© belgaimage

Sauveur d’orient

Sans vraiment faire de bruit, comme s’il transportait sur le terrain sa discrétion presque légendaire hors du rectangle vert, Ryota Morioka est devenu l’homme fort de Charleroi.

Les silences sont presque plus longs que les phrases. Comme si chaque mot avait l’importance d’un ballon reçu dans le camp adverse. Chaque syllabe, le poids d’une passe soigneusement calibrée en direction du but. Devant les micros comme face à la balle, Ryota Morioka est un homme d’apparitions ponctuelles et éphémères. Un fantôme qui ne se montre que le temps d’effrayer les défenseurs adverses en une touche de balle, avant de retourner se cacher jusqu’à sa prochaine irruption.

Comme s’il fallait encore le rendre plus atypique, les deux derniers clubs à avoir fait appel au Japonais l’ont transféré pour succéder à des profils dynamiques, hyperactifs et amoureux du ballon. À Anderlecht, Ryo devait prendre la succession de Sofiane Hanni, créateur d’occasions boulimique, toujours prêt à répéter les appels et les efforts balle au pied.

Une fois arrivé à Charleroi, il devait s’installer derrière l’attaquant, et ainsi succéder à une lignée riche en succès, lancée par Neeskens Kebano et poursuivie par Cristian Benavente. Deux joueurs plus proches du profil de neuf et demi que de numéro dix, brillant avant tout par leurs infiltrations balle au pied et pouvant transformer à eux seuls un ballon reçu aux abords du rond central en occasion de but.

Morioka, lui, a besoin des autres. Comme ses jambes ne lui ont jamais permis de faire la différence, le Japonais se sert de ses pieds pour confier la transformation des contre-attaques à la pointe de vitesse de ses coéquipiers. Sans la maladresse de Mamadou Fall dans le dernier geste, Ryota serait d’ailleurs bien plus avancé au classement des passes décisives, où son compteur reste bloqué à une seule unité.

Presque anormal, pour un joueur avec un tel sens de la profondeur (personne ne réussit autant de passes dans l’espace que lui hors du G5) positionné à la manoeuvre dans une équipe qui brille surtout dans les reconversions.

VRAI 10 ET VRAI BUTEUR

Buteur à quatre reprises sous les ordres de Felice Mazzù, Morioka a par contre déjà fait mieux depuis l’arrivée de Karim Belhocine, trouvant le chemin des filets à six reprises. Il faut dire que le Japonais s’est rapproché du but adverse, profitant de la ligne de pression positionnée plus haut sur le terrain par le Franco-Algérien, par rapport au bloc bas généralement choisi par son prédécesseur.

Moins éloigné du but adverse au moment du coup d’envoi de la reconversion, le Nippon en est donc forcément plus proche quand l’action se finalise, et peut faire parler son sang-froid, son sens de l’infiltration pour entrer dans la surface au moment idéal et sa qualité de finition très impressionnante, qui lui donne un taux de réussite face au but proche de celui d’un joueur comme Jonathan David, référence nationale en la matière.

Si l’impression visuelle dégage parfois plus de nonchalance que d’efficacité, les chiffres parlent pour le numéro 44 des Zèbres. Depuis son arrivée dans le Pays Noir, Morioka a joué 1.840 minutes sous les couleurs zébrées, et trouvé le chemin des filets à dix reprises. Une moyenne d’un but tous les deux matches qui le classe parmi les milieux les plus prolifiques du championnat en 2019.

 » Morioka est un très bon footballeur, mais il a besoin d’un certain style de jeu « , disait de lui Philippe Clement, son coach lors de leur période commune à Waasland-Beveren. Un style résumé par Laurent Jans, latéral droit des Waeslandiens au cours des mois où Morioka menait le Freethiel à la baguette :  » L’entraîneur nous disait de le chercher dès qu’on récupérait le ballon. Il n’avait pas son pareil pour se libérer entre les lignes. Et dès qu’il recevait le ballon, il l’envoyait vers l’avant.  »

L’ENVIRONNEMENT IDÉAL

Avec des flancs animés par la vitesse de pointe d’ Aleksandar Boljevic et de Nana Ampomah, les reconversions filaient à toute allure, tout en laissant le temps à Morioka de profiter de la présence de Zinho Gano ou d’ Isaac Kiese Thelin pour occuper les défenseurs.

Faisant parler une nouvelle fois son sens du démarquage, le Japonais parvenait alors à se libérer dans la zone de vérité, et à faire trembler les filets à un rythme aussi élevé que celui qu’il mène au Mambour, sans pour autant prendre les penalties à son compte, puisque Thelin s’en chargeait pour faire grimper son addition personnelle au classement des buteurs. Pour compléter la recette du biotope parfait, le Nippon pouvait compter sur la présence d’ Ibrahima Seck et Victorien Angban dans son dos pour l’exonérer des tâches défensives.

Morioka à Charleroi, c’est une moyenne d’un but tous les deux matches qui le classe parmi les milieux les plus prolifiques du championnat en 2019.

Emprisonné dans le système d’ Hein Vanhaezebrouck à Anderlecht, Morioka retrouve un environnement semblable à sa période beverenoise dans le Pays Noir. Si les qualités de finition de ses ailiers l’empêchent encore de faire décoller ses statistiques de passes décisives (3 en 25 matches à Charleroi, 11 en 27 sorties avec Beveren), sa faculté à se présenter face au but au bon moment et à ne pas manquer la cible n’a jamais disparu. Même lors de sa période mauve, pourtant vue comme un échec retentissant, Ryota a planté six buts et délivré quatre assists en un peu plus de 1.100 minutes lors de ses six premiers mois anderlechtois.

 » C’est un joueur qui peut transformer une équipe moyenne en véritable candidat au top 6 « , pouvait-on entendre dans l’entourage du club carolo en début de saison, quand la préparation était entourée de points d’interrogation. Sans en donner l’impression quand il pose ses crampons sur la pelouse, Ryota Morioka n’a jamais cessé d’être une valeur sûre pour les Zèbres. Adapter minutieusement le secteur offensif carolo à ses qualités est probablement l’une des clés du succès potentiel des hommes de Karim Belhocine cette saison.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire