Sauvés trop tôt

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le pitbull français prépare sa valise et digère mal la chute au classement.

Mario Espartero (27 ans) était un des Louviérois les plus médiatisés au premier tour. Ce médian défensif français d’origine martiniquaise était alors dans tous les bons coups. Aujourd’hui, on parle beaucoup moins de Super Mario, mais c’est finalement le cas de presque tous les Loups. Leur cote de popularité a chuté, et Silvio Proto û notamment parce qu’il est devenu international entre-temps û est la seule exception qui confirme la règle. En cause, évidemment, le recul du club dans le classement et le fait que l’actualité louviéroise se soit plus écrite dans les coulisses du Tivoli que sur la pelouse.

Comment vivez-vous ce deuxième tour pourri ?

Mario Espartero : Comme tout le monde, je me pose un tas de questions. Sur mon futur, sur l’avenir du club. Je sens que c’est l’indécision à tous les étages de la RAAL. Les joueurs en fin de contrat ne savent pas si on va leur proposer de prolonger. L’entraîneur est dans le flou. Je crois que tout le staff est dans l’expectative. Bref, il n’y a plus rien de calme. Alors, il ne faut évidemment pas s’étonner de nos résultats décevants. Quand il y a des petites gênes dans la coulisse, il y en a forcément sur le terrain.

C’est le mercato de l’hiver qui a tout cassé ?

Bien sûr. Attention, je ne jette certainement pas la pierre au président. Nous avons fait des résultats tellement inespérés au premier tour que cela lui a offert la possibilité de bien vendre à la trêve. Quelque part, on peut lui donner raison d’avoir monnayé plusieurs joueurs. On ne peut pas en vouloir non plus à ceux qui ont exploité des occasions de s’améliorer sportivement et financièrement en signant ailleurs. On s’est retrouvés à la troisième place alors que tout le monde avait prédit avant le championnat qu’on était déjà mûr pour la D2. Forcément, cela attire les regards, on s’intéresse à ceux qui font des résultats aussi étonnants. Il n’empêche que c’est l’équipe actuelle qui trinque. Notre tort a été d’assurer trop vite le maintien de la RAAL. En décembre déjà, il était clair que ce club ne serait plus menacé. Alors, ce fut le grand marché. Si nous avions attendu le début du deuxième tour pour assurer l’avenir de La Louvière en D1, l’équipe n’aurait sans doute pas été démantibulée. L’objectif de départ a simplement été atteint trop tôt. Et c’est ce qui nous vaut ce deuxième tour sans saveur, sans ambition précise et sans menace de chute en D2. Le groupe est resté en éveil jusqu’au match retour de Coupe contre Bruges : c’était notre dernière carotte. Mais, une fois éliminés, nous avons pris un terrible coup au moral et notre saison était vraiment terminée. C’était comme si le beau château construit patiemment depuis l’été dernier s’effondrait subitement.

 » Avec tout le monde, on terminait troisième… au pire  »

Ceux qui ont remplacé les partants n’ont pas le niveau ?

Ce n’est pas ce que je veux dire, même s’il y avait plus de qualité dans le groupe au premier tour. Si nous avions pu continuer sur notre lancée pendant les deux premiers mois du deuxième tour, les nouveaux se seraient retrouvés dans une dynamique positive. C’est 100 fois plus facile de s’intégrer dans une équipe qui gagne. Regardez Michael Klukowski et Manaseh Ishiaku : tout va bien pour eux à Bruges parce que le Club enchaîne les victoires. Dès qu’ils montent au jeu, ils se débrouillent très bien. Matthieu Assou-Ekotto est un autre exemple frappant : il a directement trouvé ses marques au Standard parce que cette équipe gagnait presque tout. A l’inverse, c’est terriblement compliqué de réussir son adaptation dans un club à la recherche de son football, surtout si on n’a pas suivi la campagne de préparation estivale, si on n’a pas appris les automatismes collectifs qui conditionnent toute la saison. Prenez Christophe Grégoire : il a plein de qualités mais n’a pas réussi ses débuts à Anderlecht parce que son équipe tirait la langue lors de ses premières semaines là-bas et qu’il débarquait dans l’inconnu sur un plan purement football. Alors, vous imaginez bien comment cela s’est passé chez nous. Les jeunes et les joueurs arrivés pendant le mercato d’hiver étaient pour ainsi dire condamnés. Nous avions aussi perdu, entre-temps, le brin de chance et la confiance qui nous avaient accompagnés pendant tout le premier tour. Au lieu d’avoir des poteaux rentrants comme en début de saison, nous n’avons plus que des poteaux sortants, par exemple. Le résultat, c’est que tout le monde se pose des questions et est prêt à n’importe quoi pour inverser le cours des choses : prêt à ne plus jouer que sa carte personnelle, par exemple. Quand on s’interroge sur son propre avenir, on fait tout pour se montrer. C’est humain.

