SAVON DE MARSEILLE

Pierre Bilic

Les ennuis judiciaires français des chefs du Standard peuvent-ils entraver la montée en puissance liégeoise ?

Ce n’est pas encore le jackpot de l’Euro Millions mais le Standard a gagné gros samedi passé. Le mérite en revient principalement à Dominique D’Onofrio qui a su puiser dans son noyau afin de remplacer les blessés et les suspendus.

Pour remplir son bulletin de participation à la 29e journée de championnat, le coach des Rouches a avancé quelques chiffres habituels : 1-5-11-14-25, soit les numéros de maillot de Vedran Runje, Ogushi Onyewu, Milan Rapaic, Philippe Léonard et Mémé Tchite. Ils furent excellents mais encore fallait désigner deux étoiles.

Il opta pour le 10 et le 13, Almani Moreira et Christian Negouai. Aligné à la place de Sergio Conceiçao, le petit Portugais fut excellent et signa deux assists. Negouai quitta son poste de poste de médian défensif et retrouva ses habitudes de pivot offensif et forma un intéressant avec Tchite. La tour française fera-t-elle oublier Igor De Camargo ? Sera-t-il le Nicolas Frutos ou l’ Aristide Bance du Standard jusqu’à la fin de la saison ? Ce doux géant a marqué le premier but de sa fratrie et lancé la phase qui permit à Tchite de doubler cette avance.

Le Standard n’est pas encore scandaleusement riche mais la bonne gestion tactique de Dominique D’Onofrio lui a permis de tirer un énorme profit des faux-pas d’Anderlecht et de Bruges. Le leader n’a plus qu’un point d’avance sur la menace rouge tandis que le champion en titre est relégué à sept points de la deuxième place. Tout cela pour un 1er avril. Mais la justice française avait quand même collé un poisson dans le dos de la direction de Standard. A Marseille, Robert Louis-Dreyfus, Luciano D’Onofrio et d’autres sont au centre d’un procès qui fait grand bruit.

Tout le football français tremble sur ses bases. Les plus fins observateurs annoncent des effondrements qui auront des effets dominos dans un monde du football européen désormais aussi globalisé que celui des affaires.

A Marseille, le Procureur de la République, Marc Cimamotti, a classé les 14 prévenus du procès des comptes de l’OM en trois catégories : les comparses, les agents et les décideurs. Il a requis des peines sévères pour abus de biens sociaux : 375.000 euros d’amende et de trois à quatre ans de prison avec sursis pour RLD ; 650.000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement, dont un ferme à l’égard de Luciano D’Onofrio. Ce dernier avait déjà bénéficié du sursis dans le cadre d’autres procès. Les prévenus seront fixés sur leur sort le 9 juin. Ce n’est pas rien. RLD ne sera-t-il pas dégoûté par le football ? Ses amitiés avec ses potes actuels ( Rolland Courbis, D’Onofrio) ne seront-elles pas hypothéquées par tout ce déballage et une éventuelle condamnation ? Un tel homme d’affaires peut-il se permettre d’être écorné à ce point-là, lui qui a dit :  » Tout cela s’est fait dans mon dos « .

Là, il doute de ses camarades mais le procureur Cimamonti a précisé :  » On attendait beaucoup de vous. Vous avez laissé se développer le système d’une économie souterraine. L’OM, ce n’est pas vous, Robert Louis-Dreyfus. Ce club a existé avant vous et existera après vous. En abusant l’OM, vous avez beaucoup abîmé ce club et cette ville « .

Ce sont des mots qui feront des dégâts. Personne ne peut dire pour le moment si RLD demandera des comptes à sa garde rapprochée mais cette hypothèse peut logiquement être posée. Et sera- t-il toujours aussi lié à Luciano D’Onofrio en cas de peine sévère ?

15 transferts bizarres, des mensonges, des incohérences, des fraudes, le non-respect du cadre légal permettant de payer les agents, des dirigeants et autres managers qui se sucrent sur le dos de la bête (club), des sociétés faisant n’importe quoi, des comptes dans des paradis fiscaux, des joueurs percevant des montants au noir, du blanchiment d’argent, des montants de transferts disproportionnés par rapport à la valeur sportive des joueurs afin que tout le monde puisse se servir au passage, des commissions à gauche et à droite. (A titre indicatif : la justice estime que Courbis aurait touché 600.000 euros sur le transfert de ChristopheDugarry et Fabrizio Ravanelli réalisé par D’Onofrio, ce que le coach français conteste et explique ce montant par sa contribution au transfert d’ Ibrahim Ba de Bordeaux à l’AC Milan. Selon lui, il a subi un redressement fiscal et ce transfert ne figure pas dans le dossier OM). Mais d’après la justice française, tout est dans tout et c’est la totale…

 » L’avenir du Standard ne dépend que du Standard  »

 » Le procès des comptes de l’OM ne nous concerne pas « , signale Pierre François, le Directeur du Standard.  » Il a été question de transferts mais jamais de joueurs étant passés de Sclessin à Marseille. Ce débat n’a rien à voir avec notre club. Et le fait qu’on cite le Standard dans ce contexte hyper médiatisé est dérangeant, dommageable et injuste. Nous vivons notre vie et tout se passe très bien, merci de le signaler « .

L’ancien brillant avocat liégeois défend la cause de son club avec énergie mais le ciel est-il tout à fait dégagé pour le Standard quand son actionnaire principal (Robert Louis-Dreyfus) et le véritable patron (le vice-président Luciano D’Onofrio) sont malmenés à ce point par la justice française ?

Evidemment, le club est bien organisé et les comptes sont en équilibre. La justice liégeoise a d’ailleurs mis plusieurs fois son nez dans la comptabilité liégeoise, mais sans jamais rien trouver, ce qui est évidemment très bon signe.

En 1998, la direction actuelle a déposé près de 25 millions d’euros sur la table (80 % avancés par RLD et 20 % par Luciano D’Onofrio, dit-on) afin de racheter toutes les actions d’un club alors à bout d’idées, de souffle, de jeunesse, de projets, de visions et de moyens humains. Les nouveaux patrons ont donné une nouvelle surface financière au club et l’ont modernisé de fond en comble afin qu’il puisse atteindre leurs objectifs. Ils y ont injecté de l’argent afin que le capital social de la société soit à la hauteur de ses ambitions.

 » Ils ont été généreux et ce capital est un cadeau « , avance François.  » La législation est très claire : le capital social reste dans le club même quand les actions changent de mains, ce dont il n’est pas question ici. L’avenir du Standard ne dépend que du Standard et de personne d’autre « .

C’est évidemment très important à noter. En cas de retrait, Robert Louis- Dreyfus devra trouver un repreneur pour ses actions. Dans certaines situations, des actionnaires procèdent à une décapitalisation mais c’est rare car cela a tout de suite un impact négatif sur la valeur des actions.

Au Standard, au contraire, le club investit dans la construction d’un centre d’entraînement au Sart-Tilman et a des ambitions sportives européennes : tout est mis en place pour que les actions se portent bien.

RLD voue une vieille admiration à Luciano

RLD voue depuis longtemps une grande admiration à l’égard de Luciano D’Onofrio, un proche de Bernard Tapie. D’Onofrio a plus que probablement permis à RLD de reprendre Marseille dans de bonnes conditions. RLD avait besoin de l’OM pour développer sa stratégie dans le monde du sport et du football (v. Adidas). Cela lui a permis d’aller beaucoup plus loin, d’acquérir ensuite les droits de télévision de la prochaine Coupe du Monde. Venu de très bas et désormais homme de foot à succès, même s’il doit rendre des comptes à la justice, Luciano D’Onofrio n’a pas cessé d’ouvrir des portes pour RLD. En contrepartie, ce dernier l’a aidé dans ses projets liégeois. Le Standard, ce n’est rien en regard de l’immense fortune de RLD. Et s’il peut renvoyer l’ascenseur vers D’Onofrio, pourquoi pas ? Tomislav Ivic ne le cachait pas :  » Je ne connais pas homme plus intelligent que Luciano D’Onofrio « .

Le vice-président du Standard est poursuivi pour complicité d’abus de biens sociaux, recel d’abus de biens sociaux et complicité de recel d’abus de biens sociaux dans les transferts de Ravanelli et de Dugarry. Au deuxième jour des plaidoiries de la défense, son avocat, Maître Delbouille a précisé que son client  » n’agissait pas à la sauvette, via des sociétés fantoches mais travaillait en toute transparence et était connu et apprécié des grands clubs et grands joueurs comme Zinedine Zidane, David Trezeguet ou Thierry Henry pour lesquels la Juventus Turin a fait appel à lui « .

Mais au retour de Marseille dans la nuit de lundi à mardi de la semaine passée, il a été incarcéré par erreur. Il a été interpellé à l’aéroport de Marignane (Marseille) quand la police de l’air et des frontières a découvert qu’il faisait l’objet d’un mandat de recherche émis par le juge Franck Landou en 2004, dans le cadre de l’instruction sur les transferts suspects de l’OM entre 1997 et 1999. D’Onofrio avait été entendu mais le mandat ne fut pas levé. Cette erreur administrative l’a obligé à passer une nuit dans les geôles de Marignane. Le Parquet de Marseille a découvert l’erreur mardi matin et l’a immédiatement remis en liberté. Le dirigeant liégeois a évidemment demandé à son avocat de déposer plainte.

Un effet aussi sur l’effet Standard à l’UB ?

Le 9 juin sera une date importante pour le Standard. La justice française tranchera dans le procès des comptes de l’OM. Et si une société commerciale peut continuer à se développer même si certaines têtes pensantes ont de gros ennuis avec la justice, en est-il de même avec un club sportif qui doit être mû par des valeurs d’exemplarité ?

D’un autre côté, le Standard monte en puissance à l’Union Belge. Son poids y devient de plus en plus évident. Son directeur technique Michel Preud’homme est aussi le président de la commission technique, soit le vrai patron de l’équipe nationale. Mais il pourrait viser plus haut. Si on lui offrait la présidence de l’Union Belge, il ne dirait pas non aux dernières nouvelles. Le président d’Anderlecht Roger Vanden Stock a abandonné la course car il ne veut pas devoir choisir entre Anderlecht et la maison de verre. Deux autres noms sont désormais cités pour la succession de Jan Peeters : François De Keersmaker (47 ans, avocat, beau-fils de l’ancien président Louis Wouters, affilié à Tisselt) et Guy Lambeets (avocat, beau-père de Marc Wilmots, ex-président de Saint-Trond).

Mais Preud’homme anime des commissions fédérales et y a suscité l’admiration de Maître Luc Misson, notamment :  » Il a indiscutablement l’étoffe d’un grand président de l’Union Belge. Pour moi, il est taillé pour le rôle. Ses dossiers sont toujours bien ficelés et ses présentations sont brillantes. Il a le sens de la synthèse et du bon compromis. De plus, Michel Preud’homme a du charisme et s’exprime couramment dans les deux langues « .

Reste à savoir si on ne glissera pas un peu de savon de Marseille sous ses pas s’il se lançait aussi dans la course ?

PIERRE BILIC

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