© BELGAIMAGE-CHRISTOPHE KETELS

Sclessin pour les intimes

Habituellement en feu quand il s’agit de supporter ses Rouches, Liège est fort calme depuis le début de saison. La faute à ce foutu Covid-19, qui perturbe les habitudes des fans rouges et blancs. Plongée silencieuse dans une ville endormie.

Jour de match à Sclessin, les abords du Stade Maurice Dufrasne se remplissent. Pourtant, il reste des places de parking libres dans les rues avoisinantes. On peut même se frayer un chemin rue de la Centrale sans jouer des coudes. Le Covid-19 a changé les habitudes, cela ne fait aucun doute. Les dernières mesures de huis clos n’ont pas encore été annoncées et de nombreux supporters sont donc présents, pour soutenir leur équipe et combler un manque. Pour les plus acharnés, l’absence de matches a été un véritable déchirement. Pour leur plus grand plaisir, ils ont pu revenir au stade pour quelques rencontres, mais ça n’a pas duré. Pour l’ambiance de stade, on repassera. Parce que rien ne ressemble moins à un stade plein qu’un stade à deux tiers vide.

Le Standard, ce sont des traditions familiales que l’on honore. Et c’est un gage de qualité, car on sait qu’il n’y aura pas de faux supporters. » Ludovic, abonné depuis quinze ans

À quelques minutes du coup d’envoi, certains tentent vaille que vaille de lancer des chants. En vain. Les supporters doivent arriver à des moments différents et par des endroits distincts, au beau milieu d’un labyrinthe de barrières nadar, pour éviter les attroupements. Difficile de donner de la voix dans ces conditions. À l’entrée du stade, pas de file, pas de fouille, mais du gel hydroalcoolique et des marquages au sol rappelant le contexte. Dans les tribunes, de la musique, des applaudissements, mais peu de chants. En fermant les yeux, on pourrait se croire dans beaucoup de stades du Royaume, mais pas à Sclessin.

L’absence des Ultras Infernos et du PHK se fait sentir, l’ambiance en a pris un coup, mais paradoxalement ça ne semble pas influer sur la bande à Philippe Montanier. Dans le vide, les dribbles de Mehdi Carcela résonnent deux fois plus fort, autant que les passes tranchantes de la nouvelle coqueluche Nicolas Raskin, ou que les réflexes d’ Arnaud Bodart. Mais ça reste différent. Le « Aux Armes » sonne creux, les tambours sont au garage, les bières ne coulent plus à flots. Il règne un parfum étrange, loin de l’émotion habituelle qui baigne Sclessin.

Sclessin pour les intimes
© BELGAIMAGE-CHRISTOPHE KETELS

Il suffit de dézoomer pour s’en rendre compte. À quelques kilomètres de là, les cafés longeant la gare des Guillemins ont d’abord fait salle vide, avant de se retrouver fermés, contraints et forcés. Les caisses pleines et les hurlements d’après-but ont fait place aux portes closes et aux devantures tirées. Autant que les traits de ces patrons de débits de boissons, qui voient les recettes d’ordinaire si gourmandes lors des soirées d’après-match s’envoler.

L’amour des Rouches n’a pas disparu. Le Standard colle au coeur de ses supporters comme un sol de fin de soirée dans le Carré. Même loin de l’ Enfer de Sclessin, certains ont donc décidé de vivre leur passion à fond. Mais pas comme avant.

Antisocial, tu gardes ton sang-froid

En temps normal, la vie des Ultras est rythmée en fonction du Standard. Voués corps et âme à leur club, ils organisent leur agenda pour soutenir leurs couleurs. Tifos, présence aux entraînements et réunions pour préparer les déplacements font partie de leur quotidien. Mais tout ça, c’est fini. Cette saison, les Ultras Infernos et le PHK sont absents, préférant attendre un hypothétique retour complet du public pour revenir garnir les gradins. Ce n’est pas pour demain. Ils n’oublient pas leur blason pour autant. Le 4 octobre dernier, par exemple, ils se manifestaient en accompagnant le car pour son départ vers Charleroi, donnant le coup de boost nécessaire pour que les Liégeois s’imposent en terres ennemies (1-2). En août, ils avaient déjà été communier avec les joueurs après la réception du Racing Genk.

Sclessin pour les intimes
© BELGAIMAGE-CHRISTOPHE KETELS

En temps normal, à Sclessin, on croise des dizaines de groupes d’amis. Certains viennent entre eux, d’autres font partie d’un club de supporters grâce auquel ils se retrouvent et rencontrent de nouveaux compagnons partageant la même passion. Tous ne viennent pas pour le match, mais pour un moment d’échange. Problème, le Covid est antisocial. Et ne s’encombre pas de sentiments.

« Pour nous, le principal, ce n’est pas nécessairement le match, même si ça joue énormément sur l’ambiance et notre humeur. Non, le plus important, c’est d’être avec nos amis et d’en rencontrer plein d’autres. C’est ce qu’on aime le plus », raconte Timothée, abonné depuis trois ans. « Être supporter des Rouches, c’est une véritable identité. Ça rassemble », ajoute Pierre, habillé de son peignoir aux couleurs de l’équipe, avant la rencontre face au Club Bruges. Et ça rassemble encore malgré la crise. Les Liégeois se rencontrent, se découvrent, célèbrent ou se consolent. Ensemble, mais à distance, donc. À ce moment-là, le mètre cinquante est toujours de mise. Aujourd’hui, les stades sont à nouveau vides, et le vécu encore bien différent. Une grosse déception qu’il faut apprendre à digérer. Encore une fois.

Plus belle la ferveur

Il n’y a pas qu’autour du Stade Maurice Dufrasne que l’atmosphère a changé. Dans le centre de Liège aussi. Alors qu’habituellement, on voit défiler les bonnets et écharpes rouges et blancs dès la fin des nonante minutes, c’est désormais le calme plat. Les rues du centre sont désertes, tristes et silencieuses, alors que les résultats de l’équipe mériteraient une belle liesse populaire.

Rien n’est plus pareil. Mais les supporters rencontrés restent philosophes. Les anciens arborent des vareuses aux noms de Régis Genaux, Michaël Goossens ou Philippe Léonard. Ceux-là en ont vu d’autres. Ils ont connu les années noires, le quart de siècle sans titre, le Covid aujourd’hui. Ludovic, abonné depuis quinze ans, adore cet aspect traditionnel, très propre aux Rouches: « Le Standard, ce sont des traditions familiales que l’on honore. Et c’est un gage de qualité, car on sait qu’il n’y aura pas de faux supporters, l’amour du club est présent depuis l’enfance », explique-t-il. « Aujourd’hui, la plupart des jeunes sont fans de Messi ou Ronaldo parce qu’ils les voient à la télévision. Nous, on est tombés amoureux du Standard en venant au stade avec nos parents, et ça rend la ferveur plus belle. » Cette tradition, elle ne faiblira visiblement pas avec la deuxième vague, peu importe la présence ou non au stade et les résultats de l’équipe qu’ils aiment tant.

Sclessin pour les intimes
© BELGAIMAGE-CHRISTOPHE KETELS

Les supporters les plus acharnés continuent aussi à faire des sacrifices pour leur équipe, même s’ils ne le voient pas comme tel. « À la police, on est mieux payés le week-end, mais moi, je préfère prendre congé pour aller voir le Standard, que ce soit à domicile ou à l’extérieur. Je suis le seul dans mon équipe à ne pas vouloir travailler les jours de matches », explique, décidé, Jérémy, supporter des Rouches depuis ses sept ans. Crise sanitaire ou non, Liège a décidé de vibrer jusqu’au bout. En silence parfois, à distance souvent, mais avec le coeur, toujours.

Sclessin pour les intimes
© BELGAIMAGE-CHRISTOPHE KETELS

La place Saint Lambert en feu

« L’effervescence fluctue en fonction des résultats, c’est normal », explique Fred, abonné historique. Le Standard est un club à part, qui se conforme aux coutumes du commun des mortels, qui veut que les résultats dictent le degré d’ambiance dans un stade. Il faisait par exemple très chaud au printemps 2008. À l’époque, Michel Preud’homme était à la tête de l’équipe et ramenait le titre en terres liégeoises après 25 ans de disette.

Il y a douze ans, les Rouches s’imposaient face à leur ennemi juré bruxellois grâce à un doublé de Dieumerci Mbokani et mettaient Liège en transe le temps d’une nuit inoubliable. Ce dimanche-là, les supporters assistaient au neuvième titre de l’histoire de leur club et tombaient dans une ivresse totale. Après avoir envahi le terrain et célébré avec leurs héros, les dizaines de milliers de fans ont déboulé sur la Place Saint-Lambert pour fêter la délivrance tous ensemble. Vers deux heures du matin, les joueurs passeront la tête sur le balcon du Palais des princes-évêques. De quoi combler de joie des supporters ivres de bonheur, mais pas encore amnésiques. Fumigènes, chants, bières, tout y était pour que la fête soit belle.

Un an plus tard, la ville était de nouveau en liesse pour célébrer le doublé. Et depuis, plus rien, à part trois Coupes de Belgique, qui procurent moins d’émotions. Suffisant pour comprendre que Liège n’avait pas attendu le Covid pour se montrer moins bruyante. « C’est clair que l’effervescence à Liège est un peu retombée par rapport aux années de titre », estime Ludovic. « Mais ça peut remonter rapidement si les résultats sont bons, la passion est toujours là. »

Et les résultats, justement, reviennent. Le bon début de saison, un nouveau coach adopté et une qualification en Europa League validée participent à l’engouement récent, seulement plombé par la crise sanitaire. De là à revoir de sitôt la Place Saint-Lambert en feu, il y a désormais un peu plus qu’un pas.

Sclessin pour les intimes
© BELGAIMAGE-CHRISTOPHE KETELS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire