« Sans système, Zetterberg ne servirait à rien »

Quatre mois sans jouer ont poussé le back droit des Mauves à une introspection et une réflexion pertinentes.

Après deux revers d’affilée, contre le Lierse d’abord puis à St-Trond, Anderlecht s’est ressaisi en championnat devant Lokeren. Non seulement il n’a pas pris un but, ce qui ne lui était encore jamais arrivé dans cette épreuve depuis le début de la saison, mais il a également scoré à deux reprises face à une formation waeslandienne qui n’avait plus concédé la moindre défaite depuis le 24 août dernier à Lommel.

Tout ne fut pas parfait, pour autant, dans le chef des Sportingmen, auteurs d’une première mi-temps des plus mièvres en raison d’un football trop statique. Après la pause, grâce à l’impulsion d’Aruna Dindane, deux accélérations suffirent pour que Gilles De Bilde et Nenad Jestrovic plient le match devant un adversaire trop vite résigné mais gêné aussi par une défense locale enfin souveraine.

« Ce n’était sûrement pas un match d’anthologie mais nous avons eu le mérite de gérer les événements de manière intelligente », observait après coup Bertrand Crasson. « Cette fois, on a pu discerner un élan collectif chez nous, tant en phase offensive, avec des arrières comme Hannu Tihinen ou moi-même pour appuyer la manoeuvre, que défensive, avec le soutien de Nenad Jestrovic et Gilles De Bilde sur les phases arrêtées. Cette détermination-là est de bon augure avant notre match à Bordeaux ».

A l’issue du match aller contre le FC Midtjylland, vous n’étiez pas chaud à l’idée de nous accorder une interview. Cette fois, vous avez aisément consenti à notre demande. Pourquoi?

Bertrand Crasson: Pour pouvoir parler en connaissance de cause, surtout lorsque les résultats ne répondent pas tout à fait à l’attente, j’estime qu’il faut vivre la situation de l’intérieur. Or ce n’était pas mon cas puisque, jusqu’à cette date, j’avais dû essentiellement me contenter d’un rôle de réserviste. Comme tout un chacun, je m’étais fait une petite idée sur cette équipe du Sporting que je voyais à l’oeuvre depuis le banc de touche. A cette époque déjà, contrairement à beaucoup, je n’avais pas le coeur à m’enflammer. D’accord, mes partenaires étaient parvenus à grappiller le maximum des points à l’occasion des trois premiers matches contre Westerlo, Malines et le Standard. Mais je n’avais pas l’impression, pour autant, que tout baignait. Car je relevais, à la fois, un certain déchet à la finition ainsi qu’un manque d’intransigeance derrière. Je pensais que ces petits défauts s’estomperaient avec le temps. Mais, au fil des semaines, ils se seront finalement révélés de plus en plus criards.

Avec, pour conséquence, une redistribution des cartes au sein du onze de base dont j’ai profité, au même titre notamment que Nenad Jestrovic et Aleksandar Ilic. Repêché pour le déplacement à St-Trond, ce n’est que ce soir-là, en définitive, que j’ai pleinement mesuré les problèmes auxquels Anderlecht était confronté à ce moment. Ils ne se limitaient pas à une percussion approximative ou à une quelconque désinvolture en défense. Non, le mal était beaucoup plus profond: il s’agissait, ni plus ni moins, d’une absence totale d’unité de pensée sur le terrain. Notre deuxième mi-temps, chez les Canaris, était d’ailleurs éloquente à ce sujet. D’un côté, il y avait sur la pelouse des gars comme moi, qui voulaient à tout prix préserver l’avantage que nous nous étions forgés, contre le cours du jeu, en première période. D’autres, en revanche, souhaitaient à tout prix profiter de l’appui du vent pour tenter d’inscrire un, voire plusieurs buts supplémentaires. Résultat des courses: pendant 45 minutes, nous n’étions ni assez pour défendre, ni assez pour attaquer. Or, qu’est-ce qui fait la force d’une formation? Ce n’est pas tant la somme de ses individualités mais plutôt son expression collective. Bruges et Genk, pour ne citer qu’eux, en sont la parfaite illustration. Là-bas, les joueurs attaquent et défendent en bloc. Dans nos rangs, on n’a pas toujours relevé cette même compacité, loin s’en faut. Au Staaienveld, nous avons évolué avec quatre attaquants. Et, en tout et pour tout, nous nous sommes créé deux occasions de but. En défense, par contre, nous avons régulièrement été en infériorité numérique face à un adversaire qui nous assiégeait de toute part. C’est le signe que les joueurs ne sont pas sur la même longueur d’ondes.L’exemple de la Ligue 2000-2001

Cette absence d’équilibre n’expliquait-elle déjà pas tous les maux des Mauves la saison passée?

