» SANS RÉSULTATS, TU N’ES PAS CRÉDIBLE « 

Au bout de cent matches, le coach des Zèbres est toujours bien assis sur ce qui a longtemps été le siège le plus facilement éjectable de Belgique. Et même si chaque mercato l’emmène souvent sur de nouveaux chemins, il semble toujours savoir où il va. Rencontre avec le GPS du Pays Noir.

« En tant qu’entraîneur, on a toujours une idée de jeu qu’on a envie de mettre en place. Mais l’objectif principal, ça reste d’installer un système qui correspond aux profils à ta disposition.  » Felice Mazzù sait de quoi il parle. Parce qu’en un peu moins de trois ans au Mambourg, il a vu partir DanijelMilicevic et OnurKaya, puis NeeskensKebano. Les hommes autour desquels ses idées offensives étaient bâties. Mais encore une fois, il a reconstruit. Place à JérémyPerbet pour cimenter les attaques zébrées.

Heureusement pour Charleroi, Felice n’a pas son pareil pour aiguiser la plus fine lame de son noyau. Attablé autour d’un café et pas trop loin d’un radiateur, histoire de contrer des températures qui tutoient vilainement le zéro, le coach à succès des Zèbres raconte son 4-4-2, son parcours atypique et sa lutte face à la dictature du résultat.

Pour mettre en place un 4-4-2, est-ce que le plus difficile n’est pas de convaincre les buteurs qu’ils doivent travailler l’un pour l’autre alors que ce sont des égoïstes de nature ?

FELICE MAZZU : On avait commencé la saison en 4-4-2, mais les valeurs de travail n’étaient pas toujours présentes. C’est pour ça qu’on a dû revenir à un dispositif plus fermé dans l’entrejeu. Du coup, le ou les joueur(s) qui ne jouaient pas dans ce nouveau système ont réalisé que s’ils voulaient y revenir, il fallait qu’ils accomplissent d’autres tâches, défensives notamment. Et il me semble que ça a été mieux ces derniers temps. C’est ce qui fait qu’on peut rejouer en 4-4-2 depuis Mouscron.

Deux attaquants, des ailiers sur leur bon pied : c’est un système qui ressemble un peu à ce qu’on voyait dans les années nonante…

MAZZU : Il n’y a pas de système des années nonante, des années soixante ou de 2015. Il y a un système que tu mets en place en fonction de la qualité de tes joueurs. Tu m’imagines jouer avec des ailiers qui jouent  » pied opposé  » sur les flancs ? Alors, tu as des gars qui rentrent dans le jeu, et ils ont deux solutions : soit ils frappent, soit ils mettent un ballon en profondeur. Ndongala n’est pas un grand frappeur. Et surtout, je vois mal Perbet faire constamment des appels en profondeur. Ça ne le mettrait pas dans les meilleures conditions, parce qu’il a besoin de ballons qui viennent des côtés quand il est dans le rectangle. Voilà pourquoi on joue comme ça.

En perte de balle, on a parfois l’impression que Perbet pense plus à l’endroit où il doit être pour surprendre la défense quand le ballon sera récupéré qu’à le récupérer. C’est un problème ?

MAZZU : Quand je l’ai connu à Tubize, c’est vrai qu’il avait souvent cette réflexion. Je trouve que son passage en Espagne lui a fait du bien, parce qu’il travaille beaucoup plus. Mais oui, il le fait en pensant où il devra être dès la récupération de l’équipe. C’est aussi ce qui fait sa force.

C’est une attitude que le groupe parvient à accepter parce qu’il marque des buts ?

MAZZU : Même le staff et les supporters accepteront toujours qu’un joueur travaille un peu moins s’il te permet de prendre les trois points. Et Jérémy est assez mature pour savoir que quand il est un peu moins bien, il doit travailler un peu plus défensivement, ou faire un peu plus d’appels.

 » JE N’AI PAS DE 23E HOMME  »

En plus du départ de Kebano, tu as dû compenser celui de Sébastien Dewaest. Et pourtant, on a l’impression que ça n’a pas chamboulé l’organisation défensive de Charleroi.

MAZZU : J’accorde de l’importance à tout le monde dans mon style de fonctionnement. Je n’ai pas de 23e homme. Je fais des choix pour mon onze, mais les entraînements tactiques n’impliquent pas seulement les titulaires. Les informations sont données à tout le monde. Et aujourd’hui, c’est grâce à ça qu’on s’en sort. Parce que si on n’avait travaillé le quatre arrière qu’avec Dewaest comme arrière central droit, on n’en serait pas là. Zajkov, par exemple, on a pris le temps de le préparer à l’entraînement, de lui expliquer ce qu’on attendait de lui tactiquement. Parce que si tu lances un nouveau central sans préparation, il te prendra sûrement des duels aériens, mais après… Il y a des entraîneurs qui demandent de couvrir le latéral, d’autres qui veulent une paire centrale qui reste dans l’axe. Zajkov a eu le temps de voir ce qu’on voulait grâce aux vidéos et aux théories.

Tu accordes une grande importance à l’adversaire dans ces théories ?

MAZZU : Je ne veux pas utiliser l’adjectif. J’accorde une importance. Parce que je veux que mes joueurs sachent sur quel pied l’ailier va déborder, si le joueur axial se projette ou reste positionné. On montre aussi bien les points forts que les points faibles, s’il y en a.

L’adversaire peut t’influencer au point de t’amener à préférer un joueur plutôt qu’un autre dans ton onze ?

MAZZU : J’en discutais justement avec un de mes joueurs lors du stage. On se demandait si on ne pourrait pas se diriger vers ça. Mais il faut avoir une très grosse concurrence et beaucoup de joueurs qui se valent pour pouvoir faire ça. Et l’autre condition, c’est qu’il faut gagner souvent. Changer d’équipe, c’est prendre un risque. Celui qui gagne peut se le permettre.

Les victoires ne font pas seulement gagner des points, mais aussi du temps et du crédit ?

MAZZU : Tu peux travailler jour et nuit entre le terrain, les vidéos et les préparations mais si tu n’as pas de résultats, tu n’es pas crédible. Parce que tout ce que tu fais la semaine, les gens ne le voient pas. Malheureusement, le résultat est le seul paramètre qui compte.

Pourtant, ça se joue parfois à peu de choses. Contre OHL, Charleroi gagne 2-1 mais Tapoko rate un but tout fait dans les arrêts de jeu…

MAZZU : En tant qu’entraîneur, je remets plein de choses en cause après ce match, victoire ou pas. Le problème, il vient de ceux qui regardent : le public, la presse et la direction. Ce jour-là, tout le monde chantait dans le stade mais si tu prends ce but sur une fraction de seconde, ça change toute la physionomie de ce que les gens pensent. C’est le plus gros problème à gérer.

 » LES RELAIS DU COACH  »

Et c’est encore plus difficile de le gérer dans le sens inverse, quand tu es battu en tirant trois fois sur les montants.

MAZZU : Exactement. Alors que si ces ballons rentrent, on dit que tu as fait les bons choix. C’est surtout cette manière de voir les choses de l’extérieur qu’il faut gérer. Parce que nous, on se remet en question. Après la victoire contre OHL, on s’est demandé si nos changements n’avaient pas fait reculer le bloc, par exemple.

Ce message psychologique que tu adresses au groupe, tu y penses quand tu fais un changement ?

MAZZU : Je prends l’exemple du match contre Mouscron. On est réduit à dix, mais on continue en 4-3-2 pendant quinze, vingt minutes. Même après la mi-temps. Là, il y a un message :  » On n’a pas peur, on a des couilles (sic). On mène 1-0, mais on va essayer d’en mettre un deuxième.  » Psychologiquement, les joueurs vont aller de l’avant.

Pour agir sur la hauteur d’un bloc qui recule, tu fais monter un attaquant par exemple ?

MAZZU : L’équipe réagit toujours inconsciemment, en fonction de la qualité qu’il y a sur le terrain. Si tu as peur et que tu fais monter un milieu défensif, ses qualités naturelles font qu’on va moins sortir, parce que c’est un joueur prédisposé à défendre. Donc, ton bloc descend. Par contre, si tu fais monter un attaquant quand tu mènes 1-0 à dix minutes de la fin, tu dis indirectement à tes joueurs de ne pas reculer. Tout dépend des sensations du match, et du moment aussi, parce que tu ne prends pas les mêmes risques à la première journée qu’à l’avant-dernière. Sans oublier l’adversaire : contre Malines, tu sais que tu vas perdre la majorité des duels aériens face à Veselinovic, mais tu ne peux pas les perdre dans le rectangle. Dans ces moments-là, c’est la qualité de l’opposition qui fait que tu vas placer ton bloc plus haut.

Cette hauteur de bloc, ce sont aussi tes relais sur le terrain qui t’aident à la tenir ? Des gars comme Nicolas Penneteau, Javi Martos ou Damien Marcq…

MAZZU : C’est très important de pouvoir compter sur eux parce que le jour du match, sur la touche, l’entraîneur peut crier ou faire quelques replacements, mais le coaching mutuel est capital. Et ces trois-là, ce sont vraiment des relais.

Si l’un d’eux devient entraîneur après sa carrière, ce sera aussi une fierté pour toi ?

MAZZU : Bien sûr ! Et je peux déjà te dire que je suis convaincu que Nicolas Penneteau sera un très grand entraîneur.

BARÇA, AJAX ET GAND

L’identité du club de Charleroi, elle a eu une influence sur ta façon d’installer l’équipe, de jouer ?

