« Scifo est un faux cul »

En prélude à Charleroi-Westerlo, Dante et Toni ne mâchent pas leurs mots.

Ils ont beau habiter à proximité l’un de l’autre à Gozée, Dante et Toni Brogno ne se voient plus très souvent depuis que l’aîné a repris en main les rênes du Sporting. « Avant, on faisait journellement un saut l’un chez l’autre », observe Toni, de retour à Westerlo après deux saisons à Sedan. « A présent, on passe parfois une semaine sans se saluer, tant Dante est absorbé par ses nouvelles fonctions au Mambourg ».

Dans l’optique de Charleroi-Westerlo, programmé le week-end prochain, les frérots ont néanmoins trouvé un petit trou, dans leur agenda respectif, pour partager en notre compagnie une bonne table à Marchienne. Au menu: le prochain affrontement, évidemment, mais aussi un retour sur un passé pour le moins mouvementé.

« Des commissions plus importantes que des contrats » Dante Brogno: Si Charleroi est en aussi fâcheuse posture actuellement, c’est dû tout simplement à Lucien Gallinella et Enzo Scifo. Tout le monde tire à boulets rouges sur Abbas Bayat mais la seule erreur qu’il ait faite, à mes yeux, est d’avoir investi toute sa confiance en deux personnes qui n’avaient pas le profil requis. Quand on a été journaliste toute sa vie, comme c’était le cas du premier, on ne s’improvise pas manager sportif du jour au lendemain. Et ce raisonnement est également d’application à l’autre, qui n’avait aucune expérience de la gestion d’un groupe avant de s’auto proclamer entraîneur des Zèbres. Aux plans financier et sportif, ces deux-là ont commis pas mal d’erreurs. Et le club doit malheureusement composer avec leur héritage. Je n’hésite pas à dire que la grande famille du Sporting paie actuellement les errances de ce duo. Je me suis rapidement rendu compte qu’ils n’oeuvraient pas pour le bien général. Malheureusement, je n’étais pas en position de force, puisque j’étais à cette époque l’adjoint de Scifo, à la fois entraîneur, vice-président, actionnaire du club, et ami intime de Lucien Gallinella. A plus d’une reprise, j’ai voulu m’ouvrir auprès du président de ce qui se tramait réellement en coulisse. Mais je me suis retenu, en me disant que tôt ou tard il finirait bien par réaliser. En lieu et place, c’est moi qui fus rétrogradé. Aujourd’hui, avec un an et demi de retard, l’homme fort du club a mesuré ce que je pouvais apporter au club. Ma nomination au poste d’entraîneur n’est dès lors qu’un juste retour des choses, même si j’aurais préféré continuer à assumer mon rôle d’adjoint. Il est simplement dommage que tant de temps précieux et d’argent aient été perdus dans l’intervalle. Je ne suis pas né de la dernière pluie. Et c’est parce que je n’admettais pas cette situation qu’un gouffre s’est créé entre Enzo Scifo et moi. Jusqu’à présent, je ne m’étais jamais prononcé en ce sens car j’estimais qu’il en allait là de problèmes de cuisine interne. Mais dès l’instant où Enzo Scifo se permet de me critiquer dans la presse, je ne vois pas pourquoi je devrais faire preuve de retenue. Moi, je peux regarder tout le monde dans les yeux. Toni Brogno: Il y a tout juste un an, au moment où la situation s’était quelque peu dégradée pour moi à Sedan, j’avais dit à Dante que j’étais prêt à faire des sacrifices pour revenir à Charleroi. L’affaire en resta là parce que j’étais soi-disant trop cher. Bizarre, dans la mesure où l’on ne m’a jamais questionné sur mes prétentions financières. La vérité, c’est que si Charleroi avait peut-être besoin d’un Toni Brogno sur le terrain à ce moment-là, Enzo Scifo et Lucien Gallinella voulaient plus que probablement s’en passer. Dante faisait déjà figure de chien dans un jeu de quilles pour eux. « Ils ont joué aux fossoyeurs » Dante Brogno: Je pourrais remplir un numéro spécial de Sport/Foot Magazine avec toutes les conneries d’Enzo Scifo. Pour critiquer, il n’y a pas plus habile que lui. Malheureusement, l’autocritique n’est pas vraiment son point fort. Après un 6-0 au Standard, il imputa la défaite aux mauvais crampons utilisés par les joueurs. Une autre fois, à St-Trond, le vent était en cause. Tantôt encore c’étaient les supporters. Bref, c’était toujours la faute de tout le monde, jamais la sienne. Des inepties, pourtant, j’en ai vécu quelques-unes avec lui. Il suffisait que Pierre, Paul ou Jacques lui fasse une remarque sur sa composition d’équipe pour qu’il modifie tout d’un instant à l’autre. Il était rare qu’une équipe que nous avions couchée sur le papier le vendredi se retrouve sur le terrain le week-end. Soi-disant parce que la nuit avait porté conseil. Non, une personne de son entourage l’avait influencé in extremis, voilà tout. Alors, de grâce, qu’il regarde dans son jardin avant de débiter n’importe quoi à mon égard.

Entre Enzo Scifo et vous, c’est définitivement terminé évidemment?

Dante Brogno: Pour moi, la page est tournée. C’est un petit monsieur. Un faux cul. Il s’est servi de notre amitié de plus d’un quart de siècle pour s’attirer les faveurs de tout un chacun au Mambourg. C’était bien vu de sa part: pour avoir la cote à Charleroi, lui, le Louviérois, se rendait évidemment fort bien compte qu’il devait exploiter sa bonne relation avec moi. J’en étais conscient et j’avoue avoir joué le jeu. Pourquoi? Tout simplement parce que le Sporting était dans de sales draps à ce moment et qu’une figure emblématique comme Enzo Scifo, ainsi que les ouvertures qu’il pouvait créer, étaient susceptibles de sortir le club de l’ornière. Tant qu’il a eu besoin de moi, il n’y avait pas grand-chose à redire. Tout s’est gâté à partir du moment où il est devenu entraîneur. Dès cet instant, il a fait le ménage: le coach en place, Manu Ferrera, pouvait soudain disposer alors qu’il avait pourtant effectué un travail remarquable jusque-là. Et moi aussi j’ai eu tôt fait de représenter pour lui un empêcheur-de-danser-en-rond. Du coup, il a tout entrepris pour que je sois relégué sur une voie de garage. En organisant des réunions auxquelles moi, son adjoint, je n’étais pas convoqué, entre autres. Et il est parvenu à ses fins. J’en ai pâti, le club en a pâti. Bref, tout le monde en a pâti, sauf lui et son acolyte, Lucien Gallinella.

Toni Brogno: S’ils avaient songé au bien du Sporting, je serais redevenu carolo et l’équipe ne vivrait peut-être pas les mêmes heures sombres. C’est d’autant plus regrettable que je ne souhaitais rien tant que de revenir au Mambourg, où je n’avais pas pu saisir ma chance à pleines mains autrefois. Dans les journaux, Enzo Scifo avait soutenu que la porte était grande ouverte pour moi. C’était de la poudre aux yeux car son seul but était de la maintenir fermée à double tour. Avec le recul, je me dis que si je ne m’étais pas appelé Brogno, je jouerais peut-être à Charleroi aujourd’hui. Si j’avais été quelqu’un d’autre, le dossier aurait vraisemblablement été finalisé comme certaines personnes l’entendaient. Franchement, mon coeur a saigné quand j’ai lu, dans votre magazine, une phrase d’Enzo selon laquelle  » Les supporters vont se rendre compte du mal que Dante Brogno a fait au Sporting« . Désolé, mais s’il y a un fossoyeur au Mambourg, c’est lui. Et Lucien Gallinella aussi. Tout ce que j’espère, c’est qu’en tant que sportif, je ne les imiterai pas. Car imaginez que je décide un jour, comme joueur de Westerlo, de l’avenir des Zèbres? Peut-être pas le week-end prochain, mais lors du retour chez nous? Je préfère ne pas y penser. Même si, sur le terrain, je dois songer au bien-être du club qui me paie. En l’occurrence, Westerlo.

Dante Brogno: Toni n’aura pas l’occasion de sévir contre nous au Mambourg. Car s’il passe devant le banc, je le crochète (il rit). Auparavant, j’aurai fait en sorte que mes parents ne l’hébergent plus à la maison la veille d’un match. Depuis qu’il est papa, il sacrifie toujours à cette habitude, vu que sa fille, Olivia, ne prend toujours pas ses nuits. S’il veut dormir, il n’a qu’à prendre quelques somnifères. Je les lui refilerai volontiers (ilrit). « Les Zèbres ont besoin de constance »

Quel regard portez-vous sur le Sporting, Toni?

Toni Brogno: J’ai déjà vu les Zèbres à plusieurs reprises cette saison. Chaque fois, il y avait de bonnes séquences au cours desquelles l’équipe avait souvent eu le bonheur de marquer. Mais ces buts-là étaient toujours anéantis en raison d’erreurs individuelles grossières. Le jour où l’équipe fera preuve de la même constance du début à la fin d’un match, elle sera enfin dans le bon. Pour y parvenir, l’apport de forces vives ne serait cependant pas superflu. Pour moi, elle manque d’un élément stabilisateur dans l’entrejeu ainsi que d’une véritable plaque tournante.

Dante Brogno: Nous allons profiter du mercato d’hiver pour pallier ces lacunes. Le club a déjà engagé le gardien français Benoît Laquait. D’autres suivront car la direction est consciente que le groupe manque de richesse en profondeur. D’ici l’ouverture du marché, je m’efforce de maintenir tout le monde en éveil afin d’éviter ces soudaines baisses de régime en match. Mais ce n’est pas évident. Quand nous menons, certains perdent leurs moyens à l’idée qu’une victoire possible se dessine. D’autres, en revanche, s’éteignent à mesure que nous tardons à orienter les débats ou lorsque l’adversaire a pris le dessus. Nos problèmes se situent au moins autant dans la tête que sur le terrain. Et c’est la raison pour laquelle j’ai fait appel à un sophrologue, José Hubert.

En match, Dante Brogno, vous gesticulez sans cesse le long de la ligne de touche, encourageant et haranguant à la fois vos joueurs mais vitupérant aussi arbitre et adversaires. A Westerlo, en revanche, Jan Ceulemans demeure toujours d’un calme olympien. Cette sérénité-là n’a-t-elle finalement pas gagné une équipe pourtant malmenée en début de saison?

Toni Brogno: Jan Ceulemans n’a jamais été exubérant et ne le sera jamais. Mon frère a un tempérament latin. Il doit pouvoir extérioriser ses sentiments. Charleroi n’est nullement comparable, non plus, à Westerlo. Le Mambourg, c’est un volcan, Westerlo, une morne plaine. La seule pression là-bas, elle a trait à la bière mais pas au déroulement des opérations sur le terrain (il rit). Au Kuipje, on vit réellement en toute quiétude. Et cet aspect explique sans doute pourquoi personne n’a jamais paniqué lorsque l’équipe se trouvait au tréfonds du classement.

Dante Brogno: Je vis un match avec mes tripes, c’est vrai. Si tout le monde l’avait fait depuis le début de la saison, la situation ne serait peut-être pas aussi alarmante. Alors, peut-on vraiment me reprocher cette débauche d’énergie devant le banc de touche? Je ne le pense pas. Si je la transmets aux joueurs, c’est déjà ça de gagné. Et, sous cet angle-là, je ne suis pas fâché du chemin que nous avons déjà accompli. Je ne discerne plus chez certains la même résignation qu’au début.

Charleroi n’en mène pas large, pour autant, compte tenu de sa position peu enviable au classement. N’avez-vous pas hérité d’un cadeau empoisonné?

Dante Brogno: Si je l’avais voulu, j’aurais pu décliner l’offre du président Abbas Bayat et continuer à servir le Sporting dans l’ombre. Mais je suis trop attaché à ce club pour le voir s’en aller à vau-l’eau. Je veux tout faire pour le sauver, même si je dois mettre en péril mon propre avenir. A défaut de persévérer dans le football, je pourrai toujours me recaser ailleurs. Pour moi, les opportunités ne manqueront pas. A la Ville de Charleroi, au CPAS ou que sais-je encore? Pour les joueurs, c’est différent. Je les ai conscientisés à ce propos. J’espère peur eux qu’ils ont retenu la leçon.

Une dernière question à propos du prochain Charleroi-Westerlo: c’est 0-0 à la dernière minute et les visiteurs héritent d’un penalty. Vous le tirez, Toni?

Toni Brogno: Comme j’en ai raté un contre Bruges, je ne sais pas si je devrai m’exécuter. Imaginez que je le rate à nouveau: qu’est-ce que cela ferait jaser (il rit)

Bruno Govers

« Je pourrais remplir un numéro spécial avec toutes les conneries de Scifo » (Dante)

« Moi, au moins, je veux le bien du Sporting » (Dante)

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