SECRETS FISCAUX

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Si Aix-la-Chapelle est si populaire auprès des footballeurs belges, ce n’est pas à cause du shopping si populaire. Enquête à 50 kilomètres du Stade Fenix.

Aix-la-Chapelle. Sa cathédrale, son shopping (vivent les soldes !), son marché de Noël (le deuxième d’Allemagne, après celui de Nuremberg). Les artères de la ville sont constamment bondées de touristes et d’acheteurs. La ville touche la frontière belge et est un des angles de l’Euregio, avec Maastricht et Liège. Les communes belges et liégeoises de Raeren et de La Calamine sont voisines. Dans la foule qui se presse autour de la cathédrale, le Dom, et l’hôtel de ville gothique, le Rathaus, qui date du 14e siècle, allemand, français et dialectes des Pays-Bas se mêlent.

Aix doit son nom au mot germain qui signifie eau : ahha. Charlemagne, roi des Francs, a fait de cette petite colonie romaine sa capitale. Il s’y est fait couronner empereur en 800. Aix est aussi ville de cure. Les bains les plus réputés sont ceux d’ Elisenbrunnen, où l’eau coule jusque sur le trottoir. Quand le buteur de Genk Kevin Vandenbergh quitte son appartement pour se rendre sur la grand-place, il passe devant. Il descend la Wespienstrasse, passe devant les immeubles de parking, traverse le Kaufhof et se retrouve devant les thermes blancs.

Vandenbergh est un des 260.000 habitants d’Aix et son club n’est qu’à 50 kilomètres, une demi-heure en voiture. Jan Moons, Wim De Decker, Faris Haroun, Gert Claessens, Tom Soetaers, Gonzague Vandooren et Hans Cornelis, d’autres (ex-)footballeurs de Genk, résident également officiellement à Aix-la-Chapelle.

Pourquoi des footballeurs belges qui jouent en Belgique habitent-ils en Allemagne ?

Parce qu’ainsi, ils ne sont plus considérés comme des Belges, d’un point de vue fiscal… Le RC Genk aime à se vanter de titulariser fréquemment neuf Belges mais ils sont domiciliés à Aix. Dans la comptabilité de Genk, ils ont le statut d’étrangers…

A la base de cette situation, une circulaire de 2002. Les sportifs étrangers qui exercent leur profession en Belgique bénéficiaient du même statut préférentiel que d’autres non-résidents de certains secteurs. Les footballeurs, les basketteurs et ensuite les joueurs de volley étaient considérés comme non-résidents, même s’ils habitaient quand même en Belgique.

Le salaire brut des sportifs non-résidents n’est imposé qu’à une seule reprise, libératoire de tout autre impôt, et au tarif avantageux de 18 %. C’est nettement plus avantageux que l’imposition de ceux qui habitent en Belgique. En fonction de leurs revenus, les impôts vont, selon une échelle progressive, de 25 à 50 %. Beaucoup de footballeurs, gagnant davantage que la moyenne, tombent généralement dans la tranche d’imposition supérieure et arrivent à une imposition moyenne de 40 %.

Or, il faut savoir que les footballeurs pros ne signent un contrat que s’ils ont le salaire net et hors taxes qu’ils visent. En d’autres termes, pour un même salaire net, un étranger coûte nettement moins à un club belge (18 %) qu’un Belge (40 %). Le Belge (pour lequel le club paye 22 % de taxes en plus que son coéquipier étranger) est donc désavantagé si le club a prévu un budget brut identique pour les deux footballeurs. Dans les faits, les clubs recherchent leur salut dans l’embauche d’étrangers, pas parce qu’ils sont meilleurs mais parce qu’ils ont moins de frais. Cela dit, le salaire minimum d’un joueur non européen est légalement supérieur à celui de l’Européen, mais c’est une autre discussion.

 » C’est une anomalie « , avait clamé Roland Duchâtelet, le président de Saint-Trond, également politicien, durant l’été 2004, quand il avait permis à Marc Wilmots d’embaucher des Africains à la pelle. Un an plus tard, Jos Vaessen, ex-président de Genk, flanqué de l’ancien président fédéral Jan Peeters et de Trudo Dejonghe, économiste du sport, avait donné des explications à la commission de la Chambre qui se penchait sur une nouvelle proposition de loi. Vaessen avait fustigé  » la discrimination entre les joueurs belges et les étrangers « .

Mais cette discrimination est annulée quand un footballeur belge au service d’un club belge réside à l’étranger. Le fisc le considère alors comme un non-résident, ce qui lui confère les mêmes avantages fiscaux. C’est ce qui explique l’exode massif des Belges de Genk à Aix-la-Chapelle.  » Leur salaire net augmente, ce qui permet au club de leur faire des offres nettes alléchantes « , explique Frank Hendrickx, professeur de droit du travail et juriste à la KUL.  » Un déménagement est fiscalement intéressant pour les deux parties « .

En d’autres termes, la proximité des frontières fait de Genk un club attrayant. Ses footballeurs sont d’ailleurs parmi les mieux payés de notre championnat.

Tous nos clubs ne peuvent aligner autant de Belges que Genk, doté d’un avantage frontalier.

Filip Aerden, directeur financier du RC Genk :  » Nous ne garantissons aucun salaire net aux joueurs. Nous ne négocions que des contrats bruts. Il ne faut pas retourner la situation : ce sont les joueurs qui prennent l’initiative de s’expatrier. Cela a commencé il y a quelques années avec David Paas et Jan Moons : dans le vestiaire, ils se moquaient des 22 autres joueurs qui continuaient à vivre en Belgique. Certains ont suivi leur exemple. Quand un footballeur nous présente des documents qui attestent qu’il a émigré, nous sommes obligés d’en tenir compte mais c’est le footballeur qui en tire profit. Imaginez qu’il ait signé un contrat lui offrant 150.000 euros bruts. Après son déménagement, au lieu de 50 % d’impôts, il n’en devra plus que 18 %. Nos frais restent identiques dans les deux cas de figure : 150.000 euros « .

Trudo Dejonghe (économiste du sport) :  » La réalité n’es pas aussi simple. Le club et le joueur sortent vainqueurs de l’opération. Généralement, on réalise ces constructions au profit des sportifs qui sont convoités par l’étranger ou pour des compatriotes qui envisagent de revenir en Belgique. Le joueur ne s’intéresse qu’au salaire net : il se moque de ce que représente le brut. Ce montant-là ne concerne que le club. Quand un sportif réside à Aix, sa masse salariale brute baisse. Le club peut le garder plus longtemps ou l’attirer. C’est une façon pour les clubs belges de concurrencer encore un peu leurs voisins, qui disposent de budgets nettement plus considérables et versent des salaires plus plantureux « .

Soetaers est un bel exemple. Dejonghe :  » Il ne jouait pas à l’Ajax et a dû se mettre à la recherche d’un autre club. Mais un club qui payait moins bien. Ce fut Genk, qui a pu l’attirer grâce à un salaire élevé, selon les normes belges. Le club y gagne au niveau de la production, le joueur y gagne car il évolue dans un grand club belge au lieu de se ronger les sangs dans le noyau B de l’Ajax ou un club étranger de second rang. En outre, à Genk, il a l’opportunité de se rappeler au bon souvenir de l’équipe nationale et de briguer à nouveau un salaire plus élevé à l’étranger « .

Pour contrer l’expatriation, huit parlementaires ont déposé une proposition de loi contre la discrimination entre Belges et étrangers.

Duchâtelet et Vaessen souhaitaient étendre le tarif préférentiel destiné aux étrangers à tous les joueurs belges, tout en amenant le taux d’imposition plus près du taux moyen classique, afin de ne pas offusquer l’opinion publique. Abolir complètement le tarif préférentiel n’était pas pensable car alors, nos clubs n’auraient plus pu enrôler d’étrangers de bon niveau comme Nicolas Frutos ou Bosko Balaban.

