Sauvé par les Loups

A Charleroi, le soutien d’attaque du Tivoli a marqué son troisième but en deux matches.

Son sourire vous tombe dessus comme le soleil de la Sicile de ses aïeux quand on débarque à l’aéroport de Palerme. Pourtant, Ricardo Magro, 20 ans, n’y a jamais mis les pieds, ne connaît pas l’odeur des amandiers en fleurs, le spectacle des citronniers ornant magnifiquement les campagnes ou la vue de l’Etna qui pour le moment menace Catane.

Son Taormine à lui, c’est Clabecq où les ruines ne sont pas les mêmes que celles des Grecs, des Phéniciens et des Romains. « Plus tard, je prendrai le temps d’y aller », lance-t-il comme pour s’excuser. « Mes grands-parents paternels sont originaires du centre de la Sicile. Mais nous n’avons plus de famille là-bas car les frères et les soeurs de mon papa ont émigré au Canada.Ma maman est belge ».

Il ne parle guère italien mais sa peau légèrement basanée et ses cheveux noirs rappellent ses racines al dente. Clabecq, ce fut la forge de Michel De Wolf et de Walter Baseggio. Ricardo Magro est donc le troisième grand ambassadeur de ce club. Ses propos sont plus chaleureux quand il parle de De Wolf que de Walt d’Anderlecht. Du bout des lèvres, il lâchera que Baseggio n’a pas souvent le temps. Pour lui? Ricardo sourit. Il a galéré après la fin du RWDM. Magro ne put alors compter que sur sa force de caractère et le soutien de ses parents. Les autres furent si discrets…

Assassiné par Leleu

« La famille De Wolf habite à deux pas de chez moi », explique-t-il. « Je connais le papa de Michel. Là-bas, tout le monde a travaillé aux forges. C’était la raison de vivre de Clabecq. Mon père y a bossé durant 30 ans avant que les ennuis de l’usine ne le précipitent vers la pension. Moi, j’ai un diplôme d’électro-mécanicien mais, très vite, j’ai su que le football serait ma tasse de thé ».

Son frère tâta du cyclisme comme l’ancien champion de la région, Michel Dernies, mais c’est le football qui allait devenir l’étendard des Magro. « A12 ans, j’ai été approché par le RWDM », se souvient-il. « Trois autres clubs étaient également intéressés: Charleroi, Tubize et le CS Brainois. J’ai opté pour le club de la capitale en raison de la réputation de son école de jeunes. Là, on a souvent fait confiance aux gars du cru ».

Petit à petit, Magro s’élève vers l’équipe Première. Après que Patrick Thairet ait propulsé le RWDM vers l’élite, le petit Ricardo fut intégré définitivement au noyau A. Avant cela, Ariel Jacobs lui avait déjà permis de s’entraîner quelques fois avec les pros. « L’ambiance était très positive et j’ai été reçu à bras ouverts par tous les anciens », souligne Ricardo. « La suite fut un peu moins drôle car le groupe ne décolla pas en championnat ». Patrick Thairet a eu la même poisse qu’ EtienneDelangre: pas moyen de mettre le feu aux poudres. « Il a payé la note et je suis persuadé que cet homme a tout pour devenir un bon coach », avance le Louviérois. »Thairet a pris du recul mais prouve, à l’Olympic, que la qualité de son travail n’était pas à mettre en doute au RWDM ».

Magro est cependant secoué quand Ivica Jarakovic débarque d’Anderlecht. Le Mauve trouve ses marques dans la foulée d’ Alexandre Kolotilko. Quand EmilioFerrera remplace Patrick Thairet, le Clabecquois est expédié dans le noyau B. Pas par le coach mais par la direction. Sans gêne, sachant qu’elle n’avait plus un kopeck, la tête dirigeante du RWDM finasse avec lui. Magro refuse de signer un contrat de misère pour un pro: même pas 1.250 euros bruts de fixe par mois. Il prouve alors en Réserve que le RWDM a tort de se priver de ses services. Emilio Ferrera s’en rend compte, emmène Magro en stage hivernal au Maroc. Molenbeek lui accorde un petit plus salarial. Il démontrera que cette confiance était bien placée en signant un grand match face au GBA, le 2 février 2002, avec deux buts à la clef.

Ricardo avance sur le plan sportif mais il ne verra jamais tout ce que les dirigeants lui promirent. « A mon âge, le plus important est finalement de jouer le plus souvent possible », dit-il. »Un jeune doit d’abord se montrer, faire son trou. J’appréciais Patrick Thairet mais j’ai beaucoup appris en compagnie d’Emilio Ferrera. Le premier travaillait beaucoup le jeu de position, le second aussi et ce dernier était de plus un maniaque du détail qui fait la différence. Il savait détecter ce qui clochait dans la garde adverse ».