Les jeunes qui se sont retrouvés subitement en équipe Première étaient-ils prêts ?

Ils n’ont pas suivi leur formation en France, hein ! Ça se voit, évidemment. Ici, dès qu’un joueur de 17 ou 18 ans parvient à enchaîner un contrôle et une passe, on le dit mûr pour la D1.

Comment est l’ambiance dans le vestiaire depuis les résultats négatifs et les problèmes extrasportifs ?

Elle est toujours la même qu’au premier tour. On rigole toujours autant. Le problème n’est certainement pas là. Ça peut paraître bizarre, mais les mauvais résultats n’ont rien gâché à la vie de groupe. Je ressens toujours le même enthousiasme dans le staff aussi.

En attendant, les supporters râlent…

Ils se trompent s’ils commencent à jouer le jeu des comparaisons entre les joueurs qui sont partis et ceux qui les ont remplacés. Ils n’ont pas le droit de faire un mauvais procès à ceux qui ont pris la place des meilleurs titulaires de l’équipe du premier tour. Il faut savoir accepter chacun avec ses qualités propres. Je sens que ces comparaisons stressent certains nouveaux.

Qu’auriez-vous pu obtenir si le groupe était resté intact ?

Après avoir joué contre toutes les équipes, je suis sûr et certain d’une chose : si La Louvière avait conservé Peter Odemwingie, Michael Klukowski, Manaseh Ishiaku, Matthieu Assou-Ekotto et Mickaël Murcy, nous aurions pu finir à la troisième place… au pire.

Ah bon ?

Sûr, sûr… Vous n’avez pas vu la force de notre banc au premier tour ? Quand un titulaire sortait, son remplaçant était au moins aussi bon. Notre banc nous a plusieurs fois permis de tuer des matches, ça veut tout dire.

Et quel classement vaut le noyau actuel ?

La septième ou la sixième place. Voire la cinquième si tout le monde évolue à son meilleur niveau.

De compétiteurs à simples joueurs

Mais vous en êtes très loin si on totalise les résultats du deuxième tour ! Que vous a-t-il manqué pour gagner plus de matches ?

Deux choses : marquer plus et encaisser moins ! (Il rigole).

Pourquoi avez-vous encaissé autant et marqué aussi peu ?

Bonne question. Avons-nous encore le mental pour gagner ? Je n’en suis pas certain du tout. Au premier tour, il y avait 11 compétiteurs sur la pelouse au coup d’envoi. L’envie était énorme. L’agressivité était une de nos marques de fabrique. On se sentait forts. Aujourd’hui, on est terriblement fragiles. Au lieu d’être de vrais compétiteurs, on n’est plus que de simples joueurs de foot. L’esprit de sacrifice et de conquête n’est plus là. Jusqu’en décembre, nous attaquions et nous défendions à 11. Maintenant, les défenseurs se contentent de défendre et les attaquants ne font plus qu’attaquer. Voilà notre problème, il ne faut même pas chercher plus loin. Notre défaite récente à St-Trond résume tout notre deuxième tour. On mène 0-1, puis plus rien. On ne provoque plus, on ne percute plus, on ne fait plus que des passes latérales. Au lieu de simplifier notre jeu et de nous mettre à l’abri, on le complique et St-Trond finit par nous mettre deux buts. Avec un peu d’intelligence, on aurait pourtant battu une équipe pareille les doigts dans le nez.

Et que dire du 4-1 à Mons, alors ?

Pfffttt… Je n’ai pas de mots. Ce qui s’est passé là-bas était tout à fait anormal. C’était un manque de respect total vis-à-vis de nos supporters. On sait que, pour eux, les derbies contre Mons et Charleroi ont plus d’importance que n’importe quel autre match. Mais on n’a rien fait sur le terrain pour leur faire plaisir. C’est inadmissible.

Comment les joueurs ont-ils réagi au licenciement de Stéphane Pauwels, qui était quand même leur confident ?

Le président a pris une décision, il n’y a pas à la discuter. Stéphane Pauwels a fait énormément pour nous, il nous a fait beaucoup de bien, mais c’est Filippo Gaone et personne d’autre qui gère La Louvière. Il est là depuis une quinzaine d’années et il doit savoir ce qu’il fait. Le club a fonctionné avant Stéphane Pauwels et les joueurs actuels, j’imagine qu’il survivra sans nous.

Avez-vous compris ce C4 ?

Pas vraiment mais je vous répète que ce n’est pas mon problème. Gaone me paye pour jouer au foot, pas pour essayer de comprendre ses décisions.

Comment êtes-vous directement devenu un des leaders du vestiaire ?

C’est ma position sur le terrain qui veut cela. Un médian défensif doit avoir une âme de leader pour être vraiment efficace. Surtout dans une équipe qui presse en permanence, comme La Louvière. Je suis obligé de parler, de crier, de conseiller, de repositionner.

Vous avez repris la place de Matthieu Assou-Ekotto qui, lui, ne semblait pas être un vrai patron ?

Il l’était à sa façon. Certains deviennent des leaders du groupe en gueulant sur le terrain, d’autres y arrivent via leurs performances, d’autres encore en affichant un comportement irréprochable dans le vestiaire. Un Olivier Guilmot ne parle pas sur la pelouse mais il est un des boss de notre groupe parce qu’il montre constamment l’exemple en arrivant aux rendez-vous avant l’heure, en vivant son métier de footballeur à 200 %, etc.

 » Si je m’étais planté, ça se serait retourné contre Cartier  »

Pas du tout. J’ai un peu reculé pour m’installer à la place d’Assou-Ekotto. Au premier tour, j’étais un médian défensif avec un rôle purement offensif par moments, et Matthieu gérait les situations chaudes dans mon dos. Aujourd’hui, cette mission exclusivement défensive est pour moi et je suis forcément moins porté vers l’avant. On me voit moins dans les 30 derniers mètres, je n’ai plus l’occasion d’être présent dans les moments décisifs. Mais ce n’est pas parce qu’on me voit moins qu’on doit en conclure que je suis moins efficace. On me juge plus sévèrement aussi parce que les résultats sont moins bons. C’est compréhensible. Je rappelle seulement que je suis passé à côté de plusieurs matches au premier tour aussi. Mais tout le monde disait que j’étais bon parce que l’équipe avait gagné. Je ne m’inquiète pas du tout si les commentaires sont moins élogieux aujourd’hui.

On dit que vous êtes l’homme d’Albert Cartier : vrai ou faux ?

Vrai parce que je le connais depuis 2000, qu’il m’a lancé en D1 à Metz et qu’il m’a relancé à La Louvière alors que je sortais d’un an et demi sans football à cause d’une fracture de la rotule et deux opérations. Il avait déjà pris un risque à Metz en écartant un titulaire indiscutable pour me mettre à sa place dès qu’il était devenu coach principal. Et à La Louvière, le risque qu’il a pris était encore plus grand. Il a fait un vrai pari : amener, dans un club où il était tout nouveau, un joueur qui n’avait plus rien montré depuis longtemps. Si je m’étais planté, cela aurait pu se retourner contre lui.

N’est-il pas amer suite au pillage de l’équipe durant l’hiver ?

Il est déçu, comme n’importe quel entraîneur qui perd des titulaires.

Quid de votre avenir ?

Dans l’état actuel, je rentre à Metz durant l’été puisque je suis sous contrat là-bas jusqu’en juin 2006 et que j’ai été prêté à La Louvière pour une seule saison. Je pourrais très bien prester cette année de contrat là-bas mais je ne sais pas du tout si j’entre encore dans les plans de ce club.

Vous n’êtes donc pas lié à Albert Cartier ?

Non. Mais il sera le premier au courant de ma future destination.

Lokeren ?

(Il sourit). Je n’ai eu aucun contact avec ce club et, à ma connaissance, Cartier n’a pas signé là-bas.

La Louvière ?

J’imagine que Metz ne me prêterait plus à La Louvière aux mêmes conditions que cette saison. Et de toute façon, je ne resterai pas ici si la seule ambition se limite à jouer le maintien. Si je continue mon aventure en Belgique, ce sera au minimum pour viser une qualification européenne.

Pierre Danvoye

 » GAONE ME PAYE POUR JOUER, pas pour essayer de comprendre ses décisions « 

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