SECRETS de tanière

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le jeu des Loups décortiqué par leur coach.

Le noyau de La Louvière a été cambriolé durant le mercato mais Albert Cartier (44 ans) connaissait les données (financières) du problème dès l’été dernier. Il est aujourd’hui privé de quatre titulaires de l’équipe du premier tour ( Michael Klukowski, Matthieu Assou-Ekotto, Mickaël Murcy et Manaseh Ishiaku) mais estime que sa sauce n’a aucune raison de tourner au vinaigre à partir du moment où les nouveaux ingrédients ont aussi de la consistance.

L’équipe du premier tour était plus équilibrée

Albert Cartier :  » Je ne dirais pas que l’équipe du premier tour était plus forte que le 11 actuel, mais elle était plus équilibrée parce qu’elle m’offrait plus de possibilités de variation. Klukowski maîtrisait le jeu long, il pouvait expédier des passes précises à 40 mètres. Il avait aussi des facilités sur les phases arrêtées, un bon potentiel dans le jeu aérien, et je pouvais l’aligner tant dans l’entrejeu qu’en défense. Laurent Montoya, qui le remplace au back gauche, a par contre des atouts offensifs plus intéressants. Si j’avais pu disposer de ces deux joueurs ensemble, La Louvière aurait eu le flanc gauche le plus brillant de Belgique. Ce duo aurait été exceptionnel : complémentarité, qualité, mentalité, cela aurait pu faire mal.

Dans l’entrejeu, Assou-Ekotto savait jouer long, rechercher la diagonale, préparer une passe vers la droite mais la donner au dernier moment vers la gauche. J’ai choisi de placer Gunter Van Handenhoven dans la zone où jouait Assou-Ekotto au premier tour et de mettre Julien Pinelli sur la gauche de la ligne médiane, à la place qu’occupait Van Handenhoven. Pinelli a moins d’expérience que Gunter, mais il a d’autres qualités, comme sa faculté d’éliminer un adversaire par un dribble, de déborder et de centrer. A Metz, j’utilisais déjà Van Handenhoven dans l’axe, aux côtés de Mario Espartero. Il est plus à l’aise quand on le place face au jeu, en lui donnant la possibilité de percuter. Son intelligence tactique est un de ses points forts. Il ratisse et fournit des bons ballons. Ça ne m’intéresse pas d’avoir des joueurs qui récupèrent une balle pour la perdre directement. Van Handenhoven et Espartero n’ont pas ce problème. Ils ont tous les deux la faculté de porter notre jeu vers l’avant. Espartero est aussi capable de se sacrifier complètement pour nos besoins défensifs. Dans ce cas, il ferme tous les angles. Il prend des infos devant, derrière, à gauche, à droite. Il a des yeux dans le dos.

Au niveau de la ligne d’attaque aussi, j’ai dû m’adapter aux départs. Avec Murcy, j’avais beaucoup de vitesse. Avec Ishiaku, de la vitesse et un pivot. Aujourd’hui, c’est moins véloce devant, surtout si je fais jouer le duo Rafik Djebbour-Mathieu Maton. Par contre, c’est plus concret dès que je mise sur Wagneau Eloi. Le pourcentage trop faible de concrétisation des occasions, c’était notre principal problème au premier tour. Eloi sait finir les actions créées par lui-même et par les autres. Et son jeu de tête est sans doute encore meilleur que celui d’Ishiaku. Le seul souci concernant ce joueur est son manque de rythme et d’automatismes : il est resté six mois sans jouer et cela se paie. Idem pour Montoya. Ils ont aussi le handicap de ne pas avoir fait une préparation complète avec le groupe. Mais je sais ce qu’ils valent. Ils correspondent au profil recherché par ce club : des joueurs qui ont accepté de faire de sérieuses concessions financières par rapport à leur passé et leurs capacités, dans le but de se relancer. Un Eloi à son meilleur niveau n’est pas un joueur pour un club comme La Louvière.

Djebbour est encore en pleine phase d’apprentissage. Il mesure tout le fossé qui sépare l’équipe CFA d’Auxerre d’un team de première division. Il était habitué à évoluer dans un ensemble qui jouait chaque saison le titre. Mais ce n’était que la CFA ! Il doit encore apprendre qu’à ce niveau, il ne suffit plus de 20 bonnes minutes pour sauver les apparences « .

