© EMILIEN HOFMAN

Saveurs du monde

Arpenter les pelouses des divisions inférieures belges tout en disputant les qualifs du Mondial paraît hautement improbable. Et pourtant… Portraits croisés de quatre baroudeurs inconnus au Plat Pays mais internationaux. Exotisme au programme.

L’assistance peine à remplir l’Ato Boldon Stadium au quart de sa capacité totale, soit 10.000 places. Reste que les 2.300 supporters trinidadiens présents ce 18 avril 2018 à Couva font suffisamment de bruit pour accueillir les adversaires du jour et futurs mondialistes du Panama.

Non négligeable, une partie de la foule est venue soutenir un gamin qui effectue sa première. Originaire du coin, Nicholas Lee Dillon est une des plus belles promesses du pays. Le public le sait.

 » Ça m’a stressé d’entendre tous ces fans crier mon nom alors que j’étais encore sur le bord. Une fois sur le terrain, je ressentais une clameur de dingue à chacune de mes touches de balle « , témoigne le numéro 9 avec le sourire en coin de celui qui mesure difficilement ce qui lui est arrivé.

Il faut dire qu’un mois plus tôt, le jeune homme ramassait un 3-0 bien tassé sur la pelouse sambrienne de Châtelet. Devant une poignée de supporters pétris par le froid. Depuis 2017, le néo-international trinidadien Nicholas Lee Dillon porte en effet la vareuse du Patro Maasmechelen, récemment relégué en D2 amateurs belge.

Nouvelle-Calédonie, Île Maurice et Liechtenstein

Outre les éléments de D1A, il existe quelques cas rares de joueurs de divisions inférieures belges portant la vareuse et la fierté de leur nation aux quatre coins du monde. Arrière latéral des Francs Borains (D2 amateurs) depuis 2017, Jorys Mène est international pour la Nouvelle-Calédonie.

Défenseur central à la recherche d’un club, Kylian Yrnard représente l’Île Maurice depuis près d’un an alors que Sandro Wieser, qui vient tout juste de quitter Roulers (D1B), est un taulier de l’entrejeu du Liechtenstein avec plus de 40 sélections.

Si Kylian Yrnard est né et a grandi à Bruxelles, les autres ont tous abouti en Belgique par différentes voies : Jorys Mène a, ainsi, rencontré le responsable du recrutement des Francs Borains dans la buvette d’un club de cinquième division française.

Nicholas Lee Dillon, lui, a profité des contacts internationaux d’un dirigeant de son club trinidadien et Sandro Wieser a été envoyé à Roulers par le président de Reading, DaiYongge, également propriétaire du KSK.

 » Je n’avais rien à perdre au niveau sportif et la vie en Belgique est meilleure qu’en Angleterre où la météo et la nourriture sont pourries « , assure le natif de Vaduz. Pourtant, l’existence des trois joueurs précités a commencé à des lustres du quotidien belge.

Café avec le souverain et travail au jardin

 » Le Liechtenstein ? C’est facile : imaginez une principauté de 35.000 habitants où seuls les possesseurs du passeport national sont autorisés à vivre. Là-bas, on mène une vie de village, très calme avec beaucoup de verdure et peu de trafic. Je pense que notre mentalité est proche de la suisse : on est aussi très neutres ( rires).  »

Indépendant, le Liechtenstein de Sandro Wieser est représenté par son prince souverain, Hans-Adam II, un homme assez proche de son peuple qui n’hésite pas à se balader dans la rue ou à prendre un café en discutant avec ses voisins.  » Notre pays n’est vraiment pas dangereux « , reprend Wieser.  » Je pense qu’il n’y a eu qu’un meurtre sur les 50 dernières années.  »

D’après les Nations-Unies, c’est dans un tout autre climat incertain et fragile que vit aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie, archipel français d’Océanie partagé entre les pro- et les anti-indépendance, à l’approche d’un référendum décisif prévu le 4 novembre prochain.

