Schweini, c’est fini

Ne l’appelez plus Schweini. Depuis que Louis van Gaal et Joachim Löw l’ont repositionné en plein milieu du rond central au Bayern Munich et en sélection allemande, Bastian Schweinsteiger assure qu’il a vraiment changé.

Sa carrière s’est longtemps résumée à des titres de tabloïds.  » Schweini se fait arrêter à dix-huit ans pour excès de vitesse alors qu’il n’a pas… son permis de conduire !  » ;  » Schweini est addict aux paris  » ;  » Schweini change de coiffure tous les quinze jours et se met du vernis à ongles  » ;  » Schweini fête la victoire contre l’Autriche au premier tour de l’Euro 2008 aux côtés d’ Angela Merkel « . Mais en 2010, fini de rire : le Schweinsteiger nouveau est arrivé.

Revenu de vacances en Thaïlande, il donne rendez-vous à Munich, dans un loft situé près de la Gärtnerplatz. C’est l’adresse de l’agence de son conseiller image, Robert Schneider. A l’intérieur, des jeunes hommes à l’allure d’acteurs font joujou sur leurs iPhone. Schweinsteiger est largement à l’heure – il habite juste à côté – et se fond parfaitement dans le décor veste noire, pull gris, chaussures de sport. En un mot : feutré, comme l’ambiance. Au poignet droit, une montre sombre, sans prétention excessive. Son visage, qui donne sur les photos l’impression de porter encore des traces d’acné, est étonnamment lisse. Dans son verre, de l’Orangina. Tout juste Bastian parle-t-il un peu du nez. Pour le reste, ce sont d’abord ses statistiques qui en disent long : depuis qu’il est majeur, Schweinsteiger a joué en moyenne 24 matches par saison pour le meilleur club de son pays, participé à près de 50 matchs de CL, comptabilisé déjà plus de 80 sélections et sort d’une saison à quatre lignes sur le palmarès – finale de CL, doublé Coupe-championnat en Allemagne, et troisième place en Coupe du Monde. On ne peut tout simplement pas en attendre plus d’un joueur de 26 ans.

Pourtant, le Schweinsteiger version 2010 ne fanfaronne pas ; au contraire.  » J’ai fait troisième d’une Coupe du Monde, j’estime ne pas avoir de quoi être très enthousiaste « , dit-il pour justifier son refus de parader dans les rues de Berlin (comme cela était prévu) au retour d’un Mondial pourtant unanimement applaudi. Voilà donc à quoi ressemble un homme neuf : investi et insatisfait. La demi-finale contre l’Espagne lui reste toujours sur l’estomac :  » Je suis persuadé que l’on peut maîtriser l’Espagne. Contre une équipe comme ça, il faut que chaque joueur sache exactement ce qu’il doit faire. Moi, je ne veux pas gagner contre eux à la façon des Suisses durant le premier tour. Je veux gagner en faisant jeu égal… et un peu meilleur dans les vingt dernières minutes ! « 

Il n’est pas capitaine de la Mannschaft ? Qu’importe, Schweinsteiger s’est naturellement installé dans le fauteuil du chef. Comme libéré par la blessure de Michael Ballack… Ses collègues MezutÖzil, ThomasMüller ou SamiKhedira racontent d’ailleurs que Schweinsteiger n’attendait pas les vestiaires pour leur faire ses commentaires. Il donnait ses ordres en cours de matches, et ses coéquipiers obéissaient.

Le Métronome et le Pélican

La nouvelle dimension prise par Schweinsteiger tient pour beaucoup à sa nouvelle position sur le terrain. Un rôle de meneur décroché à la AndreaPirlo et Xavi, le physique en plus. Loin du couloir, où Ottmar Hitzfeld, puis Felix Magath et Jürgen Klinsmann, ses entraîneurs au Bayern et en sélection, l’ont longtemps cantonné. Autrefois, le long de la ligne de touche, Schweinsteiger donnait l’impression d’un joueur généreux, mais pataud. Aujourd’hui, placé au c£ur du rond central, il rayonne.