Les conséquences positives de l’effet de surprise

 » Sur les plans individuel et collectif, nous ne sommes pas plus ou moins forts que les autres équipes de notre zone du classement. Nous n’avons perdu qu’un seul match par plus d’un but d’écart : à Bruges (2-0). Toutes les autres défaites étaient serrées dans les chiffres : c’est révélateur de la qualité de mon groupe. J’explique notre bon parcours par la valeur de mes joueurs, leur état d’esprit, mais surtout l’effet de surprise qui a joué pendant tout le premier tour. Personne ne nous attendait à ce niveau. Dites-moi quel joueur de La Louvière était convoité l’été dernier ? Qui, à part Klukowski et Silvio Proto ? Et encore ! On ne s’est pas battu pour les transférer. La première vraie offre pour Klukowski est arrivée à la veille du mercato d’hiver. Et tout ce qu’on proposait à Proto, c’était une place de deuxième gardien dans un club de troisième zone en Angleterre « .

Les raisons du 4-4-2

 » La défense à quatre est une constante dans ma carrière d’entraîneur. J’ai pratiqué avec trois défenseurs pendant une période à Metz mais il faut alors trois joueurs exceptionnels : rapides, intraitables dans les duels, forts dans le jeu aérien, tactiquement doués. Ce n’est pas évident de boucler toute la largeur du terrain à trois. A quatre, on a la possibilité de bien fermer, et un des backs peut sortir à tout moment pour qu’on ait un homme de plus dans l’entrejeu. Le back qui sort ne doit pas nécessairement être celui qui se trouve du côté où est le ballon. J’assigne une mission précise à mes défenseurs, en cas d’attaque adverse : un va au contact, un autre ferme à droite, un troisième boucle à gauche. Mes deux défenseurs centraux, Olivier Guilmot et Geoffray Toyes, se couvrent. Il n’y en a pas un des deux qui doit nécessairement se trouver en position plus avancée que l’autre.

Deux attaquants spécifiques, j’aime bien aussi. Mais ils ne peuvent jamais se trouver à la même hauteur, ils doivent toujours être décalés parce qu’un ballon donné à un joueur se trouvant sur la même ligne est souvent un ballon perdu. Cette règle vaut aussi sur les autres portions du terrain, d’ailleurs. Je ne veux pas qu’un flanc donne le ballon à l’autre flanc positionné sur la même ligne, car si l’adversaire intercepte, les deux flancs sont battus. Et je ne veux pas non plus de longues passes longitudinales le long de la ligne de touche parce que c’est trop facilement maîtrisable par l’adversaire.

Il me reste alors à composer mon entrejeu. J’ai plusieurs variantes pour ma ligne médiane à quatre hommes : 3-1, 1-3, etc. Le plus important, dans cette portion du terrain comme ailleurs, est d’avoir en permanence deux ou trois hommes de plus que l’adversaire dans la zone où se trouve le ballon û deux ou trois joueurs dans un rayon de 15 à 20 mètres autour du porteur. Cela est vrai aussi bien en phase défensive qu’offensive. En phase offensive, celui qui a la balle doit toujours avoir une solution sur le côté, et au moins une ou deux devant lui. Ça ne m’intéresse pas d’avoir deux options sur le côté et aucune devant. L’animation de l’entrejeu fera qu’on réussira û ou pas û à surprendre l’adversaire. Lors de nos premiers matches de la saison, nous étions tellement forts dans le jeu court que mes joueurs ont commencé à ne plus faire que cela. Ils n’imaginaient même plus d’autres solutions. J’ai eu peur que cette force devienne un handicap et j’ai travaillé pour qu’ils soient capables en permanence d’alterner jeu court et jeu long.

Je ne laisse aucune liberté défensive à mes joueurs. La défense, c’est le placement. En phase offensive, ils peuvent mettre au maximum 15 % de créativité dans leur jeu. L’attaque, c’est le déplacement ! J’accepte qu’un médian ne reçoive pas le ballon après être monté comme je lui ai appris à le faire, si l’attaquant qui a le ballon a subitement décidé de tenter une action inattendue. Dans ce cas-là, même mon équipe est surprise et je considère que le joueur en question a simplement exploité les 15 % de liberté que je lui accorde.

Le 4-4-2 présente aussi l’avantage d’être le système le plus facilement assimilable, que l’on ait reçu une bonne formation ou pas « .

Un seul match dans un système différent

 » J’ai modifié une seule fois mon système : pour le match de Coupe à Bruges (2-2). J’ai disposé l’équipe en 4-1-4-1. Un des objectifs était de contrer les backs brugeois qui ont l’habitude d’expédier de longs ballons vers un des trois attaquants. J’ai conçu un système avec Van Handenhoven dans un rôle de pilote de l’avion, de donneur d’ordres pour l’entrejeu à quatre disposé devant lui, de meneur de jeu devant la défense. Il avait la liberté de demander tous les ballons venant de nos arrières, pour ensuite les distribuer de la meilleure façon. Et je voulais que nous attaquions toujours à quatre : Eloi (notre attaquant de pointe), Montoya et Fadel Brahami (nos ailiers), en plus d’un des deux joueurs évoluant dans l’axe de l’entrejeu, devant Van Handenhoven ( Yéro Dia ou Nasser Daineche) « .

Les jeunes débarquent de nulle part

 » Les jeunes du club que j’ai accueillis dans le noyau en début de préparation ont raté des étapes importantes de la préformation et de la formation. Cela m’a frappé dès le premier jour. Il y a cinq composantes dans le football : le ballon, le partenaire, l’adversaire, l’espace et le temps. Ces gamins-là n’en connaissaient qu’une seule : le ballon. Et encore ! Ils avaient des problèmes avec cette balle : ils se battaient avec elle pour bien l’utiliser et ça se transformait souvent en grosse bagarre parce qu’ils ne parvenaient pas à la maîtriser complètement. Un seul de ces jeunes est entre-temps devenu titulaire : Julien Pinelli. Ce n’est pas un hasard : c’est le seul qui a suivi 80 % des entraînements du noyau pro. Il a fait un choix de carrière : le foot au détriment des études. Les autres doivent combiner les cours et le foot, il est impossible pour eux d’être déjà prêts maintenant pour jouer régulièrement en Première. Sur les plans individuel, collectif, technique et tactique, Pinelli a déjà gagné un temps énorme par rapport à ses copains du même âge que j’ai dans le noyau. En travaillant avec les pros, il a d’abord transformé le ballon d’ennemi en ami. C’était une première étape indispensable.

Si ces gamins n’avaient pas un mental exceptionnel, je ne les aurais même pas gardés un mois dans le groupe, tellement leurs lacunes étaient marquées. Mais quand je vois leur force morale, je dis ûBravo. J’entends parfois que les footballeurs belges pêchent sur le plan mental : c’est faux. Mes jeunes me prouvent chaque jour le contraire. Ils veulent être premiers dans tous les exercices individuels. Ils maîtrisent les deux paramètres incontournables pour progresser et gagner : la motivation et la concentration. Mon rôle consiste à veiller à ce qu’ils ne ralentissent pas la cadence : un entraîneur doit être entraînant. Et je leur fais répéter 10, 20, 100, 1.000 fois les mêmes choses, jusqu’au moment où ça devient non pas un réflexe, mais un mouvement programmé. Avoir un réflexe, c’est retirer subitement votre main quand elle touche la taque de cuisson. Un mouvement programmé, c’est le fruit des répétitions. Je ne suis pas d’accord quand on parle de réflexe pour un gardien qui sort un ballon impossible ; non, il l’a tellement répété à l’entraînement que c’est devenu un mouvement programmé « .

Pinelli chez les Espoirs, Guilmot et Van Handenhoven chez les Diables

 » Mais qu’est-ce qu’ils fabriquent à la fédération belge ? Qu’est-ce qu’ils attendent pour donner une chance à Pinelli chez les Espoirs ? Il faudrait leur dire que, quand il aura 24 ans, il sera trop tard. Des gens de l’Union Belge nous ont demandé s’il était prêt. Ils ne l’ont pas vu aller gaiement au duel, contre Charleroi, face à des gars comme Laurent Ciman et Frank Defays ? C’était peut-être le test le plus difficile dans le championnat de Belgique et Pinelli l’a réussi brillamment. Ce n’est pas l’âge d’un joueur qui détermine sa qualité. Ce n’est pas en se demandant éternellement si des joueurs comme Pinelli sont prêts pour les Espoirs que le football belge va avancer.

Idem pour Van Handenhoven et Guilmot en équipe A. Quand je vois tout le mal qu’éprouvent les Diables Rouges à se dépêtrer de certaines situations, je dis que Van Handenhoven pourrait leur faire beaucoup de bien. Je ne dévalorise pas Peter Van der Heyden, Philippe Clement ou Timmy Simons, mais il faudrait aussi tenir à l’£il un gars comme Guilmot. Il a aussi le bon profil pour partir progressivement à la découverte de la vie en sélection. C’est le moment pour les mettre dans le bain. Mais au lieu de cela, on prend un Olivier Doll de 31 ans pour être réserviste dans un match amical en Egypte !  »

Pierre Danvoye

 » Défense = PLACEMENT ; attaque = DÉPLACEMENT « 

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