 » Je n’ai jamais senti ces prétendues tensions  » balaie pourtant Jorys Mène, originaire d’un village proche de la capitale Nouméa.  » Selon moi, les médias ont eu tort de stigmatiser le débat de l’indépendance sous le clivage entre les autochtones, les Kanaks et les Blancs. Le vivre ensemble et le partage sont des valeurs fortes de notre île.  »

Gamin, Jorys passe son temps libre avec ses cousins sans programme prédéfini.  » Il arrivait qu’on se fasse attraper par une grand-mère qui nous demandait de travailler dans son jardin ou de couper de la paille pour les cases. Elle nous remerciait en nous offrant le repas et on retournait chez nous. C’était normal, c’était notre quotidien.  »

Internat, précocité et diversité

Le football entre dans la vie de Nicholas Lee Dillon à l’aube de ses 9 ans. Pro foot, son village de Couva l’amène à tourner le dos à l’autre sport national, le cricket.  » À l’époque, je rêvais de devenir Dwight Yorke ou Stern John « , sourit-il.

Après un passage par W Connection, l’attaquant rallie le Central FC, à quelques kilomètres seulement de chez lui. De quoi lui éviter les affres de l’internat. Une étape à laquelle Sandro Wieser ne coupe pas.

 » Au Liechtenstein, les probabilités de décrocher un job intéressant sont tellement grandes que les jeunes à haut potentiel ne font pas l’effort de se battre pour devenir pros. Je devais donc quitter ma zone de confort.  »

À Bâle, Wieser découvre la ville, le monde, la diversité… Une adaptation à ce point réussie qu’il attire l’oeil du Werder Brême, de l’Inter Milan et de Chelsea. Le Liechtensteinois écoute, discute, mais refuse de faire le pas trop tôt.

À 12 ans, Jorys Mène a quant à lui déjà parcouru plus de 16.000 kilomètres et troqué Nouméa pour Amiens, où sa maman termine ses études de directrice d’école. Un ballottement que ne connaît pas Kylian Yrnard, formé au Sporting d’Anderlecht jusqu’en U19, époque où il dispute la Youth League.

Son parcours à Neerpede s’arrête le jour où le défenseur comprend que la direction n’est prête à le conserver que jusqu’à ce qu’elle trouve un autre jeune à mettre à sa place.  » Ça ne me disait rien de risquer de sauter pour un oui ou pour un non, j’ai donc rejoint Mons en D2.  »

Triptyque, sorties et alcool

Point commun des quatre joueurs : leur début de carrière est plutôt prometteur. Yrnard fait quelques apparitions sous la vareuse hennuyère, Wieser est transféré à 18 ans pour 1 million d’euros à Hoffenheim où il est cité comme seule satisfaction d’une déroute face au Bayern Munich (7-1) pour sa première apparition.

Lee Dillon, de son côté, empoche deux fois le triptyque championnat-Coupe des Caraïbes-coupe nationale avec le Central FC à 18 ans à peine alors que Mène intègre le groupe pro du Havre en Ligue 2 avant ses 20 ans.

Avec Yrnard, c’est toutefois le Néo-Calédonien qui va connaître le parcours le plus tumultueux. Obnubilé par une fille, il est mis de côté par les Havrais et entame une période de débauche.

 » Comme je n’avais rien pu faire au centre de formation, je me rattrapais en sorties et alcool.  » Lentement remis sur pied, Mène atterrit en 2016 à Ailly-sur-Somme, en CFA 2. Où il ne joue pas. Victime de la radiation du RAEC Mons un an plus tôt, Yrnard signe à Waterloo, en Promotion.

 » Ça m’a fait mal de redescendre jusque là. Non pas que je me sentais trop bien pour ce niveau, mais parce que ce n’était pas du tout là que j’avais prévu de me retrouver.  » Yrnard joue, mais Waterloo perd. De quoi miner son moral. Jusqu’à ce mystérieux appel d’un numéro au préfixe  » 00 230 « .

Sélectionnés via un ami, Facebook ou la filiale classique

 » Un ami mauricien que j’avais côtoyé à Anderlecht a donné mon contact au capitaine de la sélection de l’époque qui m’a téléphoné et proposé de rejoindre l’équipe nationale. Je n’ai pas hésité longtemps, c’est une fierté de savoir que tu vas représenter ton pays.  »

Né d’une mère mauricienne et d’un père belge, Yrnard espère alors oublier ses problèmes sportifs en Belgique grâce à son pays d’origine. Mais son arrivée en sélection est plutôt chahutée.

