« Sans foot, autant me flinguer »

Le coach de la lanterne rouge se donne à fond pour la cause de son club.

Un sondage révélerait sans aucun doute qu’Alex Czerniatynski est devenu une des personnalités les plus populaires de Flandre. Le Plat Pays a apprécié son courage quand il accepta d’entraîner un FC Malinois sans un sou, à l’avenir incertain, dépourvu de joueurs de métier.

Czernia ignorait que l’aventure de son club allait mobiliser tout le nord du pays. Des stars de la télévision et de la jet set se précipitèrent au chevet de l’ancien vainqueur de la Coupe des Coupes. La foule a suivi: c’est un phénomène de société qui se renouvelle toute les semaines car ce club, condamné à jouer en D3 la saison prochaine, déplace beaucoup de monde lors de chaque journéede championnat.

Sur cet élan, Mouscron, Genk, Lokeren et surtout le Standard prêtèrent gratuitement de nombreux jeunes joueurs au FC Malines. D’Alex aux Hurlus en passant par les Rouches, la générosité wallonne a grandement contribué à rendre des couleurs à ce club historique.

A signaler aux hooligans du Racing de Malines qui ont récemment agressé les joueurs de Verviers noyés sous des propos racistes…(voir page 52). Depuis son intronisation, Czernia se multiplie, quasiment 24 heures sur 24, pour un salaire de 1.000 euros par mois qui ne lui permet pas de nouer les deux bouts. Peu importe, il a accepté au nom de sa passion du football et, sans le savoir, Alex a ouvert la fenêtre, a un peu aéré le monde du ballon rond où la violence, le fric facile, le dopage ou les soucis pour décrocher une licence ne cessent d’ occuper les unes des médias.

Rien à perdre

Avec le recul, votre défi est une réussite sur toute la ligne. N’avez-vous pas acquis du crédit pour toute une carrière de coach aux yeux des vrais amateurs de football?

Alex Czerniatynski: Je ne sais pas, je n’ai pas pensé à tout cela en devenant le coach du FC Malines. Le sport a toujours été au centre de ma vie. Je réagis comme je le faisais en tant que joueur. A fond. C’est un bonheur d’être sportif professionnel. Je n’ai jamais menti avec le football et c’est ce qui m’avait permis d’être populaire à Charleroi, à l’Antwerp, à Anderlecht, au Standard, à Malines. J’aime ce que je fais. Je ne peux pas vivre sans football. Ma femme le sait. Elle me soutient à fond. Même si ce n’est pas facile tous les jours. Je ne gagne, en effet, que mille euros par mois. Et les entraîneurs n’ont pas de primes. Cela signifie que je dois puiser dans mes économies. Je ne pourrais pas le faire durant dix ans. Après ma carrière de joueur, je me suis tout de suite destiné au métier d’entraîneur. Il me semblait logique de commencer chez les jeunes, ce que j’ai fait avec joie durant deux ans au Standard. Puis, Aad De Mos me confia le même job auprès des jeunes de Malines. Je m’étais donné quatre ou cinq avant de rejoindre le staff d’une équipe Première de D1. Quand il débarqua à Malines, Stéphane Demol songea tout de suite à moi. Je suis devenu son adjoint et je lui en serai toujours reconnaissant. Quand Malines piqua du nez sur le plan financier, Demol préféra partir mais me recommanda dans le club.

On citait des noms pour prendre la relève mais pas le mien et je me suis adressé au curateur. Il pensait que je ne voulais pas rester. L’affaire fut réglée en dix minutes et, au départ, on n’a même pas parlé d’argent. Je n’avais rien à perdre. Je connaissais les jeunes du Standard qui allaient arriver. Je pouvais emmagasiner une grosse expérience en D1. Personne n’allait jamais me reprocher quoi que ce soit même en cas d’une cascade de défaites, ce qui n’est pas le cas, car c’était une nouvelle équipe avec des jeunes. Il ne suffit pas d’un coup de baguette magique pour tout mettre en place. Malines vit, c’est ce qui compte, et tout ce que nous entreprendrons en D1 jusqu’à la fin de la saison, c’est du bonus. En D3, le regard sera différent car, là, chaque défaite sera un problème dans notre désir de remonter en D2 puis en D1.

Sans les médias, Malines serait-il encore vivant de nos jours?

Non, je ne crois pas ou du moins les chances auraient été moindres. Mark Uytterhoeven de la VRT a déclenché un mouvement unique, selon moi. Fi Van Hoof sur le plan sportif et Piet den Boer avec ses relations en matière de sponsoring l’ont rejoint. Magnifique trio. Mark Uytterhoeven connaît le sport mais aussi le monde du show business, entre autres, en Flandre grâce à des émissions télévisées qui cartonnent comme De Laatste Show de la VRT. Il y a eu des événements tous les jours. Soirées crêpes, kermesses aux boudins, fêtes de la bière ou actions frites avant un match: tout était bon pour récolter de l’argent. Lommel et Charleroi ont essayé mais c’est à Malines que ces actions ont connu un énorme succès. Des chanteurs ont interprété gratuitement leurs succès. Même Clouseau, qui est un groupe mythique en Flandre, est venu. Cela attire du monde. Malines, c’est pas St-Tropez

Finalement, c’est l’endroit à la mode. Si on veut être vu, et acquérir de la sympathie, il faut se montrer à Malines. Même Jean-Marie Pfaff le sait. C’est une première en Belgique alors que personne n’aime généralement être associé à une équipe descendante…

C’est l’effet Uytterhoeven. Malines n’est pas St-Tropez où tous les m’as-tu-vu de la planète se bousculent pour attirer le regard des paparazzi. Mais il est un fait que les vedettes ont droit à leur photo dans les journaux après avoir montré le bout du nez à Malines. Le phénomène est plus profond que cela. Certains ont peut-être exploité cette caisse de résonance médiatique. Un sur dix, pas plus, mais cela n’enlève rien à la beauté de cet élan. Mais si les stars ont bougé, la base aussi et sans l’attitude positive des supporters, c’était raté. Nous avons eu des messages de sympathie d’autres clubs: Charleroi, Bruges, Anderlecht, Standard, etc. Cela fait chaud au coeur. Les supporters de l’Antwerp ont organisé une collecte pour nous. Or, un Anversois ne soutient que les clubs de la Métropole. Un restaurateur anversois nous a invités pour une collation d’avant match car il savait que nos caisses étaient vides. Notre restaurateur ne nous a heureusement pas abandonné. Un marchand de poulets rôtis et de côtes d’agneaux nous a ravitaillés un jour entre deux entraînements. J’ai rappelé des fans du club afin de nous aider au quotidien, de s’occuper des équipements, des repas. Quand j’ai repris le club, il n’y avait rien: plus de télés, plus de vidéos.. Tout le monde était parti sauf 20 joueurs et deux entraîneurs, moi et l’adjoint, Zivica Kanacki. J’avais les clés, c’était tout. L’ancien magasinier est revenu, gratuitement, sa femme aussi. Deux Montois viennent quand nous jouons à la maison afin de travailler dans la salle des joueurs. Pour pas un balle. Le sauvetage du club est une énorme récompense pour eux.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile sur le plan sportif quand le nouveau groupe fut enfin composé?

En début de saison, un entraîneur a de six à huit bonnes semaines pour lier la sauce, trouver un style de jeu. Après la trêve hivernale, j’ai hérité du noyau un lundi et le week-end nous jouions déjà à Charleroi. C’était un peu juste et j’ai dû travailler au pif avant de procéder méthodiquement. Il y a eu une progression évidente au fil du temps mais je savais aussi que l’équipe, sous tension, traverserait un passage à vide. Je demande le maximum aux entraînements et lors des matches: c’est éprouvant. Même si c’est dur, l’équipe progresse chaque semaine. Quand on lance deux ou trois jeunes dans une équipe expérimentée, c’est pas un problème mais j’ai hérité de 18 gamins avec le seul David Crv ayant joué 20 matches en D1. Bram Criel venait à peine de fêter ses 16 ans.

Je découvrais un nouveau métier mais eux aussi. Je leur donne beaucoup de conseils mais le rythme est terriblement élevé pour les jeunes en D1. Ils apprennent et les jeunes du Standard sont heureux. Ils se montrent, suscitent probablement de l’intérêt. Habran porte l’équipe. C’est un gardien de D1. Malines, c’est désormais sa carte de visite. Asselborn souligne sa classe. Caramazza a de la technique à revendre. Grégoire progresse. El Yamani manque encore de confiance. Il a des qualités mais a besoin de quelques buts pour se relancer. Dans un ou deux ans, il carburera à un très haut régime. Son accident de la circulation avait stoppé son éclosion. Pour eux, l’étape malinoise est d’autant plus indiquée que je connaissais leur potentiel pour les avoir entraînés avec les jeunes du Standard.

Je ne favorise personne. Les meilleurs jouent. Ils travaillent comme des fous à l’entraînement. Tout le monde est gagnantà Malines: le club, les jeunes, moi. Les gamins ont gagné deux ou trois ans. Ailleurs, ils auraient dû patienter avent de se montrer tous les week-ends en D1. Et , de façon plus étendue, c’est tout le football belge qui découvre qu’on peut faire confiance aux jeunes.Rien à la légère

Mark Uytterhoeven n’a-t-il pas déclaré que le principal était de bien s’amuser?

C’est la fête, le public est là, pardonne tout, encourage à la folie mais les jeunes ont envie de gagner. Ils ont essuyé des défaites et ont gagné aussi. Tenant compte de nos problèmes, je misais sur quatre points pour le deuxième tour. Tout le monde m’a traité de fou car le groupe n’a pas de vécu. On fera mieux. Je ne peux pas jouer en 3-4-3 comme Malines l’a fait la saison passée. Je préfère le 4-3-3 mais je suis parfois plus prudent. Je n’ai rien à perdre mais je suis un mauvais perdant. Quand nous sommes menés à la marque, aucun joueur n’est capable de réorienter notre jeu. Si on ouvre la score, ça va. L’équipe tient le rythme durant une heure avant de fléchir car elle est jeune. Contre le GBA, tout le groupe a joué un cran au-dessus. Nous ne pouvons émerger via une action individuelle.

A Rumst, vous habitez rue Louis-Paul Boon…

Exact, Louis-Paul Boon était un grand écrivain flamand.

Oui, et vos aventures footballistiques l’auraient certainement inspiré. Sans football, que serait Czernia?

La question ne se pose pas car je n’ai jamais envisagé ma vie sans foot. Je ne sais rien faire d’autre. J’ai besoin d’être dans un vestiaire, sur un terrain, avec des joueurs, avec la presse, dans l’ambiance d’un match de football. C’est mon truc. Si je vis en Flandre depuis 1981, c’est en raison du football et de mon transfert de Charleroi à l’Antwerp. Tout, je dois tout au football. Mais je sais que c’est parfois un milieu cruel. Ainsi, j’ai perdu des plumes à Tilleur-Liège. Mais c’était moins médiatisé que Malines. Je n’ai pas été payé pendant un an J’y ai perdu cinq ans de contrat et cette affaire est entre les mains de la justice. Je préfère ne plus y penser. J’étais serré. Ce fut un coup très rude car, quoi qu’on en pense, je n’ai pas connu les années fastes et je ne roule pas sur l’or. J’ai besoin de travailler. Malines me permet de le faire.

C’est la première fois depuis 25 ans que je n’irai pas en vacances car je n’ai pas les moyens de me payer un voyage. Mes économies fondent même si nous ne faisons pas de folies. Je prends patience. Je ne crache pas dans la soupe,j’ai une maison, une famille, nous préférons que ma femme ne travaille pas. Si cela devait s’éterniser, je devrais vendre ma maison: pas question d’en arriver là, évidemment. Je ne suis pas entraîneur pour gagner plein d’argent et être à l’abri du besoin dans trois ans. Je veux me faire un nom, apporter quelque chose à mon équipe, laisser une trace positive de mon passage à Malines. Quand je partirai, ce sera en regardant tout le monde droit dans les yeux, comme ce fut le cas quand j’étais joueur, car je me donne à plus de 100% et mon travail est bon.

Je ne prends rien à la légère. Je sais être dur. Sur le plan de l’approche humaine, je suis proche de Walter Meeuws. On savait s’amuser et sortir avec lui avant de travailler comme des malades. Sans cela, l’Antwerp ne serait jamais arrivé en finale de la Coupe des Coupes. J’aimais bien Davidovic. Un Houwaart mise aussi sur la bonne humeur dans le vestiaire. Ivic était fou de tactique. J’adorais Van Himst, c’était presque un père. Un brave homme avec qui il était impossible de se disputer. Guy Thys aussi. Je ne citerai pas ceux que je n’ai pas envie d’imiter.

Sans les disputes internes, Malines n’aurait jamais vécu une aussi « belle » aventure même si elle vous mène en D3…

A un moment, c’est vrai, on a plus parlé des frasques et disputes de Malines, que des matche de Genk ou de Bruges. Je n’en veux à personne. Ni à l’ancien président qui jouait au Père Noël ni à Aad de Mos qui m’a fait venir à Malines. Père Noël a vu du jour au lendemain que des gens profitaient depuis des années de sa générosité. Mais ce n’est certainement pas Aad de Mos, au contraire, qui a poussé le club dans le trou. Là, je suis même formel. Le plus triste, c’était le sort des joueurs. L’un d’eux m’a dit un jour: – Alex,je ne peux plus payer la facture du chauffage. J’ai dormi dans la voiture avec ma femme et mes enfants car il faisait trop froid dans l’appartement. Je lui demandé d’être prudent, d’ouvrir la fenêtre pour éviter une intoxication par le gaz. En D1, vous vous rendez compte? Plus connu: un autre joueur ne pouvait plus payer les langes pour son gosse. Cela ne me faisait pas rire mais le reste, les frasques reprises dans la presse, je m’en foutais. J’ai tout vu et entendu dans le monde du football. Alors, tout ce qui peut encore m’arriver ne peut qu’être positif. Sans foot dans ma vie, autant me tirer tout de suite une balle dans la tête.

Pierre Bilic

« Pour la première fois depuis 25 ans, je n’irai pas en vacances car je n’en ai pas les moyens »

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