SECRET DÉFENSE

Aucune équipe de D1 n’a encaissé autant de buts que les Rouches : comment les Liégeois en sont-ils arrivés là ?

Les chiffres sont clairs et nets : le team de Sclessin a marqué autant de buts qu’Anderlecht Avec 18 goals, cette équipe n’est précédée que par le Club Bruges (19) et Westerlo (21). Même si les rouages de cette division demandent encore des réglages, les départs de Michy Batshuayi et d’Imoh Ezekiel ont été digérés. Une nuance s’impose. A son apogée, en plus de manier la poudre, ce duo excellait dans le pressing sur les défenseurs adverses et constituait le premier anti-vol défensif de la maison rouge.

L’attaque actuelle présente des arguments, comme ses statistiques en attestent, mais bosse moins à la récupération. Tous les consultants, de Philippe Albert à Alex Teklak, NordinJbari et Khalilou Fadiga, l’ont remarqué. Ce premier effet papillon s’est ajouté à d’autres carences avec une conséquence au bout de la chaîne : une ligne arrière aussi trouée que du gruyère. Chargée d’un passif de 21 buts, cette division est désormais la lanterne rouge du peloton des défenses de l’élite. A titre de comparaison, le gardien d’Anderlecht a encaissé 9 buts, 12 de moins que celui du Standard ; la différence est impressionnante.

Sans leur capitaine Jelle Van Damme, suspendu pour excès de cartes jaunes, les Liégeois ont présenté au Club Bruges (3-0) un effectif renouvelé à 45 % : c’est énorme à tous points de vue. Il ne s’agit pas seulement de remplacer ces cadres. Les forces sont différentes par rapport à la saison passée et le Standard mise moins sur la vitesse et les contres. Et, dans ce chantier, c’est la défense qui trinque pour le moment. Après trois mois de travail, elle n’a pas progressé mais semble, au contraire, à la recherche de ses équilibres. Cette période de rodage est-elle suffisamment longue ?

A Bruges, rejoint dans son analyse par Roland Duchâtelet, Guy Luzon a taillé un costume à l’homme en noir, Luc Wouters, accusé d’avoir exclu Eyong Enoh au lieu de lui avoir montré un bristol jaune comme ce fut le cas pour le Brugeois Ruud Vormer auteur lui aussi d’une intervention dangereuse. Au-delà de cela, Luzon a-t-il encore besoin de temps pour régler les problèmes de récupération ? Aura-t-il terminé son travail défensif à Pâques ou à la Trinité ? En décembre ou avant le début des PO1 ? Laurent Ciman n’y a pas été par quatre chemins à la télévision au coup de sifflet final. Avec la lucidité qui est la sienne, il a déclaré  » qu’on ne peut plus évoquer l’excuse du temps : après trois mois, il n’y a qu’une chose à faire : gagner.  »

Un béton qui s’effrite

Ce style direct a plu au consultant Geert De Vlieger :  » Je préférerais avoir Ciman comme coach que Luzon qui cherche des excuses ailleurs.  » De Vlieger s’attendait à ces explications style rideau de fumée dans le chef du T1 liégeois.

Cela dit, le bilan défensif de Luzon tranche en tout cas fameusement par rapport aux traditions liégeoises. Les Rouches ont souvent présenté des murs infranchissables, une spécialité locale. Au regard de l’histoire, Luzon est-il moins fort dans l’art de la fortification que Robert Waseige, Ernst Happel, Michel Pavic ou Michel Preud’homme ?

Michel Renquin a côtoyé ces monstres sacrés et apporte de la hauteur au débat le plus actuel et le plus chaud au Standard.  » Il y a un an, personne n’aurait posé cette question « , explique-t-il.  » L’acquis forgé par Mircea Rednic est resté en place et Luzon a apporté sa touche. Cette saison, tout est très différent, le vestiaire a beaucoup changé. On ne peut plus comparer les époques. Pour moi, Happel a été le plus impressionnant dans l’art de construire une défense. Waseige était aussi un spécialiste en la matière. Ils avaient un avantage par rapport à Luzon : les effectifs fluctuaient peu. Avant, les défenses étaient parfois en place pour 10 ans ; c’est impossible en 2014. Les coaches d’autrefois cherchaient leurs renforts en D1. Ils connaissaient parfaitement les potentialités des nouveaux et les périodes d’adaptation étaient limitées. On plaçait chacun à la place qui lui convenait le mieux et cela roulait.  »

 » Aujourd’hui, on recrute des joueurs dans le monde entier, en se basant souvent sur des piles de cassettes des agents. On peut parfois trouver une pépite mais tout le travail d’intégration ne fait alors que commencer. Il faut unir des cultures différentes et cela ne se fait pas en un claquement de doigts. Le rendement des arrières est plus complexe qu’avant. Moi, je jouais à l’instinct. Happel a été le premier à m’indiquer d’autres horizons, à me faire travailler pour varier ma production. Les arrières actuels assurent plus de missions qu’autrefois et cette diversification exige de la patience. Je ne connais pas les accords entre Duchâtelet et Luzon. La direction du Standard a acquis des milieux de terrain sur le tard. Duchâtelet et Luzon savent quand ils veulent être prêts.  »

Manque de jugeote

Mais en attendant, les plaies défensives sont béantes. Meilleur jeune du denier championnat de Slovénie, Martin Milec n’a pas pour le moment la taille de l’emploi. Son rendement est insuffisant N’était-ce pas prévisible ou doit-il mûrir alors que le Standard est dans l’urgence des résultats ? Jorge Texeira est un solide professionnel qui n’aura pas trop de soucis. Ciman continue sur sa lancée de la saison passée. Van Damme sera au four et au moulin jusqu’à la fin de sa carrière.

Même si ses buts font du bien, il devrait se concentrer sur ses missions défensives ; ses équipiers les plus proches de lui sur le terrain ont besoin de lui. Ils ont manqué de jugeote au Club Bruges, notamment sur les deux penalties. Dino Arslanagic est arrivé trop tard sur le premier. Plus tard, Ricardo Faty n’avait pas vu qu’il était couvert par Ciman pour le deuxième.

Arslanagic souffre le plus des suites de ces recherches d’un nouvel équilibre défensif. Son talent avait emballé Rednic :  » Un jour, il aura sa place au centre de la défense des Diables Rouges « , avait-il dit. Ce rêve s’est éloigné après une bonne saison 2013-14. Ce styliste doit désormais ranger son smoking, user son bleu de travail, être plus rapide, moins beau mais plus intransigeant.

 » Il ne faut pas trois mois pour organiser une défense « , remarque Georges Heylens, qui a connu un spécialiste mondial en la matière : Raymond Goethals.  » Il serait encore à la page de nos jours. Luzon ferait bien de s’en inspirer. Raymundo n’avait pas besoin de vidéo : il connaissait tous les joueurs de D1 et d’Europe de A à Z. Quand je ne comprenais pas quelque chose en équipe nationale, il n’hésitait pas à griffonner ses plans durant des heures sur une nappe en papier. Goethals et les grands coaches belges n’ont jamais refusé de revoir leurs plans, de s’adapter aux forces et faiblesses des adversaires. Une bonne défense est la base de tout. Luzon doit choisir ses chantiers et bosser. Il se retrouve dans l’obligation d’arrêter l’hémorragie. Il n’est pas normal que la défense du Standard soit la passoire du football belge.  »

Kawashima, symbole de la faillite défensive

Si la faillite défensive doit être résumée en un nom, c’est sans nul doute celui du portier japonais, Eiji Kawashima qui reviendra le plus souvent. Depuis son arrivée en bord de Meuse, il suscite beaucoup d’interrogations tant il a une capacité à alterner arrêts de grande classe avec boulettes de gardien de provinciales. La saison passée fut sans conteste sa plus réussie, lui qui avait sorti de grandes prestations (notamment à Genk et Malines en début de championnat) et avait certainement pris les points nécessaires au très bon départ du Standard.

Il avait alors démontré que sous la pression de la concurrence (la direction ayant tiré les leçons de sa première saison liégeoise très moyenne en transférant un des grands espoirs de la Ligue 1, le Français Yohann Thuram), il ne pliait pas. Au contraire, il se développait. On avait alors lié sa progression à l’arrivée de Jos Beckx, éleveur de champions, au poste d’entraîneur des gardiens.

Pourtant, il faut bien avouer qu’un an plus tard, Kawashima est retombé dans les travers de sa première saison. Son état de grâce avait déjà pris du sérieux plomb dans l’aile fin de saison passée, le gardien japonais ayant déjà coulé lors des derniers play-offs, au même titre que la plupart des cadres d’ailleurs.

Pourtant, Kawashima avait de nouveau commencé la saison sur les chapeaux de roue, démontrant une nouvelle fois sa force de caractère, lui qui restait sur une pâle Coupe du Monde. Mais en un mois, il a sombré. Une boulette sur le 2e but du Lierse (alors que Ciman s’était déjà engueulé avec lui sur le premier, lui reprochant de ne pas être sorti plus tôt, ce qui l’avait mis en difficulté face à deux hommes et l’avait poussé lui-même à la faute). Une deuxième, cruciale, en Europa League face à Feyenoord.

Comme l’a démontré l’engueulade avec Ciman, ses défenseurs ne lui font plus confiance, et de ce fait reculent plus que nécessaire. Le public l’a de nouveau pris en grippe, comme lors de la campagne 2012-2013.

Alors pourquoi le conserver dans les buts liégeois ? Deux raisons peuvent être avancées. La première, c’est sa force de caractère. A chaque fois qu’il a été mis sur la sellette, Kawashima est revenu plus fort. La deuxième est plus pernicieuse. Une partie du groupe commence à se demander si Kawashima n’est pas maintenu dans les buts pour d’autres raisons que sportives, lui qui génère pas mal de retombées au Japon.

A force de le défendre, Guy Luzon est en effet en train d’installer le doute dans la tête de certains de ses joueurs. D’autant plus que tout le monde se demande pourquoi avoir fait venir Thuram, à grand renfort de publicités et d’euros (1,5 million d’euros de transfert), si ce n’est pas pour le faire jouer quand le numéro un pique du nez ! A l’époque de son arrivée, la direction ne s’était-elle pas félicitée d’avoir chipé, au nez et à la barbe des clubs de L1 française, l’un des espoirs les plus talentueux d’Hexagone ? ?

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Avant, les défenses étaient parfois en place pour 10 ans ; c’est impossible en 2014.  » Michel Renquin, ex-défenseur des Rouches

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