Sauce mauve, râle rouge

Bernard Jeunejean

Un ami me disait l’autre jour que Radzinski-le-Mauve ou Runje-le-Rouge qui se taillent, c’était kif-kif : c’était la même soumission à la 18e des Lois du Jeu, celle de l’offre et de la demande! Mais il ajoutait que, face à cette situation similaire où l’on te pique tes bons joueurs, le supporter rouge hurlait de rage, tandis que le mauve écrasait : comme si le ketje brusseleir était par nature moins contestataire et plus fataliste, comme si le Principautaire liégeois était ataviquement moins soumis et plus râleur. Mouais. Okay, des deux côtés, la maîtresse du jeu est la loi du fric. Mais quant aux réactions comportementales des supporters respectifs, faudrait pas trop verser dans l’ethnopsychiatrie : l’explication peut être plus simple et plus footeuse.

D’abord, tu râles plus fort quand ça va mal, et le supporter mauve sort d’une saison qui s’est fort bien passée : instinctivement donc, pour ouvrir grande sa gueule quant à la « politique des transferts », il attend logiquement que ça se passe moins bien avec les nouveaux et sans les anciens. A l’inverse, le supporter rouge aligne les saisons à la fin desquelles ça s’est toujours moins bien passé qu’espéré et proclamé : ce qui, à la longue, peut laminer les âmes supporteresses les plus belles et les plus patientes. Ensuite et surtout, si c’est la loi du fric à Bruxelles comme à Liège, ce n’est pas kif-kif pour autant. Là où les décideurs du Standard sont surtout critiqués, ceux d’Anderlecht sont surtout plaints : on trouve que les Mauves subissent le business ambiant à leur corps défendant, tandis que les Rouges fomentent le business! Anderlecht voit partir des joueurs qu’il souhaiterait garder, le Standard fait partir des joueurs qui souhaiteraient rester : comme si Anderlecht DEVAIT vendre, comme si le Standard VOULAIT vendre. Va-t-en savoir.

Il semble que le Standard vende les uns dès que la plus-value est intéressante, et rachète prioritairement les autres dans l’espoir d’une plus-value future. Le business serait ainsi l’activité première, et l’entraîneur n’entre en lice qu’après les emplettes : le job de Preud’homme est de se démerder au mieux en fonction des allées et venues, ce qui peut d’ailleurs se révéler un challenge excitant! A Anderlecht par contre, l’activité première semble rester sportive.

Certes, il y a bras-de-fer (avec Dortmund ou Everton) pour une plus-value maximale dès que le départ (de Koller ou Radzinski) est inéluctable, mais les rachats semblent se faire en concertation avec l’entraîneur, et dans un but d’efficacité. Anthuenis n’est pas mis devant le fait accompli, il est le responsable technique : avec un projet de construction que les dirigeants se font un devoir de respecter au mieux. A partir de quoi il a moins le droit à l’erreur, et plus l’obligation de résultats : c’est un autre rapport au patron, et un autre job que celui de Preud’homme.

Cette différence de concept se sent dans les noyaux constitués. Cavens n’a rien d’a priori plus performant que Goossens qui partira peut-être. Il y a 50% de chances qu’ Okpara apporte plus que Ciobotariu, et 50% qu’il apporte moins.

Mornar n’était pas intrinsèquement moins fort que Moreira. Walem, s’il vient, doublonnera demain avec Meyssen, tant ces deux-là ont des qualités similaires (gauchers axiaux, plutôt bas que haut, plus super-passeurs qu’infiltreurs, plus cérébraux que pitbulls). Qu’importe, puisque la logique de ces mouvements est économique : à Preud’homme de faire prendre, sportivement, la sauce rouge qu’il peut. Sans qu’il soit tenu gros grief à Michel si la sauce ne veut pas.

Côté mauve, ça sent la continuité du schéma. Van Hout est un polyvalent désiré. Hendrikx, plutôt bas ou plutôt haut, se tire d’affaire sur les deux flancs : il peut suppléer Goor ou Dheedene, dédoubler à droite avec Crasson ou concurrencer Bertrand lui-même. Mornar et De Bilde, outre qu’ils ne constituent pas un tandem de nuls en pointe, sont aussi des attaquants qui ne détestent pas se cantonner sur leur flanc de prédilection : je parierais qu’Anthuenis les imagine aussi encadrer Jestrovic dans le futur et au besoin, ce qui peut lui permettre de recentrer Stoica. Bref, la sauce mauve doit prendre, en Belgique en tout cas. Sans quoi le gros grief sera pour la pomme d’Aimé.

Bernard Jeunejean

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