 » Basti n’est pas un sprinteur, c’est pourquoi cette position d’ailier ne lui convenait pas « , décrypte Hermann Gerland, entraîneur des équipes de jeunes du Bayern. Des années à ronger son frein, sans jamais rien revendiquer. Mais :  » En sélection, JoaquimLöw a su relativement tôt que je préférais jouer en 6 ou en 8. Michael Henke, notre co-entraîneur au Bayern, le savait aussi. Mais à Munich, cette position était occupée par OwenHargreaves, JensJeremies, Ballack ou NikoKovac. En tant que jeune joueur, je ne pouvais pas passer si facilement devant eux. Et je ne suis pas comme ça. Quand un supérieur hiérarchique vous dit quelque chose, vous devez l’accepter, même si c’est difficile.  »

Son repositionnement, le joueur du Bayern le doit à l’arrivée de Louis van Gaal sur le banc du Bayern :  » Au départ, l’entraîneur voulait utiliser un autre système, mais cela ne marchait pas bien parce que Franck Ribéry préférait jouer en ailier. D’autres joueurs voulaient que je joue au centre. Van Gaal a tenu compte de notre avis et s’est laissé convaincre. C’est une de ses grandes qualités.  »

Van Gaal-Schweinsteiger, une histoire d’amour ? A son retour à Munich après le Mondial, le métronome du Bayern n’a pourtant pas manqué de se faire tacler par le Pélican néerlandais. En cause : sa perte de balle à la 28e minute d’Allemagne-Uruguay, lors du match pour la troisième place du mondial sud-africain, qui a amené le premier but des Sud-Américains. Après le coup de sifflet final, malgré la victoire, Schweinsteiger avait averti son collègue munichois Mario Gomez :  » Tu verras, je vais sûrement prendre cher à la reprise.  »

Et ça n’a pas raté. Van Gaal n’a pas attendu quatre entraînements pour titiller son célèbre numéro 6 dans le cadre d’une discussion sur le thème de la prise de balle :  » C’est très simple, il y a une chose à ne pas faire, c’est ce que tu as fait dans le match contre l’Uruguay. « 

 » Le coach est un type très spécial, mais il est sincère et très direct « , admire le joueur.  » Ce n’était pas le cas des entraîneurs précédents. Il est le chef, le patron tout-puissant. Il dit des phrases très claires auxquelles il se réfère tout le temps et il ne lui arrive jamais de modifier des rendez-vous. Vous pouvez demander à chaque joueur du Bayern comment c’est de travailler avec lui, chacun vous dira : -Très, très bien. Même si je comprends qu’il puisse faire un petit peu peur au premier abord.  »

Si Schweinsteiger n’a pas eu la frousse du Néerlandais, c’est sans doute que des entraîneurs qui font peur, il en a déjà vu passer. Notamment Magath, en 2004.  » Le premier jour, je suis arrivé à l’entraînement, il m’a regardé et il a dit : Et tu es qui ?J’ai dû me présenter, en commençant par mon nom. Ensuite je suis parti pendant dix jours pour me faire opérer. Quand je suis revenu, il m’a redemandé : -Et tu es qui ? Il voulait me faire sortir de ma réserve, je l’ai compris plus tard, mais sur le moment j’ai simplement pensé : -Est-ce que je suis dans le bon film ?  »

Schweini, Poldi et les tabloïds

La réponse est oui : Schweinsteiger est dans le bon film. Il en est même devenu le héros. Ces derniers mois, l’ancien adolescent s’est en effet rangé des voitures. Lui qui multipliait les galas et les réceptions, comme celle donnée en 2002 en faveur de la candidature d’ Edmund Stoiber à la chancellerie, est devenu avare de ses apparitions. Des lustres que personne n’a plus vu en une des tabloïds une photo de Basti en compagnie de Sarah Brandner, sa copine mannequin. Robert Schneider est passé par là.  » Depuis 2008, Bastian navigue en eaux tranquilles. Il se concentre davantage sur le football. Cela n’a pas toujours été le cas « , explique son conseiller.