C’est tout à fait exact. Car à quand remontent les dernières prestations convaincantes du Sporting? Pour moi, elles datent tout simplement de la campagne 2000-2001 qui nous avait permis de remporter notre 26ème titre et d’accéder au deuxième tour de la Ligue des Champions après avoir devancé Manchester United, le Dynamo Kiev et le PSV Eindhoven. Aussi bizarre qu’il n’y paraisse, cet Anderlecht-là n’était pas vraiment bien balancé sur le papier. A priori, en effet, cette équipe aurait dû pencher vers la gauche, puisque Didier Dheedene et Bart Goor occupaient ce flanc tandis que j’étais livré à moi-même sur l’autre aile en raison du fait que le quatrième homme de la charnière centrale, Alin Stoica, officiait davantage comme soutien d’attaque que comme médian droit. A l’époque, pourtant, toutes les portions du terrain étaient bien occupées, aussi bien sur le plan offensif que défensif. Les permutations étaient toujours judicieuses, et ce n’est probablement pas un hasard si deux des trois buts inscrits par le Sporting au stade Philips portaient la griffe de Didier Dheedene et de moi-même, autrement dit des deux arrières latéraux. Personnellement, j’ai le sentiment d’avoir livré ma meilleure saison pour mes couleurs à ce moment-là. Ce qui est quand même assez significatif, dans la mesure où j’en suis actuellement à ma douzième saison au Parc Astrid. Depuis lors, je n’ai plus jamais éprouvé les mêmes sensations dans ma zone. Le contexte a, bien sûr, changé puisque j’ai subitement dû composer, dans mon couloir, avec les présences d’un Ivica Mornar ou d’un Aruna Dindane, alors que j’étais tout seul auparavant.

Evidemment, par le passé déjà, j’avais été associé à des garçons comme Luis Oliveira et Danny Boffin. Avec eux, il faut bien l’avouer, la collaboration était plus fructueuse qu’aujourd’hui. Mais ce constat n’est peut-être pas tout à fait anormal, en ce sens que les automatismes entre nous avaient pu être rôdés durant pas mal d’années. Ces quinze derniers mois, par contre, il n’en aura guère été ainsi. Pour la bonne et simple raison qu’il n’y a jamais eu de tandem fixe à droite. Rien qu’à mon poste, cinq joueurs m’ont relayé au gré des circonstances: Manu Pirard, Besnik Hasi, Lamine Traoré, Junior et Mark Hendrikx. C’est énorme. Et, ce qui ne gâte rien, le même phénomène s’est vérifié à d’autres places, le plus souvent à cause des blessures et autres indisponibilités, mais aussi de choix tactiques. A mes yeux, ce carrousel-là, est à l’origine de notre rentrée dans le rang. A force de modifier le système et les hommes, Anderlecht a perdu ses repères. Je pensais qu’on reviendrait à une certaine uniformité cette saison. Je constate pourtant que tant en phase de préparation qu’en championnat, la donne a souvent changé: tantôt on a joué avec deux, trois ou même quatre attaquants, tantôt avec trois, quatre ou cinq défenseurs comme lors du récent déplacement à Midtjylland. Pour progresser, il serait de bon ton de se prononcer pour un système immuable. C’est ce qui fait précisément la force de tous ceux qui nous précèdent au classement.Trop de changements en fonction des disponibilités

A l’exception du Lierse, toutes ces formations – Bruges, Lokeren, Genk et St-Trond -reposent sur un vécu de plusieurs saisons, puisque leur effectif n’a guère subi de modifications drastiques pendant tout ce temps. Contrairement à ce qui s’est passé au RSCA ces deux dernières saisons.

