Sans Koller

Que vaut l’adversaire tchèque sans son avant géant? Quelques réponses de son sélectionneur.

C’est l’automne à Prague mais des milliers de touristes continuent à se presser sur le pont Charles. On leur distribue des publicités pour des concerts classiques dans les églises baroques du centre.

Juste devant l’immense théâtre national où on joue Carmen, l’opéra de Bizet, tout est calme. Nous sommes dans la rue Karolina Svetla, qui débouche sur les rives de la Vlata. Pas la moindre trace de l’ancien restaurant U Zlaté vàhy où, le 19 octobre 1901, dix club praguois se réunirent pour fonder la fédération nationale de football. Pour fêter dignement ces 100 ans, la fédération voudrait se qualifier pour la Coupe du Monde. Elle a déjà atteint ce stade à trois reprises, à chaque fois avec les Slovaques qui, en 1993, après la scission, fondèrent leur propre fédération.

Jozef Chovanec (41 ans), le coach fédéral, était sur le terrain lorsque, en 1990, la Tchécoslovaquie participa à son dernier Mondial. Il n’est pas le premier Slovaque à occuper une fonction importante au sein de la fédération tchèque: son prédécesseur, Dusan Uhrin, qui conduisit le pays en finale de l’EURO 96, l’était aussi.

Mais Chovanec est avant tout Praguois. Hormis deux ans au PSV, il fit toute sa carrière au Sparta. D’abord comme joueur, puis comme manager et enfin comme entraîneur, avant que la fédération ne fasse appel à lui en janvier 1998. Le siège de cette fédération est établi sur une colline qui domine Prague, à côté du stade national d’athlétisme et pas très loin du nouveau stade du Slavia.

La Tchèquie est 7e du classement mondial et a battu la Bulgarie 6-0 à l’occasion du dernier match de poule. Mais elle n’est pas encore qualifiée…

Chovanec: Nous avons été confrontés à beaucoup de blessures: Galasek, Smicer, Berger et Bejbl. Et Thomas Repka, un de nos meilleurs défenseurs, ne s’était pas présenté au match amical précédent et je ne l’avais pas emmené. Nous avons fait match nul contre Malte et nous avons été battus en Islande où nous avons été réduits à dix après l’exclusion de Jan Koller. Le Danemark était fragile également mais nous avons raté trois matches et il n’en a loupé que deux. La différence, c’est trois points et un ticket pour la Coupe du Monde.

Que vous manque-t-il pour être plus réguliers?

Un noyau plus large. Notre pays est petit, il ne compte que dix millions d’habitants. J’aimerais disposer de vingt grands joueurs mais je ne peux compter que sur treize joueurs du même niveau. Beaucoup sont dans des grands clubs mais ne jouent pas toujours. Mes défenseurs jouent ici, mais à l’étranger, mes meilleurs joueurs ne sont pas toujours titulaires. Srnicek ne joue pas, Nedved n’est pas toujours aligné à la Juventus et Poborsky à la Lazio, non plus. Et quand je dois me passer de trois piliers, je m’arrache les cheveux.

Evidemment, nous avons de bons jeunes, mais nous devons également être bons aujourd’hui. Et nous devons toujours tenir compte de la concurrence du hockey sur glace, une discipline dans laquelle la République tchèque fait partie des meilleurs équipes du monde. Beaucoup d’enfants pratiquent les deux sports jusqu’à l’âge de 12 ans. Après, ils doivent faire un choix. Pour ma part, je n’ai jamais dû le faire car, en Slovaquie, le hockey sur glace est moins important. On peut également y gagner beaucoup d’argent. C’est pourquoi il est bon que le football compte quelques grands noms qui ont valeur d’exemple: Rosicky et Koller jouent à Dortmund (le premier ratera le premier match et le second les deux!), Nedved à la Juventus, Berger et Smicer à Liverpool. C’est la différence par rapport à il y a dix ans: nos idoles sont dans l’actualité.

« Les jeunes sont vite alignés en Tchéquie »

Comment se fait-il que vous puissiez compter sur une telle éclosion de talent?

Dans l’ancien système, on retrouvait beaucoup de joueurs âgés. Aujourd’hui, on doit vendre et un bon jeune de 18 ans se voit immédiatement accorder une chance. Pratiquement chaque équipe de D1 compte de deux à quatre titulaires de 18 ou 19 ans. S’ils jouent bien, ils ont un bon salaire. Et ensuite, il y a l’étranger pour les meilleurs. Aujourd’hui, tout est facile pour eux, parfait même. J’ai dû attendre mes 30 ans pour pouvoir partir à l’étranger. Il y avait toujours des problèmes pour obtenir un passeport, pour voyager. Maintenant, je peux circuler librement en Europe et apprendre. Je n’ai plus besoin de regarder la télévision pour voir jouer la Juventus, Milan et Liverpool: j’y vais et c’est très bien ainsi. Evidemment, l’odeur de la pelouse me manque souvent, parfois mais je la retrouverai bientôt: après la Coupe du Monde ou les matches de barrage.

Vous comptez vous retirer en cas de défaite.

Peut-être même en cas de victoire. Je suis un homme libre. Si j’ai envie d’arrêter, j’arrête. J’ai été nommé en 1998, je pense être le seul de cette promotion. Un coach fédéral ne tient guère plus de deux ou trois ans, soit l’espace d’une période de qualification. Après, il faut arrêter. Deux mandats, c’est exceptionnel. Quand on n’obtient pas de résultats, il faut changer.

« Mon job est difficile »

Le métier de sélectionneur fédéral est-il difficile?

Oui. On n’est pas entraîneur mais manager. On travaille peu avec les joueurs, alors on téléphone, on parle, on voyage, on regarde des matches. Voyager, c’est bien mais j’aimerais aussi être plus souvent à la maison car le temps passe vite, très vite. Et puis, beaucoup de joueurs privilégient leur club et ces derniers estiment que c’est normal. Mais moi, je dois les motiver. C’est pourquoi j’organise aussi peu de matches amicaux que possible. De toute façon, je n’arrive jamais à réunir ma meilleure équipe. Je peux comprendre que Berger préfère jouer un match ou deux avec Liverpool plutôt qu’une rencontre amicale avec nous. Alors, je donne une chance à un jeune ce qui, à terme, augmente la concurrence. Le problème, c’est qu’avec la Ligue des Champions et l’argent, l’intérêt des clubs ne cesse de grandir. Avant, l’équipe nationale comptait plus que tout. Si j’étais légèrement blessé, je ne disais rien à la presse ni à l’entraîneur car je voulais jouer. C’était important pour ma carrière. Aujourd’hui, on ne pense plus comme cela.

Avant, celui qui ne jouait pas en équipe nationale n’avait aucune chance d’être transféré dans un grand club étranger. C’est toujours le cas mais, une fois qu’on est transféré et qu’on gagne beaucoup d’argent, on a tendance à l’oublier. Je leur fait donc comprendre que, même quand on joue à Liverpool ou à la Juve, il n’est pas bon de ne pas jouer en équipe nationale. Quand on n’est pas sélectionné pendant trois mois, l’entraîneur et la presse se posent des questions et la valeur marchande diminue.

Trop d’incidents?

Vous aviez amené une excellente ambiance dans l’équipe mais, aujourd’hui, il y a des grincements de dent.

Il y a eu l’incident avec Repka et puis celui avec Koller qui a jeté son maillot à terre lorsque je l’ai remplacé. Il est toutefois venu s’excuser. Le succès change les gens. Je ne dis pas que Jan est devenu arrogant, c’est un type normal mais il est sous pression. Je dois réfléchir pour savoir à quand remonte son dernier but en équipe nationale. Cela le rend nerveux. Lui et son entourage. S’il ne joue pas bien, il sait que je dois le remplacer.

