SANTOS, UNE DYNASTIE BRÉSILIENNE

Visite au FC Santos, ville côtière dans l’Etat de São Paulo. C’est ici que Pelé a joué presque toute sa vie et qu’ont brillé aussi Robinho, Giovanni, Ganso et Neymar. En attendant sans doute l’avènement de futurs talents. Comme Geuvânio ou Gabriel.

Més que un club. Le slogan du FC Barcelone est connu dans le monde entier. Le FC Santos, club de la ville portuaire des environs de São Paulo, la capitale économique du Brésil, a aussi le sien : O time que marcou mais golos no futebol, l’équipe qui a inscrit le plus de buts en football. A VilaBelmiro, le stade des Noir et Blanc, un compteur tourne au rythme des buts marqués. Cette saison, il faut bien dire qu’il ne va pas très vite : Santos livre une saison très moyenne en championnat du Brésil. Jusqu’à la semaine dernière, il n’avait remporté qu’un seul de ses sept premiers matches, avec six buts inscrits. Le départ de Neymar a laissé des traces. Mais le club s’en remettra, son histoire le prouve. Le musée qu’abrite le stade est rempli de trophées.

Mané rit à pleines dents (façon de parler, il lui en reste deux) en repensant à ce jeune vagabond dont le transfert a fait tant de bruit. Il est l’homme à tout faire, le concierge de Vila Belmiro. Il nous guide dans le stade. Avec lui, pas besoin de prendre part à la visite guidée (payante) qui suit un circuit bien balisé. Par le passé, c’est lui qui amenait le café à Pelé. Autant dire qu’il fait partie des meubles. Il garde de bons souvenirs de Neymar. De Robinho, aussi.

O Peixe, les Poissons. Voilà comment on surnomme les joueurs de ce club à 1 h 30 d’autocar de São Paulo. La ville portuaire s’est développée à l’époque du commerce du café. D’après Mané, les Poissons sont fiers de leur surnom… attribué par des supporters du FC São Paulo dans les années trente. A l’époque, ce dernier était déjà professionnel tandis que les joueurs de Santos étaient toujours amateurs. On les traitait de pêcheurs mais, au lieu de considérer cela comme une insulte, ils en firent un symbole et choisirent un dauphin pour mascotte.

Le lendemain, Rafaele Piza nous explique ce qui fait la particularité de Santos. Il est agent de joueurs et son bureau se situe dans un building près de la plage, au Canal 3. Dans cette ville, les canaux qui croisent la digue servent à séparer les quartiers.  » Santos est le seul grand club historique qui ne soit pas issu d’une des capitales d’Etat du Brésil « , dit-il.  » Ce n’est pas un village : 500.000 habitants vivent ici. Mais c’est vrai qu’aux normes brésiliennes, ce n’est pas très grand.  »

Scouting dans tout le Brésil

Et pourtant, dans les années 60, ce club a dominé le monde. Aujourd’hui encore, il forme les grands joueurs avec la régularité d’une horloge. Pour Piza, c’est une question de philosophie, de volonté délibérée de faire confiance aux jeunes.

 » Santos est réputé pour cela. Tous les jeunes ne sont pas issus de cette région. Neymar vient d’une ville de province (Mogi das Cruzes), tout comme Diego (star de l’Atlético Madrid). Robinho a grandi à São Vicente, tout près d’ici. Mais Giovanni (ex-Barcelone) ou Ganso (la star de São Paulo) viennent de Belém, au nord du pays.

Santos recrute des jeunes dans tout le Brésil. Ce n’est pas systématique ni organisé, on ne peut pas comparer cela avec les structures de scouting mises en place en Europe. Certains arrivent ici pour passer un test, d’autres sont renseignés par un ancien joueur ou un ancien entraîneur. Et puis, il y a les parrainages. Neymar, par exemple, a été amené par le gars qui avait déjà renseigné Robinho au club.  »

Pour Rafaele, le club fait de l’excellent boulot avec les jeunes.  » Les fans jouent aussi un rôle important : ils soutiennent les jeunes, ils les préfèrent aux grandes vedettes achetées très cher.  »

Il cite l’exemple de Leandro Damião, le numéro 9 actuel. Originaire de l’Etat du Paraná, il est arrivé au club en provenance de l’Internacional de Porto Alegre, après le départ de Neymar à Barcelone. Sur le papier, ce n’était pas un mauvais choix car il avait inscrit de nombreux buts dans le championnat gaucho et avait été sacré meilleur buteur du tournoi olympique, au terme duquel le Brésil avait décroché la médaille d’argent.

Mais pour le supporter lambda, il ne vaut pas les 13 millions d’euros dépensés pour acquérir ses services.  » C’est pour éviter des erreurs coûteuses de ce genre que Santos veut améliorer sa cellule de scouting. Récemment, le club a engagé un scout à temps plein. Un gars qui connaît le football puisqu’il a travaillé pour Arsenal par le passé. Mais c’est un Brésilien, Sandro Mandelli. Santos doit son succès au talent des jeunes et à l’excellent travail réalisé mais il est temps de moderniser un peu tout cela.  »

 » Pareil pour les installations, d’ailleurs « , rigole-t-il. VilaBelmiro a un passé mais il est un peu dépassé. Mané rigole, il préfère ne pas nous montrer les chambres des internes.  » Pour des Européens, ce n’est certainement pas assez moderne « , dit-il.

Mexique et Costa Rica sur place

Piza :  » Beaucoup de clubs brésiliens possèdent de meilleures installations. Même au sein de cet Etat. Par contre, ils n’arrivent que très rarement à sortir des jeunes. Parce que ceux-ci sont barrés par les nombreux professionnels ou parce que les supporters sont moins patients.  »

L’infrastructure ne doit cependant pas être aussi mauvaise qu’on veut bien le dire puisque, durant la Coupe du monde, deux sélections s’y installeront. Le Mexique investira le CT Rei Pelé, le centre d’entraînement, qui date de 2005 et est hypermoderne aux normes brésiliennes. Le Costa Rica, lui, s’entraînera sur le terrain principal du club, à VilaBelmiro. C’est donc ailleurs que le Santos FC préparera la deuxième partie de son championnat national, qui reprendra le mercredi suivant la finale, après six semaines de pause.

Ce qui est étrange c’est que, malgré ce succès, malgré la vente de tous ces jeunes qui ne restent jamais plus de deux ou trois ans, Santos soit en proie à des difficultés financières. Le 19 mai dernier, la direction a dû se pencher sur les chiffres de l’année 2013. Une nouvelle fois, malgré le transfert de Neymar à Barcelone, ceux-ci n’étaient pas bons : une perte de 13,2 millions d’euros portant la dette totale du club à 62,7 millions.

Selon Rafael Martin, journaliste au quotidien sportif Lance, c’est dû au système. Primo, en matière de marketing, les clubs brésiliens ont beaucoup de retard par rapport à l’Europe, où on négocie les droits et le merchandising depuis les années 80 ou 90. Au Brésil, on ne le fait que depuis dix ans seulement. Secundo, au niveau des droits de télévision, c’est comme en Espagne : chacun pour soi. Des clubs populaires comme Corinthians ou Flamengo touchent deux fois plus que les autres. Tertio, la Loi Pelé, l’équivalent brésilien de l’arrêt Bosman, a eu des effets secondaires extrêmement négatifs. Les joueurs n’appartiennent plus aux clubs mais à des agents.

 » Quatre-vingt pour cent des joueurs ne sont pas très intelligents « , dit Marin.  » Ce sont des marginaux qui n’ont qu’un rêve : jouer au foot afin de gagner beaucoup d’argent pour prendre en charge leur famille. Et quand je dis famille, je parle de trente ou quarante personnes. Ils ne sont jamais allés à l’école, ou presque pas, et n’ont pas la moindre idée de ce que sont un contrat, les droits à l’image, un salaire… C’est alors que surgissent les agents. Ils ont étudié, sont intelligents et expérimentés. C’est ainsi qu’est née une économie parallèle où circulent des montants faramineux. Il n’est pas rare que, lors d’un transfert, 30 % de la somme totale aboutissent dans les caisses des agents, le club devant se contenter de 70 %. Les commissions ne sont pas plafonnées.  »

40 millions dans la nature

 » Le transfert de Neymar fut un véritable vaudeville. Officiellement, le club n’a touché que 17 millions d’euros. Il aura encore droit à 2 millions d’euros plus tard, si Neymar remporte le Ballon d’Or. Mais Barcelone a déboursé beaucoup plus. Actuellement, 40 millions sont dans la nature. Les clubs vendent beaucoup mais leur situation financière n’est pas bonne parce qu’ils dépendent de ce genre de personnages. L’esclavage n’a pas été aboli, les esclaves ont juste changé de propriétaires. Les agents détiennent les droits économiques sur les joueurs et prêtent ceux-ci en échange d’une indemnisation. Un an ici, un an là…  »

Piza admet mais il nuance : sans capitaux privés, Neymar n’aurait pas pu terminer son écolage à Santos et Robinho n’y serait pas revenu pour relancer sa carrière.  » La réalité, c’est que cela fait un bout de temps que Santos n’a plus de grand sponsor. Depuis presque deux ans, il n’y a plus de publicité sur les maillots (il rit). Même lorsque Neymar était encore là, le club éprouvait d’énormes difficultés à trouver des sponsors. La structure ne tient donc que grâce aux efforts de gens extérieurs au club.  »

On nous dit que le transfert de Leandro Damião repose également sur un montage compliqué. Officiellement, il appartient à Santos mais officieusement, il fait partie de DoyenSports, une agence de management qui défend également les intérêts de Radamel Falcão, Alvaro Negredo, Eliaquim Mangala (ex-Standard) et… Steven Defour. C’est DoyenSports qui a payé les 13 millions d’euros pour Santos. Chaque mois, le club verse son salaire au joueur et une somme à Doyen Sports pour la location. On parle de 150.000 euros pour chacune des parties. Si le joueur est transféré en fin de saison, Santos n’aura droit qu’à 20 à 30 % (selon les sources) du montant supérieur à 13 millions d’euros, le reste étant partagé entre le joueur et l’agence de management.

Question évidente : les clubs ne se porteraient-ils pas mieux s’ils possédaient l’intégralité des droits sur les joueurs ? Piza rigole mais ne répond pas directement à la question.  » Lorsqu’il a signé son premier contrat, ce qui peut se faire officiellement à partir de l’âge de 16 ans, Neymar a conservé 40 % de ses droits économiques. Un des investisseurs a ensuite racheté une partie de ce pourcentage à la famille. L’accumulation de tiers est liée à la mauvaise situation financière des clubs. Des investisseurs privés compensent et tout le monde en profite.  »

O novo Rei

Oui mais la question était : les clubs ne se porteraient-ils pas mieux si…  » Certains clubs tentent de conserver l’entièreté des droits et peuvent vendre leurs joueurs très cher « , dit Piza.  » D’autres préfèrent ne pas prendre de risques et cèdent directement les droits à des tiers. C’est un système très critiqué mais défendable. Tout le monde parle des réussites comme celle de Neymar, qui a généré beaucoup d’argent.

Mais il y a aussi de nombreux joueurs qui coûtent cher et ne rapportent rien. Les joueurs qui appartiennent à des sociétés privées d’investissement, ce n’est pas un phénomène typiquement brésilien, cela existe dans le monde entier. Même en Belgique. L’UEFA tente d’y remédier, Michel Platini s’est dit publiquement opposé au système et la FIFA tente également de l’interdire mais je ne crois pas qu’elle va y arriver.  »

Quoi qu’il en soit, c’est vers ce garoto (gamin) que tous les yeux brésiliens se tourneront pendant la Coupe du monde. La sélection actuelle est composée d’hommes mûrs, très forts physiquement, et d’un supercraque : Neymar da Silva Santos Júnior. O novo Rei, comme on l’appelle, en référence au roi Pelé.

Mais si Pelé venait de la rue, c’est au futsal que Neymar a travaillé sa technique. Tout petit déjà, il jouait à l’intérieur. D’abord chez lui puis à la Portuguesa, un club de São Paulo. Très vite, le football lui a permis d’améliorer son quotidien, d’obtenir une bourse lui permettant d’étudier dans un des meilleurs collèges de la ville. Il a offert le titre à l’équipe de son école et s’est vite fait remarquer. Pas seulement à cause du football mais aussi parce que, sur la tête, il portait un bandeau sur lequel on pouvait lire 100 pourcent Jesus.

Depuis que, bébé, il avait survécu de justesse à un accident de voiture, sa famille était devenue très catholique. Ses performances avec l’équipe de l’école l’ont révélé et la suite est connue. L’homme qui avait découvert Robinho l’amena à Santos où Zito, équipier de Pelé lors des Coupes du monde 1958 et 1962, lui fit signer un contrat. Il n’avait alors que onze ans. Trois ans plus tard, il effectuait un test au Real et en 2013, au terme de nombreuses péripéties, il débarquait chez le rival, Barcelone.

Produit de marketing

Quand on leur parle de Neymar, les gens de Santos sont plutôt mitigés. A l’angle de VilaBelmiro, on trouve un café de supporters réputé, Alemão. Nous discutons avec un fan du genre costaud, le logo du club tatoué en grand sur le torse.  » On exagère avec Neymar. Des joueurs comme lui, il y en a des centaines au Brésil. C’est un produit de marketing.  » Un de ses amis s’en mêle et la discussion s’enflamme.

 » Le Brésil « , dit João,  » a pour tradition de lancer de jeunes joueurs. Pelé n’avait que 17 ans lorsqu’il a participé à la Coupe du monde en Suède. Au même âge, Ronaldo était meilleur buteur chez vous, en Hollande (sic) ! Et Rivaldo cassait déjà la baraque au Brésil. Vous n’avez pas vu la Coupe des Confédérations ou quoi ? Neymar a ridiculisé l’Espagne à lui tout seul.  »

Piza est plus nuancé :  » Sans Ronaldinho et Kaká, il n’y a plus de véritable numéro dix en équipe nationale. Par le passé, nous avons toujours eu un meneur de jeu. Felipão (c’est le surnom du sélectionneur, Felipe Scolari, ndlr) a formé un groupe intéressant, très qualitatif mais sans très bon numéro 9 et sans véritable 10.

Tout le poids va donc reposer sur Neymar et c’est unique car jamais encore une équipe brésilienne n’a été construite autour d’un type aussi jeune. Par le passé, Ronaldinho a pu compter sur Ronaldo. Et quand celui-ci est arrivé, Romario était la référence. Neymar, lui, n’a personne. Après un an seulement en Europe, il dispute sa première Coupe du monde avec, sur les épaules, des responsabilités qu’il ne devrait pas porter à 22 ans. C’est un joueur brillant. Mais est-il prêt ?  »

PAR PETER T’KINT À SANTOS -PHOTOS: BELGAIMAGE

Santos est le seul grand club historique du Brésil qui n’est pas issu d’une des capitales d’Etat.

Malgré le transfert astronomique de Neymar à Barcelone, Santos a une dette colossale.

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