Le Lierse est la preuve, précisément, que rien n’est impossible pour peu que l’on ne dévie pas de ses principes. Au Sporting, malheureusement, on ne compte plus les entorses à cette règle. Je n’en veux pour exemple que le cas d’Aleksandar Ilic. Voilà quelqu’un qui répugne ouvertement à jouer au poste de back gauche mais qui n’en a pas moins abouti dans ce secteur aussi bien la saison passée que cette année, en dépit de ses doléances. Et il n’est pas le seul à avoir été trimballé déjà à plusieurs places. Dans ces conditions, comment espérer une fluidité dans nos actions? Si le Sporting veut à nouveau aller de l’avant et renouer avec son glorieux passé, il me semble hautement souhaitable de tracer une fois pour toutes une ligne de conduite. La toute première chose à définir, c’est un système. Ensuite, il convient de déterminer ceux qui sont susceptibles de l’appliquer et prévoir une ou, tout au plus, deux solutions de rechange pour chacune de ces attributions. Au goal, cette hiérarchie se présentera par exemple sous la forme de Filip De Wilde, numéro 1, Daniel Zitka comme remplaçant et Zvonko Milojevic comme troisième gardien. Idem pour les dix autres postes à pourvoir. Ces derniers mois, on a souvent été loin du compte. Sous prétexte qu’il fallait prévoir une petite place pour tel ou tel élément, les systèmes ont plus d’une fois changé et les hommes permutés. Désolé, mais s’il n’y a de place que pour deux attaquants dans une équipe, il ne faut pas forcer les événements pour en titulariser un autre à tout prix. Ce troisième homme devra s’asseoir sur le banc et attendre son tour, tout bonnement. Une fois encore, le passé peut servir d’inspiration à ce propos. En 2000-2001, nous avions pour ainsi dire toujours joué avec le même onze immuable composé de Filip De Wilde – moi-même, Glen De Boeck, Lorenzo Staelens, Didier Dheedene – Alin Stoica, Walter Baseggio, Yves Vanderhaeghe Bart Goor – Jan Koller et Tomasz Radzinski. Cette saison-là aussi, chaque fois que des gars comme Olivier Doll, Aleksandar Ilic ou Besnik Hasi devaient remplacer quelqu’un, l’équipe n’était jamais affaiblie non plus car ils retrouvaient toujours leur place de prédilection. En ce temps-là, c’était clair: Glen De Boeck et Lorenzo Staelens formaient la charnière centrale type. Mais le jour où leurs doublures attitrées, Olivier Doll et Aleksandar Ilic, durent les remplacer, ces deux-là livrèrent précisément un match dantesque contre la Lazio Roma. Il n’est peut-être pas inopportun de s’en souvenir aujourd’hui. »L’affaire du putsch m’a poursuivi »

Vous faisiez figure de valeur sûre dans cette équipe-là, tout comme la saison passée d’ailleurs, puisque vous avez disputé 32 matches sur 34 en championnat, de même que l’intégralité des dix matches de Ligue des Champions. Et voilà qu’au début de cette campagne, vous vous retrouvez sur le banc. Pressentiez-vous cette mise à l’écart?

Il y avait eu quelques signes avant-coureurs. Comme la titularisation de Mark Hendrikx, à ma place, à l’occasion du dernier match contre Beveren. Ou encore certaines paroles d’Aimé Anthuenis, à l’intersaison, selon lesquelles il voulait poursuivre sur cette même voie. Certains ont dit, évidemment, que mon statut de réserviste était une manière, pour la direction, de me faire comprendre que j’avais intérêt à aller voir ailleurs, sous prétexte que mon contrat était trop lourd. Honnêtement, je ne suis pas de cet avis. Je persiste à croire que j’ai bel et bien été écarté pour des considérations purement sportives. Je suis le premier à admettre que le contraste était saisissant entre ma toute bonne tenue, en 2000-2001 et mes piètres performances l’année passée, à l’instar de la plupart de mes partenaires d’ailleurs. A mon sens, le véritable tournant de la saison, pour moi, aura été l’épisode du prétendu putsch contre Aimé Anthuenis. Cette affaire-là m’aura réellement poursuivi jusqu’à la fin du championnat, alors qu’elle était tout à fait anodine au départ. Car que s’était-il passé à l’époque? Bruges sortait d’un match phénoménal contre Genk alors que nous avions fait piètre figure face à Alost. Dans les vestiaires, on s’était dit, entre anciens, qu’il n’était plus possible de continuer de la sorte et qu’il fallait changer quelque chose sur le terrain. Glen De Boeck, en tant que capitaine, et Filip De Wilde, son second, en avaient alors fait état à Aimé Anthuenis. Se sentant visé, l’entraîneur avait alors fait irruption dans le vestiaire en posant la question de confiance à chacun d’entre nous. La plupart ne savaient pas de quoi il retournait quand il leur demanda s’ils étaient prêts à poursuivre leur route avec lui. Glen et Filip, montrés du doigt parce qu’ils avaient accompli la démarche, eurent le bon réflexe de ne plus s’épancher dans la presse, par la suite. Mais moi, dont le nom avait été prononcé également en tant qu’instigateur, j’ai eu tort de vouloir me justifier. A force de répéter toujours la même chose, j’ai perdu l’influx qui m’aurait été bien utile sur le terrain. A partir de ce moment, mes prestations ont vraiment plongé. Avec, comme conséquence logique, la perte de ma place en équipe fanion. A quelque chose, toutefois, malheur est bon. Durant ces quatre mois sans jouer, chacun aura pu constater que je n’étais pas le responsable de tous les maux, comme certains voulaient le faire croire. Car sans mon concours, le Sporting n’a finalement pas été plus souverain qu’avec moi. Même si ce n’était qu’une maigre consolation.Plus personne au-dessus de la mêlée

Comment avez-vous vécu cette longue privation?

Il m’était déjà arrivé de devoir m’asseoir dans le dug-out lors de mon passage à Naples, entre 1996 à ’98. Mais jamais encore je n’avais été réduit à devoir vivre les rencontres en spectateur durant une si longue période. A ce moment-là, on se rend compte de ses réels amis, évidemment. A cet égard, j’ai eu énormément de soutien et de réconfort de la part de Pär Zetterberg. Lui-même avait connu cette triste expérience lors de ses débuts à l’Olympiakos, il y a deux ans, et il était donc bien placé pour me consoler ( il rit). Il m’a dit de continuer à bosser, persuadé que j’allais retrouver ma place tôt ou tard. Et je me suis appliqué pendant tout ce temps, au point d’être récompensé de mes efforts. Avec le recul, je me dis que cette gifle m’a peut-être fait le plus grand bien. A mon retour d’Italie, jadis, j’avais déjà vécu quelques mois difficiles, croyant qu’avec mon expérience, il me suffirait de paraître pour m’imposer. Je m’étais complètement blousé en la matière et ce n’est que lorsque Jean Dockx reprit l’équipe que je redevins progressivement moi-même. Après quatre ans de règne sans partage, peut-être ne m’étais-je plus remis suffisamment en question ces derniers temps. C’est pourquoi ces quatre mois de privation m’ont sans doute fait un bien fou. D’autres devraient faire la même expérience tant elle pousse réellement à une introspection totale. On se rend mieux compte, à ce moment, de ses dimensions et implications comme footballeur. Depuis qu’il ne fait plus banquette, Pär Zetterberg est d’ailleurs devenu incontournable au sein de l’équipe athénienne. C’est significatif aussi.

Le retour du Suédois est évoqué avec de plus en plus d’insistance au Sporting. Vous y adhérez, sans nul doute?

C’est un ami. Je serais heureux de le retrouver parmi nous. Mais son apport seul ne changera pas grand-chose, qu’on se le dise. Tant que tous les joueurs ne regarderont pas dans la même direction et tant qu’une structure adéquate ne sera pas mise en place, il ne faut pas attendre de grands bouleversements. Même Zinedine Zidane serait impuissant, dans ce cas, chez nous. Il sombrerait tout simplement avec le reste de l’équipe. Honnêtement, je ne crois pas que le problème se situe au niveau des joueurs. Il y en a 52 à Anderlecht. Avec eux, il doit quand même y avoir moyen de former une équipe valable, non? Le tout est de faire fondre leurs qualités individuelles dans la collectivité. Cet équilibre passe immanquablement par des choix douloureux et des sacrifices. J’en ai fait moi-même l’expérience. Et si les circonstances l’exigent, je suis prêt à retourner sur le banc. Au Sporting, à l’heure actuelle, personne ne se situe au-dessus de la mêlée.

Votre contrat vient à expiration en fin de saison et deux noms de remplaçants reviennent régulièrement dans les conversations: ceux du Norvégien Jan Gunnar Solli et du Néerlandais Michaël Lamey. La direction ne tentera-t-elle pas, dès lors, de monnayer une dernière fois votre talent lors du mercato d’hiver?

Pour l’instant, je ne m’en formalise pas. Ma seule ambition est de défendre mon rang afin d’entrer en ligne de compte pour une reconduction de mon bail l’été prochain. S’il n’en est pas ainsi, j’irai tout simplement voir ailleurs. Un retour en Italie ne serait pas pour me déplaire, par exemple. Des clubs comme Modène, Brescia et la Sampdoria sont d’ailleurs venus aux nouvelles. Mais dans l’immédiat, je veux encore croire à un avenir au RSCA. Et ce ne sont pas ces deux renforts potentiels qui me font peur. Depuis que je joue au Sporting, j’ai subi la concurrence de Jean-Marie Houben, Isaac Asare, Olivier Suray, Joris Van Hout, Besnik Hasi, Junior, Mark Hendrikx et j’en passe. Cela ne m’a jamais empêché de m’imposer. Et il n’en sera pas autrement le jour où un autre fera son apparition au Parc Astrid. A moins d’être transféré, j’ai à coeur que le mot de la fin soit toujours pour moi. Et, jusqu’à présent, cela ne m’a pas trop mal réussi.

Bruno Govers

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« Je suis en fin de contrat mais je crois toujours à mon avenir au Sporting »

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