Sans peur

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

La grosse victoire des Loups contre le Standard a une explication.

Quelques jours avant la visite des Rouches au Tivoli, le nouvel entraîneur des Loups avait livré ses pensées.

Après la défaite à Charleroi, vous aviez craint des dégâts psychologiques dans le groupe.

Ariel Jacobs: A mon grand étonnement, cette défaite a été vite digérée. Quand notre car est arrivé à La Louvière, près de 100 supporters nous attendaient pour nous féliciter. Ce réconfort a fait du bien au groupe après les sifflets entendus contre Lommel. Dès le décrassage du dimanche, tout s’est remis en place dans les têtes. Et durant toute la semaine, j’ai ressenti un grand enthousiasme. Chez les joueurs, mais aussi parmi le public, qui a assisté en masse à nos entraînements.

Chacun est conscient que La Louvière est dans une situation précaire. Mais il y a des arguments qui plaident en notre faveur. Ainsi, certains de nos concurrents directs n’ont rien de plus que nous.

Daniel Leclercq est resté très populaire auprès d’une bonne partie des supporters…

On me demande de remplacer un monument. Je peux comprendre que les supporters continuent à apprécier Leclercq. Mais ce n’est pas moi qui ai mis le club dans la situation où il se trouve. Les qualités de Leclercq étaient finalement devenues ses défauts: ne pas se préoccuper de l’adversaire, c’est toujours bien vu quand on gagne, mais ça finit par se retourner contre l’entraîneur après une série de défaites. Autre chose: Leclercq a lui-même décidé de partir. Je ne l’ai pas chassé. J’espère que les supporters n’ont rien contre moi en particulier. Même si, sur le site Internet du club, 50% des votants pensent que je ne parviendrai pas à relever l’équipe. Les statistiques s’oublient vite. Quand j’ai été limogé au RWDM, un sondage a révélé que 83% des supporters jugeaient mon éviction injustifiée et estimaient que Thairet n’était pas l’homme de la situation. On n’a plus parlé de ces statistiques quand Molenbeek est monté en D1.

Quel a été votre premier constat?

J’ai retrouvé les symptômes classiques: la peur de jouer, le refus de prendre ses responsabilités et l’absence d’autocritique. Quand un footballeur n’est pas bien dans sa tête, il n’est plus réceptif aux critiques de ses coéquipiers, de son entraîneur, de la presse ou du public. Chacun est sur sa petite île et l’équipe ne progresse pas. Je me suis attaché à rassembler le groupe en privilégiant les discussions et le travail.

On n’a pas vu de progrès spectaculaires lors des deux premiers matches, contre Lommel et à Charleroi.

C’est un processus de longue haleine car les dégâts étaient importants. Et ce processus ne peut être accéléré que par une prise de points. Aussi longtemps que vous êtes scotché en fond de classement, même les meilleurs discours n’entrent plus dans les têtes. C’est pour cela que, dans un premier temps, la manière m’importe peu.

Votre tactique prudente contre Lommel vous a valu des sifflets!

Nous avons été très mauvais ce soir-là. Mais Lommel est une équipe difficile à manoeuvrer. Elle a inscrit deux buts contre Anderlecht. Contre nous, elle n’a pas eu une seule occasion valable. Pour moi, c’était un point positif. On ne peut pas me reprocher une approche trop prudente: je veux d’abord stabiliser notre jeu défensif et organiser la distribution à destination des attaquants.

Quel est l’impact de l’indisponibilité prolongée de Thans?

Enorme. Benoît est le leader naturel. Par son jeu et son expérience. Il a autant d’influence sur le jeu de La Louvière que Walem ou Stoica sur le football du Standard ou d’Anderlecht. Si pas davantage. Car le Standard et Anderlecht ont assez de joueurs de top niveau pour remplacer leur élément le plus créatif.

Après le match contre Lommel, vous vous êtes présenté à la conférence de presse avec votre bloc-notes et votre crayon: vous entretenez votre réputation de coach méthodique…

Prendre des notes pendant le match, c’est une habitude chez moi. Surtout en première période. Cela me permet d’aller droit au but pendant l’interruption. Car tout doit aller vite: les joueurs ont besoin de 5 minutes pour récupérer, puis les médecins et les kinés prennent aussi 5 minutes pour soigner les bobos. Il ne me reste plus beaucoup de temps pour corriger ce qui ne marche pas. Et le stress est fort présent. C’est pour cela que je cible mes messages. Après le match, j’ai besoin de dix minutes pour tout recadrer. Je dis quelques mots aux joueurs pour éviter les dégâts psychologiques en cas de défaite, et un accès d’euphorie en cas de victoire. Vous comprenez que je n’ai guère le temps de préparer ma conférence de presse. Alors, je me sers de mes notes pour avoir des éléments de réflexion.

Vous n’avez aucun vécu en D1: un handicap?

Un gros handicap… à en croire les entraîneurs qui possèdent un vécu mais n’ont pas de club pour le moment (il rit). Le public préfère aussi un coach qui a une carte de visite au plus haut niveau. Mais je peux citer des entraîneurs expérimentés qui se plantent et des anonymes qui percent. Par exemple, on a arrêté de dire que les Ferrera n’avaient pas de vécu. Après le départ catastrophique de Lokeren, cette saison, on a rappelé que Paul Put venait de nulle part. Son équipe a ensuite réussi une bonne série, et la critique se tait. A l’inverse, Boskamp a gagné des titres avec Anderlecht mais s’est complètement planté à Genk, malgré des moyens énormes.

Vous avez fait votre apprentissage d’entraîneur avec les jeunes: un atout?

Dans les pays voisins, je vois des entraîneurs atteindre un niveau international après avoir fait leurs gammes avec des jeunes. Je pense à Louis van Gaal, mais aussi à Raynald Denoueix, qui a mené Nantes au titre après avoir dirigé le centre de formation du club. Il fut un temps où il était plus facile de travailler avec des jeunes qu’avec une équipe Première. Mais ce n’est plus nécessairement le cas aujourd’hui. Surtout depuis l’arrêt Bosman, car tous les jeunes se font entourer et deviennent plus réalistes et exigeants. Ils se croient vite mûrs et il faut savoir les gérer.

Vous avez quitté l’Union Belge, où vous aviez une place assurée pour ainsi dire à vie, pour monter sur le dangereux carrousel des entraîneurs de club!

Je connais les risques et je les assume. Je recherchais d’autres défis parce que mon travail à la fédération avait fini par me décourager. J’ai fait l’impossible pour essayer de mettre en place une véritable structure de travail avec les jeunes. Sans succès. On entend sans arrêt des discours axés sur la formation, mais ce travail semble subitement inutile dès qu’Anderlecht passe un tour en Ligue des Champions ou quand les Diables se qualifient pour une Coupe du Monde. A ce moment-là, tout est rose. Par contre, il suffit d’une défaite en Croatie pour que tout le monde commence à paniquer. Et qu’on ait une frousse bleue en pensant au barrage contre les Tchèques!

Pierre Danvoye

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