Schweinsteiger a aussi changé de régime alimentaire. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Alors qu’il était habitué à tirer la langue dès la trentième journée du championnat, le meneur du Bayern n’a connu aucun creux physique cette année. Schweinsteiger l’assure : après le dernier match de Coupe du Monde contre l’Uruguay – et plus de 60 matches dans les bottes – il aurait encore pu continuer à jouer sans problème, preuve d’une nouvelle hygiène de vie spartiate. Ce changement d’attitude, Bastian le doit essentiellement à Uli Hoeness. Le président du Bayern n’a jamais épargné son joueur, allant jusqu’à déclarer qu’on lui avait  » soufflé trop de sucre en poudre dans le cul « .

L’attaque la plus célèbre date de mai 2009. A propos de Schweinsteiger, le totem munichois s’était interrogé publiquement, en conférence de presse :  » On doit lui demander clairement s’il veut continuer en simple suiveur ou devenir un leader. « 

En d’autres termes : préfère-t-il devenir Mehmet Scholl ou Lothar Matthäus ? Le joueur a tranché, et choisi d’abandonner son rôle d’enfant terrible du football allemand. Signe qui ne trompe pas, il a exigé du Bild qu’il arrête de l’appeler Schweini.  » Ce surnom m’a beaucoup aidé au début de ma carrière, mais chaque homme évolue. Je suis devenu un autre.  » Le milieu du Bayern n’est pas idiot : en continuant de se faire appeler Schweini, il serait resté pour toujours ce joueur qui refuse de devenir adulte. Un piège dans lequel est tombé Lukas Podolski, son ancien alter ego.

Après la Coupe du Monde 2006, où ils avaient apporté une fraîcheur bienvenue, Schweini und Poldi étaient devenus un duo de marque déposée, synonyme d’une Allemagne décontractée. En réalité, l’amitié entre les deux hommes n’a jamais été aussi étroite qu’on le pense. Lorsque Podolski a été transféré au Bayern, il a par exemple préféré les bords du Lac de Wörth, en dehors de Munich, au quartier chic de Schwabing où habite Schweinsteiger :  » De cette façon, Lukas n’a jamais bien appris à connaître la mentalité munichoise « , analyse ce dernier. Et la saison 2008-2009 a marqué la rupture : Podolski a décidé de rentrer dans sa ville natale de Cologne et de suivre le destin d’un prince de carnaval. Schweinsteiger, lui, a mis de l’ordre dans sa vie et s’est coiffé de la couronne autrefois portée par Ballack. Laquelle lui va mieux qu’on ne l’avait imaginé.

Bouc émissaire

Lorsqu’on lui demande s’il peut dater précisément le moment de son passage à l’âge adulte, l’intéressé n’hésite guère.  » L’Euro 2008 a été décisif. Juste avant le premier match contre la Pologne, le sélectionneur m’a dit qu’il me préférait Clemens Fritz. Je suis quand même entré en cours de jeu, j’ai contribué au deuxième but, et j’étais sûr que je participerais au match d’après contre la Croatie. Mais là encore, je n’ai pas joué. J’ai mal réagi et j’ai été privé du troisième match contre l’Autriche.  »

Un an et demi plus tard, le 27 novembre 2009, l’assemblée générale annuelle du Bayern ne se déroule pas non plus comme prévu. Au cours de la réunion, trois capitaines sont nommés – Mark Van Bommel, Philipp Lahm et Schweinsteiger. Les deux premiers ont droit aux applaudissements. Schweinsteiger, lui, est sifflé. Bouc émissaire d’une nouvelle saison décevante en CL et inquiétante sur le plan domestique – le Bayern, tenant du titre, occupe alors une décevante septième place.  » Cela m’a beaucoup blessé « , réagit le joueur.  » Aujourd’hui ils me félicitent tous, mais je n’oublie pas qu’il y a à peine un an, j’ai été sifflé par mes propres fans. Ce moment restera toujours dans ma mémoire.  »

Autre chose qui a marqué Basti à jamais : en septembre 2006, son frère Tobias renverse une jeune fille de 13 ans qui traverse au feu rouge à une station de tramway. Tobias n’est pas en tort, mais la fille meurt. A la question de savoir quelle importance il donnerait à ses moments de frustration sportifs en comparaison d’un tel drame s’il était à la place de son frère, Schweinsteiger répond avec une franchise désarmante :  » C’est très difficile pour moi de me prononcer là-dessus. Bien sûr, je sais qu’un échec sportif ne peut pas être comparé à ce qui est arrivé à mon frère. Mais le football est ma vie. Je vis avec et pour le football. Et je ferai de même probablement pendant les dix prochaines années.  »

Dix ans pour parvenir à un seul but : un titre international. Plus qu’un but, en vérité : une obsession.  » J’ai gagné cinq doublés mais je ne veux pas gagner 20 doublés et me retirer sans titre international. Je me souviens quand on a fini quatrième du championnat en 2007 et qu’on s’est retrouvé à jouer la Coupe de l’UEFA. Ce n’était pas mon monde « , enfonce-t-il, sans même paraître plus prétentieux que cela.

Une bière et un hug avec Angela Merkel

Point de morgue en effet : Bastian Schweinsteiger est, aujourd’hui encore, ce jeune montagnard mal dégrossi arrivé à l’âge de 14 ans à l’internat du FC Bayern. Un gars un peu brut de décoffrage, capable de bâcher les supporters argentins avant le quart de finale de la dernière Coupe du Monde –  » quand on voit qu’ils se rassemblent dans un stade et virent les spectateurs, cela montre leur caractère et leur mentalité  » -, et de traiter Angela Merkel comme une copine de beuverie après le coup de sifflet final :  » Nous étions tous là torse nu, et tout à coup elle est entrée dans le vestiaire. J’ai à peine eu le temps de me vêtir d’une serviette. Elle a empoigné une bouteille de bière, a trinqué avec moi et on s’est pris dans les bras. « 

Cette insolence qui le fait sortir du lot des joueurs de son époque, Basti la gardera sans doute toujours.  » Celui qui grandit comme nous dans les montagnes ne descend pas aussi facilement le coteau « , philosophe son frère Tobias.  » Il fait des choses dont les gens plus âgés diraient : -Cela ne se fait pas « , confirme son ancien entraîneur Hermann Gerland.

Qui se souvient encore de ce jour de 2002 où le jeune Schweinsteiger, alors âgé de 18 ans, a latté Ballack lors d’une opposition à l’entraînement. A peine relevé, le leader du Bayern avait incendié le jeune homme : une nouvelle action de ce genre et ça irait très mal pour lui. Sur le coup, Schweinsteiger s’était excusé timidement, en disant qu’il avait confondu Ballack avec Roque Santa Cruz.  » Désolé, je me suis trompé « . En fait, Schweinsteiger visait bien Ballack. Lorsqu’on lui rapporte l’anecdote, le nouvel homme fort du Bayern éclate de rire. Et pour un instant brille encore dans ses yeux l’espiègle Schweini.

PAR TIM JüRGENS, À MUNICH – photos: reporters

 » Schweinsteiger, on lui a soufflé trop de sucre en poudre dans le cul.  » (Uli Hoeness)

 » Nous étions tous là torse nu, quand tout à coup Angela Merkel est entrée. Elle s’est prise une bière, a trinqué avec moi et on s’est pris dans les bras. « 

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