« Scifo-Brogno, quel gâchis! »

Le numéro 10 des Zèbres veut rendre service après avoir galéré durant une saison.

Les Carolos avaient la tête entre leur histoire et l’avenir la semaine passée. Ils ont pleuré la disparition de Bob Deschamps, 88 ans, énorme chantre du folklore régional et grand supporter des Zèbres. En même temps, la fusée Ariane s’élevait dans le ciel de Kourou, en Guyane, en portant les couleurs de la Ville de Charleroi: une première qui symbolise le dynamisme retrouvé de cette cité qui ne craint plus le futur. Bob Deschamps aurait aimé assister à ce spectacle.

A la base du Mambourg, on se demande si l’orbite du nouveau vaisseau spatial que l’ingénieur Etienne Delangre met au point pour le moment trouvera aisément une bonne trajectoire entre astres du prochain championnat. Il devra être aussi inventif que Werner Von Braun, père de la conquête spatiale américaine.

Les problèmes ne manquent pas et le départ d’ Enzo Scifo ne peut être oublié du jour au lendemain. Le défi sera de taille car de nombreux joueurs sont partis vers d’autres cieux: Bertin Tokéné, Sergio Rojas, Darko Pivaljevic, Daniel Camus, etc. « Malgré tout, cela ne me fait pas peur », lance Branko Milovanovic. « L’ambiance de travail est bonne. On ne parle plus que de football alors que ce n’était pas toujours le cas la saison passée ». .Il y a un an, Charleroi avait déroulé le tapis rouge pour la venue du médian serbe aux yeux bleus et aux cheveux blonds. On l’avait comparé à Marc Degryse mais il ne joua finalement pas beaucoup. Avec le recul, il ne comprend toujours pas ce qui lui arriva durant cette traversée du désert. Impossibilité de s’imposer dans les duels? Il hausse les épaules afin de balayer cette explication.

« J’étais tellement heureux de travailler avec Enzo Scifo. Un géant du football mondial. Il retrouvera tôt ou tard une place dans un club. C’est impossible autrement. Mais, la saison passée, je me suis un peu perdu entre ses explications à propos de ma situation. Il m’a dit un jour que lui aussi avait eu des problèmes en tant que joueur car son style ne cadrait pas tout à fait avec les traditions carolos. A mon avis, cette légende vivait mal une situation tendue et préférait, pour la circonstance, un style de jeu prudent. J’ai souffert car il m’arrivait de bien jouer lors de mes rares apparitions sur le terrain et d’être écarté sans explication pour le match suivant. Je ne me suis pas révolté et j’ai été pro dans mon travail quotidien. Question mentalité, le coach me l’a dit: c’était irréprochable. Je n’en voudrai jamais à Enzo Scifo, que j’admire trop, mais c’était épouvantable à accepter. C’était une première dans ma carrière. J’avais ma place dans son équipe, surtout durant le deuxième tour. J’avais suésous les ordres de Michel Bertinchamps et ma condition physique était excellente. Je crois que j’aurais pu rendre service à des gars comme Darko Pivaljevic, Sergio Rojas ou Eduardo.. Je suis un relayeur et un soutien d’attaque. Il n’y en avait pas dans l’équipe. A un moment, j’ai eu l’impression d’être au centre d’un débat ne me concernant pas ».

Il reste pour les supporters

Milovanovic met le doigt sur un des problèmes existentiels qui mina la vie des Carolos. Il y eut une lutte entre Enzo Scifo et Dante Brogno. Un drame qui n’a rendu service à personne. Charleroi a perdu le plus grand des ambassadeurs qu’il pouvait imaginer: Scifo. D’autre part, Brogno a glissé son acquis de footballeur dans un costume d’agent commercial. Tout le monde est perdant. « Le groupe a aussi payé la note dans le conflit Scifo-Brogno », affirme Branko Milovanovic. « Quand un coach et son adjoint ne se parlent plus, se fuient, ne s’assoient plus l’un à côté de l’autre sur le banc, les joueurs le notent tout de suite. Les équilibres de la vie en commun sont rompus. A un moment, Enzo et Dante formaient amicalement leur petite équipe quand on jouait des matches entre nous. Brogno me prenait sans cesse dans sa formation et quand les relations se corsèrent entre eux, je me suis demandé si le coach ne pensait pas que j’étais pour les…autres, les pro-Brogno ou que sais-je, alors que je n’avais qu’un but: jouer. Je ne suis pas le seul, me semble-t-il,à avoir réfléchi de la sorte. A la longue, cela coûte pas mal d’énergie… »

Des détails de la vie de tous les jours accentuèrent le malaise dans lequel baignait le club et le groupe. Des courants internesminaient sans cesse l’autorité d’Enzo Scifo. « Moi, je ne suis pas au courant de cela mais il est vrai qu’Enzo Scifo était probablement un coach trop gentil avec le groupe », avance Milo. « Et, à la longue, il a perdu son emprise. L’énergie des décideurs du staff passait dans les tensions internes. Je me souviens d’une scène où Enzo Scifo confia l’échauffement à Istvan Gulyas. Dante Brogno regardait d’un oeil déçu. Un joueur m’a dit qu’il aurait tué Enzo à la place de Dante. On en était arrivé là: terrible… »

En cours de saison, Milo songea à quitter Charleroi. « Je me suis demandé si ce n’était pas le but recherché », avance-t-il. « Cela aurait permis au club d’épargner un salaire. Si c’était le cas, on aurait pu me le dire et il aurait été plus facile de me vendre en me permettant de jouer. A la longue, je me suis dit que je ne pouvais pas partir de la sorte. J’ai eu droit à de nombreux messages de sympathie des supporters. Cela m’a été droit au coeur et je veux les remercier lors du prochain championnat. A la fin de la saison, j’ai disputé trois bons matches amicaux. C’était un signe tardif mais un signe quand même et une preuve qu’on avait eu tort de me négliger ».

Branko, sa femme et leur fils, Nikola, passèrent leurs vacances à Valjevo, en Serbie, et sur les plages de Chypre. Entre deux plongeons dans la Grande Bleue, il fut contacté par des émissaires de Hapoël Tel-Aviv et de Gaziantepspor mais préféra revenir à Charleroi.

« A mon retour, je ne savais pas qu’Enzo Scifo avait cédé sa place à Etienne Delangre », déclare Branko Milovanovic. « A Chypre, j’ai été reconnu par des supporters de l’AEK Athènes où j’avais livré une bonne saison. Ils ne comprenaient pas pourquoi je ne jouais pas à Charleroi. Hapoël et Gaziantepspor m’ont proposé un gros contrat. J’ai refusé. La situation politique est délicate en Israël et j’irai en Turquie plus tard car je veux d’abord réussir en Belgique. Je n’ai que 29 ans. Ma saison difficile a eu pour effet de me doper mentalement. J’ai perdu un an, cela me reste en travers de la gorge. Enfin, Charleroi a tourné une page importante. Je suis persuadé que ce groupe ne sera pas concerné par la lutte pour le maintien. Charleroi en D2: jamaisde la vie. Je sais que des joueurs importants sont partis. Et alors? Tout serait plus facile avec Darko Pivaljevic et j’aurais aimé qu’un tel dynamiteur reste. Stéphane Biakolo aussi aurait pu être utile car ce n’était pas un mauvais attaquant. Mais, pour le reste, il y a des potentialités dans le groupe. Bertin Tokéné n’a pas joué durant toute la saison et il y a assez de solutions autour de Frank Defays: Gauthier Remacle, Sebastian Rassart, Daniel Calvo, etc. La défense a ses arguments avec, en plus, un bon gardien de but en la personne d’ Istvan Dudas, Tony Herreman qui a du métier. Daniel Camus avait apporté sa rage de vaincre mais je suis persuadé que Miklos Lendvaï est plus complet que lui. Gregory Dufer va casser la baraque et prouver qu’il a le potentiel afin de devenir lemeilleur flanc droit de Belgique. Dariusz Yazdani a de la classe à revendre. Alex Di Gregorio est un bon attaquant aussi. Je suis confiant ».

Le groupe est libéré

N’empêche que Charleroi aura plus que probablement un problème à la finition où Eduardo semble un peu seul afin d’animer toute la division offensive. Samedi passé, les Zèbres sont partis en stage de préparation à Lichtaart. Il y a gros à parier que le président des Carolos, Abbas Bayat, tentera de réaliser un coup sur le marché des transferts. Beaucoup de joueurs sont sans contrat, que ce soit en Belgique ou dans les pays environnants. Les prétentions financières de nombreux bons attaquants seront revues à la baisse. Charleroi aura besoin de l’un ou l’autre renfort car la bataille pour la vie sera rude dans cette province du Hainaut qui compte désormais quatre clubs de D1: Mouscron, La Louvière, Mons et Charleroi. Les Hurlus ont piqué la place de numéro 1 de la région aux Zèbres. La Louvière mise sur la stabilité apportée par Ariel Jacobs qui sait former des jeunes, détecter du talent dans les petits terroirs et a un bon réseau international. Mons tentera de continuer sur l’élan de la montée sous la baguette de Marc Grosjean et a généreusement délié les cordons de sa bourse. Charleroi devra compter avec cette concurrence régionale qui suscitera l’enthousiasme populaire via les derbys mais ils seront sans pitié.

« Je ne crains pas ces défis », conclut Branko Milovanovic. « Même si on s’interroge à notre propos, ce qui est logique après une saison délicate, nous avons tout de même beaucoup de vécu. Lors du premier entraînement, j’ai vite constaté que l’ambiance était différente. Etienne Delangre a tout de suite mis les joueurs à l’aise. Le groupe est libéré. L’atmosphère est positive. On ne peut pas avancer quand tout le monde est coincé comme la saison passée. Tous les joueurs se retrouvent désormais avec plaisir. Je ne connais pas encore les grands axes du football que prôneront Etienne Delangre et son adjoint, Khalid Karama. Une chose est sûre: nous travaillons beaucoup avec le ballon à l’entraînement. C’est un tel plaisir… »

Renfermé la saison passée, Milo s’exprime plus, a le sourire. La confiance se lit sur son visage: décollera-t-il aussi sur le terrain comme la fusée « Ariane-Ville de Charleroi » à Kourou?

Pierre Bilic

« Charleroi ne descendra pas: jamais de la vie… »

« Le groupe a aussi payé la note dans le conflit Scifo-Brogno »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire