Savoir ce qu’ on veut

Pourquoi dit-on toujours que les négociations avec le club liégeois sont souvent pénibles. Mythe ou réalité ?

Au Standard, chaque été, le club est dépeuplé. Les rumeurs sont insistantes et les supporters sont en train de se demander quelle formation débutera le championnat. Le budget du Standard (seulement le quatrième de Belgique derrière Anderlecht, Bruges et Genk) oblige les dirigeants à vendre les fleurons du club afin de rester en équilibre.

Mais les derniers départs en date ne cadrent pas avec cet objectif financier. Là où d’autres clubs monnayent au plus offrant les éléments capables de renflouer les caisses, le Standard a laissé partir trop de joueurs… sans toucher un euro. Karel Geraerts et Eric Deflandre, arrivés en fin de contrat, ne rapporteront rien au club. L’année passée, Mémé Tchité a ramené à peine 1,5 million d’euros et un an plus tard, le prix de l’attaquant oscille entre 7 et 10 millions d’euros. Non content de ne rien rapporter, le transfert de Tchité a donc également coûté puisqu’un des concurrents directs du Standard a été renforcé. Le 29e titre des Mauves porte d’ailleurs la griffe de celui qui fut élu Footballeur Pro de l’Année, le trophée créé par Sport Foot Magazine.

La rupture de contrat de Marouane Fellaini est un autre épisode dans la saga des transferts du Standard. La mine d’or liégeoise pourrait s’envoler sous d’autres cieux à un prix bien loin des espérances du club (et donc de la valeur marchande du joueur).  » Où voyez-vous des flops financiers ? », répond Pierre François le directeur général des Rouches.  » Lorsqu’on paie une indemnité de transfert élevée et que le joueur ne donne pas satisfaction par la suite, là on peut parler de flop. Mais pas dans le cas de Geraerts, Tchité ou Fellaini. Le Limbourgeois fut acquis à peu de frais et a apporté quelque chose à l’équipe pendant trois ans. L’année passée, quand on a compris que Tchité ne prolongerait pas son contrat chez nous, on aurait pu agir de la même manière qu’avec Geraerts : lui faire honorer sa dernière année de contrat. Mais on avait toujours dit qu’on ne vendrait pas Geraerts et Tchité la même saison. On a donc veillé à ce que son transfert puisse se réaliser. Nous avions reçu des offres de l’étranger qui furent dépassées par celle d’Anderlecht. Voilà comment il a abouti là-bas. Avec le recul, peut-être aurions-nous dû envisager qu’il poursuive sa carrière à l’étranger plutôt que dans la capitale… « . Pourtant, ces départs s’assimilent clairement à des pertes sèches.

Principe I : petit salaire mais grosses primes

Le Standard joue au bras de fer dans de nombreux dossiers.  » Il faut faire une distinction entre leur politique vis-à-vis des jeunes et des éléments d’expérience « , explique Nenad Petrovic, agent bien en vue à Sclessin.  » Dans le cadre d’un jeune, la direction ne transige pas. Elle évolue dans un cadre budgétaire bien précis : les premiers contrats pros ne sont pas mirobolants mais sont dans les normes fédérales. Surtout envers un joueur qui n’a pas encore passé une minute sur le terrain. Quand on négocie avec le Standard pour un jeune, les choses sont très claires : on prend ce que le Standard nous donne sans discuter. Et je trouve cela normal. En fonction du progrès affiché par le joueur, le Standard nous rappelle assez rapidement et décide de doubler son contrat « .

Si le Standard renâcle à offrir de gros contrats, c’est aussi en raison des primes offertes.  » Je suis pour la politique du Standard et de Bruges qui est celle d’un petit fixe mais de grosses primes – NDLR : 2.200 euros la victoire en déplacement, argumente ThierryHastray, l’agent de Michaël Cordier notamment..  » Cela oblige le joueur à mouiller son maillot mais il faut quand même un salaire raisonnable afin que le garçon ne se retrouve pas sans rien en cas de blessure ou d’un mois sans points « .