J’ai joué avec lui au tout début. La plupart du temps, il évoluait en Réserves. Nehoda, le manager, ne lui a pas proposé de nouveau contrat et il est parti à Lokeren. Je suis allé le voir trois ou quatre fois lorsqu’il jouait bien et marquait beaucoup car nous n’avions pas de véritable attaquant de pointe. Lorsque je l’ai sélectionné pour le match amical face à la Belgique, toute la République tchèque a pensé que j’étais fou. Personne ne voit les matches de D1 belge ici; la télévision ne montre que la Serie A et la Bundesliga. Mais je savais de quel genre de joueur j’avais besoin et Jan a fait carrière grâce à l’équipe nationale. Supposons qu’il soit resté à Lokeren et qu’il n’ait jamais été sélectionné: il serait sans doute allé à Anderlecht mais peut-être pas à Dortmund.

Malgré un noyau limité, vous travaillez assez confortablement.

Nous n’avons pas beaucoup de défenseurs de niveau international. Hormis Repka, les autres jouent dans le championnat tchèque. Cela vaut également pour la Belgique et l’Italie: on achète peut-être un libéro mais pas les autres défenseurs.

Dans l’entrejeu, par contre, vous avez l’embarras du choix.

Nous avons un bon entrejeu mais pas assez pour composer deux équipes. Citez-moi des noms! Nedved, Rosicky, Berger, Poborsky. Cela fait quatre. Et qui encore? Je peux compter sur cinq ou six joueurs au maximum, à condition qu’ils soient tous en condition. Le problème, c’est que la plupart des gens pensent que nous avons beaucoup de choix.

Qui veut jouer dans les clubs tchèques?

Le Sparta de Prague se débrouille bien sur la scène européenne. C’est plutôt bon pour le championnat tchèque.

C’est avantageux car le Sparta paye cher les joueurs qu’il achète dans d’autres clubs mais il n’est jamais bon qu’une équipe écrase toutes les autres. Or, le fossé reste énorme. Et un seul joueur expérimenté -Jiri Novotny- au milieu de tous ces jeunes ne va pas aider le Sparta à remporter la Ligue des Champions face à toutes ces équipes qui alignent des étrangers de très haut niveau. Il y a peu d’étrangers en République tchèque, à l’exception des Slovaques ou de quelques Croates et Yougoslaves. Les étrangers ne veulent pas venir ici. Bien que tous les clubs de D1 et de D2 soient professionnels, seul le Sparta paye bien. La situation actuelle en championnat favorise la formation des jeunes. L’inconvénient, c’est que le produit n’est pas très attractif pour la télévision. Le Sparta est trop fort et il n’y a pas grand-chose à voir car nous n’avons pas de grand nom. En Allemagne, un pays où il y a beaucoup d’étrangers, c’est le contraire: le championnat est très intéressant mais l’équipe nationale souffre parce que les jeunes Allemands éprouvent des problèmes à éclore en D1.

Que ferez-vous après l’équipe nationale? Vous avez tout gagné en tant que joueur et déjà atteint le sommet en tant qu’entraîneur…

J’aimerais réentrainer un club, retrouver l’odeur du terrain.

Vous voyez-vous travailler dans un club moyen comme Zivkov qui joue le dimanche matin devant quelques milliers de spectateurs?

Tout à fait. On ne vit qu’une fois. Le football est très important pour moi, mais ma famille aussi. Je désire une vie plus calme et c’est impossible quand on est coach fédéral. Je ne veux plus passer chaque jour à la télévision, répondre sans cesse aux questions des journalistes. Je préfère taper dans le ballon, en République tchèque ou ailleurs. Je m’en réjouis à l’avance.

Vous allez toute de même d’abord écarter la Belgique de la route qui mène à la Coupe du Monde…

Que dites-vous là? C’est 50-50. Nous voulons aller au Mondial. Contrairement à moi, en 1990, aucun des joueurs de cette génération n’a connu cette expérience. Et c’est leur dernière chance.

Geert Foutré, envoyé spécial à Prague

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