Entre 1995 et 2000, la législation mauricienne a en effet interdit le cumul de deux nationalités.  » Quand je suis né en Belgique en 1995, ma mère avait perdu sa nationalité mauricienne. Il fallait donc me naturaliser, ce qui a beaucoup traîné.

Jusqu’à ce que la Fédération de football mette une petite pression sur le gouvernement. La procédure dure théoriquement plus d’un an. Ici, ça s’est fait en trois jours.  »

Pour Jorys Mène, l’accession à l’équipe nationale s’est faite à partir d’un message du sélectionneur sur Facebook. Nicholas Lee Dillon et Sandro Wieser ont quant à eux suivi un parcours plus classique d’international chez les jeunes avant d’arriver en Première.

 » J’ai toujours su que je représenterais un jour Trinité-et-Tobago « , souffle même Dillon.  » J’attendais patiemment que mon heure vienne. Le sélectionneur m’a contacté au mois d’avril 2018. Ma mère venait juste de décéder et il comprenait que je refuse. Mais comme elle a toujours été derrière moi, j’ai accepté ma sélection pour lui rendre hommage.  »

Qualifs zone Océanie, Cosafa et Écosse

Mène est directement jeté dans le bain lorsqu’il rejoint la Nouvelle-Calédonie pour affronter la Nouvelle-Zélande au troisième et dernier tour de qualifications de la zone Océanie pour le Mondial 2018.

 » Je me souvenais d’avoir vu des Néo-Zélandais sur Sky Sports. Des mecs qui jouaient à West Ham ou ailleurs en Premier League. Je me demandais ce que je faisais là, moi qui n’étais même pas titulaire en CFA 2, puis l’engouement général m’a fait entrer dans mon cocon, dans ma guerre.  »

Fin juin 2017, Kylian Yrnard est appelé à représenter l’Île Maurice à la Cosafa, la compétition des pays d’Afrique australe. Il y mène une vie de pro, même si l’annonce tardive de sa sélection lui fait annuler ses vacances.

 » Être international m’a remonté le moral après mon échec : je ne suis pas là où je voulais être, mais j’ai quand même réussi ça. De quoi me donner l’envie de retrouver un niveau en club. Surtout que de bonnes prestations en équipe nationale peuvent attirer les regards.  »

C’est le cas de Sandro Wieser, qui séduit Darren Fletcher lors d’un Écosse-Liechtenstein disputé à seulement 17 ans. En fin de match, le médian de Manchester United l’invite à le rejoindre chez les Red Devils.

Après son échec à Hoffenheim, le Liechtensteinois va pourtant emprunter un tout autre parcours, passant de la Suisse à l’Autriche avant la D2 anglaise… et Roulers.

Tremplin belge et coup de poker

Actuellement âgés entre 21 et 25 ans, les quatre mousquetaires considèrent leur passage en Belgique comme un tremplin.  » Je n’ai pas peur d’aller jouer dans des petits patelins comme Profondeville parce qu’en Belgique, les scouts assistent aux matchs des divisions inférieures « , assène Mène.

 » C’est sûr que tout footballeur qui débarque en Europe rêve de jouer au top niveau « , ajoute Lee Dillon, qui trouve le jeu en Belgique moins rapide qu’à Trinité-et-Tobago.  » Mais je me fais confiance et je sais que je vais gravir les échelons. À mon arrivée en 2017, je me suis fixé deux ans avant de faire un pas vers l’avant. La saison qui vient va être décisive pour ma carrière.  »

Pour Sandro Wieser, le coup de poker roularien n’a malheureusement pas fonctionné. Avec 548 minutes à son compteur la saison dernière, il n’a pas été conservé par la direction.  » Je ne sais pas trop pourquoi je n’ai pas beaucoup joué. Je ne garde pas un grand souvenir de cette année : j’ai été choqué par les terrains et les infrastructures, qui sont moins bonnes qu’en D5 suisse ! Malgré le bon niveau de plusieurs équipes de D1B, je n’ai pas toujours eu l’impression d’être un footballeur professionnel. En mars dernier, je savais que je ne m’éterniserais pas à Roulers.  »

Il y a quelques semaines, Wieser a donc signé au FC Vaduz, au pays. Où son statut de premier Liechtensteinois à avoir disputé un match de Bundesliga n’émeut guère ses compatriotes, plutôt portés sur le ski.

Guide, conseiller commercial, et pro

Dès qu’il passe la douane de l’aéroport de Port-d’Espagne, c’est à un tout autre accueil que doit désormais s’attendre Nicholas Lee Dillon.  » Dans ma région, tout le monde me regarde, je dois donc me comporter en vrai professionnel : je ramène des chaussures et des maillots de foot, je parle aux enfants dans des centres de formation, certains parents me demandent de venir voir leur fils pour donner mon avis… Et depuis que je joue en Belgique, les titres des journaux ressemblent souvent à Dillon va guider Trinité-et-Tobago.  »

À Nouméa, la capitale de la Nouvelle-Calédonie, de plus en plus de gamins affirment être Jorys Mène quand ils veulent se faire pousser des ailes lors de matchs de quartier. Une fierté pour l’intéressé qui, enfant, usurpait l’identité de Pierre Wajoka, premier buteur officiel des qualifications pour le Mondial 2010 et star néo-calédonienne.

Gérer foot amateur et sélection nationale n’est pas une sinécure, surtout sans statut professionnel. Conseiller commercial chez un concessionnaire auto, Kylian Yrnard a dû parlementer avec son patron pour négocier ses absences.

Pour Jorys Mène, c’est différent : il fait partie des trois expatriés évoluant en Europe non repris pour les matchs amicaux.  » C’est une question de budget : la Fédération ne peut pas se permettre de nous payer les billets d’avion à chaque fois. Du coup, on est appelé pour les rencontres qui comptent.  »

Sous contrat au Patro Maasmechelen, Nicholas Lee Dillon vit de son côté comme un professionnel, rythmant ses journées à coups de séances de gym, de siestes et de promenades. Le soir, il rejoint ses coéquipiers amateurs à l’entraînement. Et parfois, il se tape près de 20 heures d’avion pour retrouver sa sélection trinidadienne, dont il fait désormais partie.

Mondial utopique, Nations League et nul encourageant

 » Je ne sais pas trop dire où nous nous situons. Certains cadres de l’équipe arrivent en fin de cycle, on est toujours en construction pour être prêt pour le prochain Mondial.  » Une compétition à laquelle Sandro Wieser est pratiquement certain de ne jamais participer. Le Liechtenstein végète aux alentours de la 180e place au classement FIFA… et ne se fait pas d’illusion.

 » Au début de chaque match, on estime que prendre un point est déjà une toute bonne chose. Mais on a besoin de chance, d’un gardien au top, d’une défense en béton et d’un adversaire dans un mauvais jour.  »

Wieser voit toutefois l’arrivée de la Nation League d’un bon oeil : face à des formations du même niveau, les Liechtensteinois auront plus souvent le ballon et pourront progresser en tant qu’équipe.

 » On est dans le groupe de la Macédoine, de l’Arménie et de Gibraltar. Je veux vraiment qu’on termine en tête. Sans savoir si c’est réaliste ( sourire).  »

L’Île Maurice est éliminée de toute compétition officielle d’ici 2019. De quoi faire grogner les fans.  » Le public veut qu’on gagne, même quand on affronte le Ghana « , précise Kylian Yrnard.  » Mais si les Mauriciens connaissent la Premier League par coeur, ils ne peuvent pas citer tous les noms de leurs propres joueurs. La Fédération devrait soigner sa communication pour réchauffer les liens.  »

Le match nul (0-0) obtenu contre la Nouvelle-Zélande en novembre 2016 est vu comme un signe positif en Nouvelle-Calédonie.  » Parce qu’il ne faut pas se cacher : le football néo-calédonien est encore très amateur, on doit progresser au niveau tactique, avoir de la rigueur, etc. Là, on est plutôt dans l’idée que tout le monde défend et tout le monde attaque, même le gardien ( rires). Mais ce genre d’exploit peut faciliter les avancées d’une petite nation  » conclut Jorys Mène.

Afin de marquer l’Histoire… avant de retrouver les prairies inégales du Plat Pays.

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Jorys Mène
Jorys Mène© EMILIEN HOFMAN
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Kylian Yrnard
Kylian Yrnard© EMILIEN HOFMAN
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Sandro Wieser
Sandro Wieser© EMILIEN HOFMAN
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