Petrovic ajoute :  » Une fois que tu es titulaire, les primes sont les mêmes pour tout le monde que tu sois le petit jeune qui débute ou Sergio Conceiçao « .

Une fois que tu es titulaire, oui mais pas quand tu es sur le banc. Dans certains contrats, les primes dépendent des minutes passées sur le terrain. Dans ce cas-là, on ne parle plus de prime de match mais de prime de minutes. On comprend mieux la colère de Sa Pinto, renvoyé dans la tribune lors de la finale de la Coupe et assuré de ne rien toucher.

Le cas Fellaini

Suite à la saison pleine qu’il a connue, Fellaini a touché 134.250 euros sur l’année. Ces chiffres rapportés par La Dernière Heure et équivalent au salaire annuel du Premier ministre néerlandais n’ont pas été démentis par le manager du médian défensif, Roger Henrotay, contacté par nos soins.

Le projet 2007-2008 reposait sur le long terme. Tant Steven Defour, Igor De Camargo, Axel Witsel que Fellaini, tous avaient un contrat longue durée. Pour construire. Las, le projet est déjà prêt à capoter. Fellaini a cassé son contrat en utilisant la loi de 1978.

Pourquoi ? Car la revalorisation de contrat se faisait attendre. Mais Fellaini n’avait pas un mauvais contrat. Celui-ci avait déjà été revalorisé à deux reprises (en juillet et en septembre) et rendez-vous avait été pris entre les deux parties pour revoir le contrat à la hausse. Alors pourquoi cet accès de fièvre ?

 » Quand il a paraphé son contrat en début de saison dernière, il n’y avait rien à redire « , explique Roger Henrotay.  » Mais Fellaini a connu une saison fulgurante et est devenu international. Il était logique qu’on se retrouve autour de la table. La suite s’est jouée sur un malentendu : le Standard voulait qu’on discute après le championnat, nous plus tôt. On a décidé de rompre le contrat pour être sûr que cela bouge et de fait, depuis lors, ça bouge. Depuis dix jours, on discute avec le Standard quotidiennement. Notre demande est réaliste. Je ne demande pas le Pérou et le Standard adopterait une attitude ridicule en n’acceptant pas de résoudre le problème. On n’a donc jamais imaginé qu’il puisse nous claquer la porte au nez suite à la rupture de contrat « .

L’entourage de Fellaini a donc utilisé la loi de 1978 uniquement pour faire pression sur le Standard.  » Je ne peux pas dire que le Standard est mauvais payeur « , continue Henrotay,  » tous les clubs essaient de ne pas prendre trop de risques en offrant de gros contrats. Car quand les gros contrats ne prestent plus, le club se retrouve avec un joueur sur le dos sans savoir qu’en faire « .

Pour autant, l’attitude adoptée par l’entourage de Fellaini comporte certains risques :  » Le Standard ne peut être critiqué dans ce dossier-là car il faut arrêter de dire que Fellaini ne gagnait rien. C’est faux ! « , analyse Petrovic, qui avait amené Fellaini au Standard,  » De plus, le problème sous-jacent dans cette affaire, c’est que le Standard éprouve beaucoup de mal à négocier avec Henrotay. C’est un manager qui vomit sur les clubs belges. C’est lui qui a piqué Jonathan Legear pour le placer à Anderlecht, Kevin Mirallas pour Lille et il vient de refaire le coup avec un jeune de 16 ans qui a filé vers le club du Nord de la France. On peut comprendre que les dirigeants se méfient de quelqu’un qui a l’habitude de piller leur club. Enfin, il faut bien admettre que Fellaini est un peu dépassé par tout ce qui se trame autour de lui. Derrière, il y a également son père qui ne voit que l’argent. Henrotay a même avoué avoir été obligé par le père d’envoyer le recommandé de rupture de contrat sous peine de voir Marouane changer d’agent. Il y a clairement une instrumentalisation du gamin. Le Standard n’a donc pas grand-chose à se reprocher : les dirigeants ont même offert une maison et une voiture au père « .

Fellaini a rompu son contrat mais n’est pas encore parti :  » Si vous connaissiez la loi de 1978, vous sauriez que Fellaini n’a pas beaucoup d’autre choix que de resigner au Standard « , dit Henrotay.  » S’il part à l’étranger, il sera suspendu quatre mois par la FIFA et en Belgique, personne ne le veut « .

Pourtant, Anderlecht a proposé 3 millions.  » Anderlecht s’est dit intéressé mais encore faut-il que le Standard le veuille bien et accepte cette somme « . En clair, Anderlecht est prêt à attirer Fellaini mais pas contre l’avis du Standard. La direction mauve ne brisera pas le gentlemen’s agreement existant au sein de la Ligue Pro.

Le cas Deflandre

Autre cas délicat : le dossier Deflandre. Depuis le début de la saison, le club ne sait pas quoi faire de son défenseur en fin de contrat. Dans un premier temps, Deflandre, un des plus gros contrats du club, a souhaité une prolongation de contrat de deux ans. Mais son âge a bloqué son employeur. A 33 ans, l’arrière ne constitue pas une solution d’avenir. Le club s’est finalement décidé à lui proposer une année de contrat.  » Je suis resté cinq minutes dans le bureau de Pierre François pour discuter de ce nouveau bail « , explique le manager de Deflandre, Yves Baré.  » Nous avions la même idée du contenu. Le seul hic fut de nous accorder sur la durée. Finalement, nous nous étions mis d’accord pour un an. Le bon sens l’avait emporté « .

Cependant, au retour de vacances de François, le Standard avait changé d’avis. Baré :  » Le Standard nous a signifié qu’il n’était plus intéressé. Il n’y a jamais eu de problèmes financiers dans ce dossier. Je n’ai qu’une interprétation à donner à ce revirement : le club possède déjà en la personne de Frédéric Dupré un back droit. Et même si la formation liégeoise a de l’ambition, elle considère que c’est un luxe d’avoir quelqu’un comme Deflandre sur le banc. Les dirigeants ont sans doute pensé qu’il convenait d’investir à des postes libres plutôt que de doubler d’autres postes. A partir du moment où un club prend une orientation sportive, nous, managers, n’avons pas le droit de nous en mêler, ni encore moins de faire la leçon. Le seul bémol dans cette histoire, c’est que le contrat a changé en 15 jours « . Deflandre filera finalement au Brussels.

Le cas Dahmane

Depuis plusieurs années, le club défend ses campagnes de transfert en invoquant l’étroitesse de la marge budgétaire. François :  » Nous savons ce que nous sommes en mesure d’offrir. Nous ne sommes pas disposés à dire oui à la surenchère « .

Ce que confirme Petrovic :  » Le Standard ne laisse pas la porte ouverte à la négociation. Il a son style. Ainsi, lorsque nous sommes partis discuter le transfert de Mohamed Dahmane, ils ont dit : – C’est cela et c’est pas autrement. Le lendemain, nous sommes passés à Genk. François m’a alors appelé pour dire : – Ou tu viens pour signer ou tu ne te déplaces pas. Comme la proposition limbourgeoise était supérieure à celle du Standard, elle a été privilégiée. Le Standard n’a toléré aucune surenchère. Je n’ai même pas pu lui faire une contre-proposition. La porte était fermée « .

Le cas Cordier

L’année dernière, pourtant, quand Michel Preud’homme était encore directeur sportif, les choses furent un peu différentes dans le cas de Michaël Cordier. Il y a un an, fort d’une première saison réussie en D1 sous les couleurs de La Louvière, le gardien a négocié un passage au Standard. Pourtant, au dernier moment, il a choisi de filer vers le Brussels, club habitué à jouer le maintien.

 » Je m’étais rendu seul au premier rendez-vous fixé « , se remémore Thierry Hastray, l’agent du joueur,  » La première offre ne correspondait nullement à celle d’un club du Top 3. Cependant, je ne me suis pas offusqué car je savais qu’en négociation, on ne donne pas directement la bonne somme. Je n’étais pas exigeant mais je voulais un minimum de reconnaissance pour Michaël. Le Standard ne me connaissait pas et il s’est dit que cela allait être facile. Mais il est tombé sur un Ardennais têtu. Cordier était déçu de la façon d’agir du club liégeois. Par la suite, Preud’homme est venu avec une autre proposition : il avait fait un effort mais le Brussels était rentré dans la danse. On savait qu’on ne pouvait pas exiger autant du Brussels et pourtant, la première offre du club de la capitale était meilleure que celle du Standard. Si Preud’homme avait consenti l’effort financier nécessaire dès le début, Cordier serait parti là-bas « .

Ainsi, alors qu’il gagnait 2.000 euros bruts à La Louvière, Cordier aurait reçu 5.000 euros au Standard. Le Brussels l’a finalement emporté en proposant un salaire de 6.000 euros.  » C’est souvent la première impression qui permet au joueur de voir s’il est désiré ou pas. On peut comprendre le jeu de la négociation mais il faut aussi séduire le joueur « , continue Hastray.

Mais on connaît la chanson : le Standard joue beaucoup sur sa réputation ou l’amour du maillot et croit que cela suffit pour qu’un joueur y court….

Le cas des (ex)stars

Pourtant, tout le monde n’est pas traité à la même enseigne. Là où les joueurs belges reçoivent un contrat digne mais pas exorbitant, trois ou quatre éléments du noyau (souvent des vieux chevaux sur le retour) sont payés rubis sur l’ongle.  » Ils ont quelques exceptions qui confirment la règle « , lâche ironiquement Petrovic. Le salaire fixe de Conceiçao, Sa Pinto, Milan Rapaic ou, l’année passée, Jorge Costa avoisine les 30.000 et 40.000 euros bruts par mois.

Ces joueurs-là ont-ils mérité ces émoluments davantage, cette saison, que des garçons comme Geraerts, Fellaini, Olivier Renard ou Axel Witsel ? Petrovic :  » Quand on tient pareil raisonnement en pleine négociation, on se voit répliquer : – Sa Pinto a été 43 fois international, il a disputé la Ligue des Champions. On oublie de dire qu’il ne touche plus une quille. Il y a deux poids, deux mesures mais à la décharge du Standard, ce procédé se généralise. Un jeune du cru, dans son contrat, est toujours défavorisé. Que ce soit à Mouscron, Charleroi ou Mons « .

Le réseau D’Onofrio

Avec son budget actuel, le Standard peut se permettre quatre ou cinq gros contrats mais doit alors être particulièrement vigilant envers les autres. Pour attirer les stars, le club mise également sur le réseau de Luciano D’Onofrio.

 » Il a été un des plus grands agents du monde « , explique Petrovic,  » Il a encore ses entrées dans les plus grands clubs. Il a plus de facilité pour négocier avec Porto que moi. Il a attiré Milan Jovanovic en lui promettant un grand club s’il éclatait. La direction tient sa promesse puisque l’attaquant serbe est cité à Porto pour 5 millions d’euros…  »

Autre plume à mettre au chapeau des dirigeants : ils respectent toujours leur engagement.  » Quand tu as un accord avec eux, ils sont d’une correction extrême « , affirme Petrovic.

Ce qui a tendance à corroborer les préceptes de François :  » Je ne connais pas un seul joueur ayant progressé au Standard qui a été bloqué par la direction après avoir émis le souhait de partir. De plus, aucun joueur n’a jamais dit qu’il lui manquait une partie de salaire ou une prime. Tout ce qui est dans le contrat est scrupuleusement respecté. Je ne sais pas si on négocie bien mais on peut affirmer que l’on exécute bien les contrats négociés « .

Pourtant, la direction liégeoise a réfléchi et tiré les leçons les erreurs du passé. Les gros contrats sont liquidés. Deflandre, Sa Pinto, Rapaic et sans doute Conceiçao sont sur le départ. Est-ce enfin pour réinvestir dans les piliers de l’équipe et leur offrir un contrat revalorisé ou est-ce pour attirer des autres joueurs en fin de carrière ?

par stéphane vande velde

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