La nouvelle proposition de loi abolit complètement le tarif préférentiel. Si elle passait – NDLR : mais peu de propositions de lois deviennent des lois effectives, à l’avenir, tous les footballeurs sans exception seraient soumis aux mêmes règlements fiscaux que les autres Belges. Une compensation est néanmoins prévue, précise Dirk Claes (CD&V), un des concepteurs de la proposition :  » Le club pourrait conserver 50 % du précompte patronal pour tout joueur de moins de 26 ans, belge ou étranger. Ce n’est pas un montant dérisoire. Cet argent resterait dans les caisses du club, qui pourrait l’employer comme il le souhaite, par exemple en augmentant le salaire net des joueurs. Pour les footballeurs de plus de 26 ans, les clubs bénéficieraient d’un précompte libératoire correspondant à la moitié de ces 50 % mais ils seraient obligés d’investir cette somme dans la formation de jeunes de 12 à 19 ans. Nous donnons ainsi une dimension sociale à l’aspect fiscal « .

Quelles seraient les conséquences de cette proposition de loi ?

Filip Aerden : (directeur financier de Genk) :  » Les étrangers et les Belges domiciliés à l’étranger deviendraient plus chers. S’ils voulaient leur conserver leur salaire net, leurs clubs devraient leur verser un brut supérieur. Déménager à Aix n’aurait plus de sens. Mais nous n’incitons personne à émigrer. Ce n’est absolument pas la politique de notre club « .

Aerden sait que les Belges qui vivent maintenant à Aix risquent de tourner le dos au Racing si la nouvelle proposition de loi était entérinée :  » L’aspect positif est qu’elle pourrait engendrer une hausse des salaires nets pour les joueurs résidant en Belgique. Ceux-là seraient donc contents. Par contre, les footballeurs qui vivent à Aix-la-Chapelle perdraient quelques % de leur salaire net. Ils voudraient peut-être renégocier leur contrat, avec de nouvelles exigences, mais nous avons établi notre budget brut et nous ne le dépasserons pas. Quelqu’un qui boude Genk ne peut aller qu’à Anderlecht ou au Club Bruges. Sinon, il pensera à un club étranger « .

Dirk Claes (le politicien) :  » La nouvelle loi pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 2008 voire en 2009. Ce serait un moment pénible pour les clubs mais nous pensons à l’avenir. Ils vont devoir modifier leur mode de penser et accorder leur chance à de jeunes joueurs formés dans leurs rangs. Genk est une exception, je le sais, mais nous devons veiller à établir une concurrence loyale « .

Parmi les autres expatriés : Marc Hendrikx (St-Trond) vit à Aix, Mbo Mpenza (Anderlecht) à Lille, comme Koen Daerden (Cl. Bruges). Mais ils ne veulent pas en parler.

Frank Hendrickx (juriste) :  » Peut-être parce que personne n’aime passer pour un profiteur. Or, c’est l’image que l’opinion publique peut avoir d’eux. D’un point de vue moral, les émoluments plantureux des footballeurs suscitent des réactions négatives. En principe, toutefois, il n’y a rien de mal à utiliser les voies légales pour payer moins d’impôts « .

Trudo Dejonghe :  » En Belgique, le salaire des gens reste un secret bien gardé. Ces footballeurs contournent le système belge : ils ne sont pas solidaires du reste de la population. On ne leur en sait pas gré : rappelez-vous le choc provoqué par le déménagement de Tom Boonen et Justine Henin à Monaco. En déménageant, l’individu fortuné opte pour un système libéral identique à celui des Etats-Unis, où c’est chacun pour soi. Notre système, lui, est basé sur la solidarité et c’est mieux pour la société « .

Filip Aerden :  » Personne n’aime parler de son portefeuille. C’est une question privée « .

Pas Erwin Vandenbergh. Il y a deux mois, il a expliqué au journal flamand Het Laatste Nieuws la dernière prolongation de contrat de son fils :  » J’ai obtenu que Kevin gagne 400.000 euros nets par an, qu’il dispose d’un flat à Aix-la-Chapelle, d’une BMW et d’une carte essence « .

Mais le joueur doit aussi résider dans le flat dont il dispose à Aix… Frank Hendrickx :  » Ces joueurs de Genk doivent en effet vivre à Aix, ce qui veut dire y séjourner réellement. Ce doit être l’endroit où on a établi sa vie sociale, familiale et économique. Une simple boîte postale dans un pays étranger ne fait pas de vous une personne résidant à l’étranger « .

Dans ce cas, on ne peut donc pas prétendre à une diminution d’impôts. Serait-ce là l’explication de ce silence ?

JAN HAUSPIE

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