MAZZU : Quand tu débarques dans un club qui remonte de D2 et qui se sauve de justesse dans la foulée, tu ne peux pas faire n’importe quoi. Tu ne fais pas le malin en disant :  » Moi je vais jouer un système super offensif, je n’en ai rien à foutre.  » Après, au fil du temps, pourquoi pas jouer plus offensif ? Je signale quand même qu’en deux saisons et demie, Charleroi a joué quatre, voire cinq fois plus de fois qu’Anderlecht avec deux attaquants.

L’identité carolo ne correspond pas à un système de jeu. C’est plutôt mouiller son maillot et se donner à fond, parce que le club ne peut pas toujours se permettre d’avoir un système conquérant et offensif. Mais Charleroi est en train de grandir. Peut-être qu’un jour, le club pourra se permettre d’avoir cette identité dans le style.

Ce sont les équipes avec une identité forte que tu prends le plus de plaisir à regarder jouer ?

MAZZU : J’adore voir Barcelone, qui a une possession, du mouvement et du jeu dans les intervalles. L’Ajax aussi, qui applique les mêmes principes de jeu calme et posé que dans les années nonante, même s’ils n’ont plus des joueurs du même niveau qu’à l’époque. Gand est très agréable à voir jouer avec les Sven Kums, Brecht Dejaegere, Milicevic qui jouent dans les intervalles… C’est le genre de football auquel je voudrais arriver, mais il faut les joueurs pour pouvoir le faire.

À l’heure actuelle, pourtant, Charleroi est une équipe qui assume rarement la possession du ballon. Parce que ça ne convient pas à tes joueurs ?

MAZZU : La possession, c’est important à partir du moment où tu as les joueurs pour l’avoir. Barcelone, ils ne pourraient pas jouer autrement, ils ont besoin de toucher le ballon. Alors oui, j’aimerais avoir une possession meilleure que celle qu’on a, mais on n’a pas les mêmes qualités, donc on doit jouer avec d’autres armes : compter sur la vivacité qu’on a sur les côtés et la concrétisation qu’elle peut nous offrir dans l’axe.

Si tu aimes regarder des équipes de possession, tu es forcément inspiré par Pep Guardiola…

MAZZU : Il m’inspire énormément par sa réussite. Il est passé du métier de joueur à celui d’entraîneur avec un très haut succès immédiat. C’est le genre d’entraîneur avec lequel j’aimerais passer un mois ou deux. Mais mon détonateur, ça a été Arrigo Sacchi, parce que c’est le premier qui a apporté quelque chose de nouveau au football. Il a apporté la zone.

Jouer en zone, c’est une évidence pour toi ?

MAZZU : Oui, pour un seul paramètre : je veux responsabiliser tous les joueurs qui sont sur le terrain. En zone, tu responsabilises ta défense dans les prises en charge, les coulissements ou les couvertures par exemple. Si tu es en individuel, tu dis à ton joueur :  » Prends Veselinovic et tu le suis pendant tout le match.  » Et si Dalibor marque, c’est pour sa gueule. Je ne veux pas de ça, c’est trop facile.

COACHES DÉFENSIFS VS COACHES OFFENSIFS

On a évoqué tes modèles étrangers, mais j’imagine que tu as aussi eu des entraîneurs qui t’ont influencé directement pendant ta formation de coach en Belgique.

MAZZU : J’ai fort apprécié Ariël Jacobs, et pas seulement parce que c’est chez lui que j’ai fait mon stage pour ma Licence Pro. Sa façon de travailler à l’entraînement, très calme et toujours positive, m’a vraiment marqué.

À Anderlecht, on parlait souvent de lui comme un coach défensif. Ce sont des étiquettes surfaites ?

MAZZU : Pour moi, c’est surfait oui. Mais il y a des coaches défensifs et des coaches offensifs. L’entraîneur offensif, c’est celui qui tente d’amener son bloc dans la partie adverse du terrain.

Et qui travaille les automatismes offensifs sans tout laisser entre les mains du talent individuel ?

MAZZU : Ces automatismes-là, il faut toujours les travailler ! Mais ce n’est pas parce que tu le fais que tu es un coach offensif. Pour moi, c’est plutôt une question de philosophie que tu inculques à tes joueurs. Regarde Mourinho : lui, c’est un coach défensif. Il base tout sur la récupération du ballon et le jeu en contre, dans tous ses matches.

Après, ça dépend aussi des joueurs que tu as à ta disposition. Dans les grands clubs, les entraîneurs ont souvent les joueurs qu’ils veulent, pas dans les plus petits. Donc, si j’ai de super joueurs en défense et trois attaquants assez moyens, je ne vais pas mettre mes meilleurs éléments sur le banc et jouer à trois devant pour faire le malin. On en revient à la question de la qualité des joueurs. En football, tout dépend toujours des joueurs que tu as.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Charleroi est en train de grandir. Peut-être qu’un jour, le club pourra se permettre d’avoir une identité dans le style de jeu.  » – FELICE MAZZU

 » L’entraîneur offensif, c’est celui qui tente d’amener son bloc dans la partie adverse du terrain.  » – FELICE MAZZU

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