Le défunt RWDM devint une redoutable équipe de contres. Magro était chargé de tourner autour de Kolotilko, de le lancer en profondeur, de surgir derrière la tour russe. Tout allait pour le mieux dans lemeilleur des mondes quand un tacle de StefanLeleu, de l’Antwerp, mit fin à sa saison. « Il me sécha au niveau des genoux », souligne le jeune Loup. « Un assassinat. Il n’y a pas d’autres mots. Et ce boucher s’en tira sans problème. Quand je vois que Mbo Mpenza attaque son agresseur en justice, je ne peux qu’approuver. Leleu voulait ma peau, il l’a eue. C’est pas cela, le foot: les faucheurs n’ont pas leur place sur un terrain ».

Quinze jours plus tard, le gamin du RWDM était opéré à Anvers. Un célèbre praticien ne procéda pas à l’ablation du ménisque mais le sutura. Mauvaise idée car Magro ne joua plus une minute durant la défunte saison. Pour tout arranger, le RWDM se noya dans son océan de dettes. Avec la mort du club au bout compte. Comment un jeune joueur réagit-il alors que son avenir se joue? Qui allait s’intéresser à une promesse qui, plus est, était bloqué par les suites d’une blessure au genou? Inutile de dire que Ricardo Magro gambergea dans sa tête avant d’y voir clair.

Un manager trop gourmand

Il avait un manager mais ne tarda pas à se rendre compte qu’il ne se foulait pas trop pour lui. Quand il fut évident que les joueurs seraient libérés gratuitement (suite à trois mois de retard dans le versement des salaires), son papa prit son téléphone et contacta personnellement La Louvière. Roland Louf fit tout de suite le nécessaire. Ariel Jacobs était intéressé par le gamin de Clabecq. L’affaire fut donc rondement menée jusqu’au moment où l’agent du joueur se manifesta juste avant la signature des contrats. « Il n’avait pas bougé le petit doigt pour moi », se souvient Ricardo Magro. « Je n’étais pas très intéressant, je suppose, ou susceptible de rapporter de l’oseille. Mon manager avait du temps pour Walter Baseggio, pas pour moi. Mais quand il y eut une ouverture, cet agent réclama carrément une commission de 7.250. euros. Il compliqua tout. A un point tel que l’affaire faillit capoter.A cause de lui,je n’ai pas de voiture du club mais cela devrait s’arranger ».

Ricardo Magro s’entraîna encore à Tubize avant d’enfin signer son contrat (une saison avec une option pour un an de plus) après avoir jeté son agent, Luca Pelizzon, par-dessus bord. « Les Loups ont sauvé ma carrière », souligne l’attaquant. « Je ne devais rien à ce manager. On m’avait cité à Walhain, à Visé et à Charleroi mais sans La Louvière, je me demande finalement où je serais de nos jours ».

Son début de saison fut cependant pourri par les suites de l’attentat de Leleu. Le ménisque raccommodé ne tint pas le coup très longtemps et le jeune homme de Clabecq repassa sur le billard. L’attente fut longue mais Magro précise tout de suite: »On n’a jamais mis la pression sur mes épaules. Je suis finalement resté sept mois sans jouer en D1. C’est énorme et Ariel Jacobs m’a toujours encouragé. J’étais déjà certain d’avoir fait le bon choix. Il y a une ambiance assez incroyable dans ce vestiaire. Ariel Jacobs me connaît car il suivait évidemment les jeunes de Molenbeek ».

Le grand jour sonna face à Mouscron, avant le voyage au Sporting de Charleroi. Magro remercia Ariël Jacobs en signant deux buts contre les Hurlus.Le jeune homme s’amusa en tant que soutien d’attaque, fit parler sa vitesse et sa technique. Il remit le couvert chez les Zèbres. Magro, c’est assurément une belle petite trouvaille pour La Louvière qui aréussi son marché des transferts. « Je suis heureux mais je ne veux pas rêver », s’empresse-t-il de préciser. « A La Louvière, il y a d’abord un bon mix entre les anciens et les jeunes. Tout le monde va au charbon. C’est un groupe qui a envie de signer une bonne saison. Il y a d’abord le collectifpuis tout le reste ».

Quand il jouait au RWDM, il rêvait de l’Italie, de la Juventus, de l’Inter. La Louvière, c’est un peu l’Italie avec un président venu de la plus célèbre des bottes, des supporters qui mélangent l’accent des Pouilles et celui du Centre. Tout le monde tchatche joyeusement et charrie parfois Angela, la nounou des joueurs. « Aller au Mambourg, ça… jamais », dit-elle. Ricardo Magro se marre en l’écoutant: il se sent bien dans sa peau de jeune loup.

Pierre Bilic

Son père l’a présenté lui-même au Tivoli

« On a un bon mélange entre jeunes et anciens »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire