On essaie de s’entourer de certitudes mais on ne les obtient jamais vraiment. En football, j’ai été épargné par les blessures mais la situation économique actuelle m’emplit d’angoisse. Les plus grandes sociétés ont peur. Des entreprises structurées, des banques qu’on croit à l’abri de tout reçoivent des claques. Il y a des falsifications. A la longue, vous pensez que tout le monde tripote la comptabilité.

J’ai donc peur de l’avenir. je suis d’un naturel assez pessimiste. On achète des parcelles sans savoir les mesures que le gouvernement prend. C’est une mauvaise année pour le secteur de la construction. Le dernier changement de gouvernement n’a pas été faste pour nous car les restrictions ont cru: construire devient plus difficile et plus cher. Surtout pour les jeunes, qui sont notre clientèle. Avant, ils avaient deux salaires: un pour faire construire, l’autre pour vivre. J’ai l’impression qu’un salaire ne suffit plus à rembourser l’emprunt. Il y a quatre ans, nous ne pouvions savoir que les terrains seraient sujets à tant de restrictions. Parfois, on ne peut en vendre une partie alors qu’elle est payée.

Je ne suis pas de ces hommes sûrs d’eux qui pensent que rien ne peut leur arriver, au contraire. Nous avons encore un certain nombre de terrains mais ils peuvent devenir tellement chers que nous ne parviendrons plus à les vendre. Alors, on fermera, on exigera de l’argent. Celui pour lequel nous avons travaillé si dur. Le football n’offre pas d’assurance non plus mais il change les idées ».

Las de demander pourquoi il ne jouait pas au Standard

« J’ai longtemps joué. L’approche reste identique, même si la tactique peut évoluer. Vous êtes maître de votre jugement alors que vous ne maîtrisez pas l’économie. Toutefois, même si ce stress m’empêche d’être pleinement heureux, je n’apprécierais sans doute pas de pouvoir passer la journée dans mon jardin. De toute façon, je n’ai pas le choix. Je dois satisfaire les gens, pour obtenir des échos positifs. Jusqu’à présent, ça marche bien mais plus l’entreprise croît, plus les maux de croissance et le stress s’accumulent. Seulement, travailler moins implique de limoger des gens, donc vous acceptez plus de travail, au cas où une période moins faste viendrait.

Les joueurs sont parfois trop accaparés par le football. Au Standard, j’étais las de me demander pourquoi je ne jouais pas et ce que je devais faire car admettre que vous êtes peut-être trop juste n’est pas facile. J’ai essayé mais je remarquais que d’autres n’étaient pas meilleurs. Maintenant, j’accepterais la situation mais à l’époque, je devais justement atteindre mon apogée. Dans tout sport, vous devez prester, même si vous êtes un Onassis et que votre père a acheté l’équipe. Il y a des barrières: la presse, les entraîneurs, les spectateurs neutres.

Gagner beaucoup à un âge tendre incite à se reposer sur ses lauriers. Mon fils fait autant d’efforts que moi. Je ne pense pas que les jeunes soient devenus fainéants. S’ils gagnent davantage, c’est dû à la loi de l’offre et de la demande. La mentalité a sans doute changé. Ma génération prenait exemple sur les joueurs plus âgés. Si ce n’est plus le cas, c’est de notre faute. En réaction à notre propre jeunesse, nous les avons incités à ne plus se laisser faire.

La politesse et l’éducation sont importantes. On atteint davantage avec des garçons intelligents et polis. Je suis assez conservateur, de ce point de vue. Je suis strict avec mes enfants. A 24 ans, Filip est le plus jeune à l’Antwerp. Il ne doit pas expliquer à Leleu ce qu’il pense mais l’écouter. Dans dix ans, il sera toujours temps pour lui d’exprimer sa propre opinion. A ce moment, on la lui demandera sans doute. Mais à 17 ans, quand on vous demande d’aller chercher le ballon, vous vous exécutez: ça fait partie de votre apprentissage. En plus, un entraîneur travaille mieux avec des garçons ouverts, avides d’apprendre ».

La voiture de papa

« Je me souviens être arrivé à l’entraînement de l’Antwerp avec la luxueuse voiture de mon père. C’était sa façon de me montrer qu’il était fier de moi mais c’était une erreur. Elle m’a valu des réactions négatives. On n’en aurait pas fait un plat si la voiture avait été moins voyante, même si elle avait été aussi chère. Quand on a beaucoup travaillé pour atteindre un certain niveau de vie, nul ne peut vous jeter la pierre. Je n’ai jamais joué au snooker ni à rien de tout ça: je n’en avais pas le temps. Je devais travailler. Mon contrat ne me permettait pas de folies, surtout avec deux enfants. Je pensais avoir décroché un contrat fantastique au Standard mais à la fin du mois, compte tenu du loyer et de tous les frais, il me restait 1.000 euros pour entretenir une femme et deux enfants. Je recevais 4.000 euros, ce qui était beaucoup à l’époque. Mon père aurait pu négocier pour moi mais je n’ai jamais voulu faire appel à lui et ce n’était pas son genre non plus. Ce n’est pas plus mal comme ça ».

Raoul De Groote

« Jusqu’à présent, j’ai mieux gagné ma vie grâce à la construction qu’au football »

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