» Sans envie, ON N’OBTIENT RIEN »

Le coach des Zèbres était déçu à Sclessin mais a reconnu sportivement la supériorité liégeoise : les Carolos ont-ils les moyens d’accentuer leurs progrès de la saison passée ?

Les ouvriers s’activent sous un soleil de plomb pour terminer la toiture du stade des Zèbres. Ils souffrent mais le travail avance bien. Felice Mazzu, fils de la classe populaire et ouvrière de Charleroi, apprécie certainement le courage de ces écureuils qui ne craignent pas le vertige. Les Zèbres n’ont hélas pas été aussi vaillants qu’eux dans l’Enfer rouche où, impressionnés, dans un jour sans, ils ont réalisé leur plus mauvais match sous l’ère Mazzu. Mais il en faut bien plus pour déstabiliser le coach carolo.

Le football professionnel belge est né en 1974 : quelle est à votre avis la place de Charleroi au classement des matches disputés en D1 depuis 40 ans ?

Felice Mazzu : Je suppose qu’Anderlecht, le Club Bruges et le Standard sont au-dessus du lot. Charleroi doit naviguer entre la 10e et la 12e place. Onzième…

Non, Charleroi est meilleur qu’on ne le perçoit généralement : 8e, 1164 matches joués en D1 depuis 1974 (34 saisons) avant le récent déplacement à Sclessin. Mais les Zèbres sont les seuls dans le Top 10 à n’avoir jamais rien gagné. Mais il paraît que cela va changer….

Vos statistiques soulignent en tout cas un fait intéressant, dont on ne parle pas assez : Charleroi est bel et bien un des clubs historiques de la D1. Enfant, je venais ici, du temps des Gebauer, Jacobs, Van Toorn, Iezzi, Royet et c’était chaud. Plus tard, en 1985, j’ai assisté au retour en D1. J’ai joué en équipe de jeunes, ici. A un moment, j’ai donné la priorité à l’université et c’était logique car je n’avais pas le niveau pour décrocher ma place en D1. Je connais bien la mentalité de cette région, ses valeurs, sa fierté, son enthousiasme pour le football, sa chaleur, ses capacités de travail.

Il y a un an que vous êtes au pied du mur : que retenez-vous de cette découverte du haut niveau ?

Je me remets tout le temps en question. Le club a atteint les objectifs qu’il s’était fixés pour 2013-2014. Moi, je ne suis pas satisfait de notre 10e place à la fin de la phase classique. Il y a eu des manquements qu’il nous faut absolument gommer si nous voulons éviter les moments difficiles que nous avons vécus la saison passée. Charleroi a finalement vécu deux passes difficiles. Et l’une d’elles a rapport avec mon arrivée et mes idées. Je l’assume d’ailleurs et j’ai rapidement corrigé le tir.

 » Au départ, j’ai été trop prétentieux dans mon dispositif la saison passée  »

Cela concernait le style très offensif des Zèbres en début de saison ?

Oui, quelque part j’ai été trop prétentieux dans mon dispositif. Je ne disposais pas des armes nécessaires pour pratiquer le beau jeu offensif que j’ai en tête depuis que je suis coach. J’ai brûlé les étapes. A Anderlecht, par exemple, on a loué notre occupation du terrain hyper offensive. Merci pour les compliments mais Charleroi y a encaissé cinq buts. Nos idées offensives primaient par rapport aux obligations défensives. En D1, ce n’est pas permis et il convenait d’être plus réalistes.

Et alors ?

Nous avons alors changé notre fusil d’épaule. Et ce retour au réalisme propre à l’élite nous a fait du bien : nous nous sommes imprégnés des réalités de la D1 et cela a bonifié la courbe de nos résultats. En fait, notre groupe a alors tout repris à zéro. Charleroi a mis son bleu de travail. Il y avait plus de guerriers sur le terrain. Après, il y a eu une deuxième période délicate en janvier avec le départ de trois valeurs sûres de notre effectif : Pollet, Kaya et Milicevic.

La presse a été étonnée par votre calme : votre acquis n’avait-il pas été hypothéqué par cet important exode ?

Entre la direction et moi, tout était clair. J’étais au courant de tout, donc des impératifs financiers à respecter pour garantir l’avenir du club. Moi, ce qui m’a intéressé tout de suite, c’est la manière dont le groupe percevait le départ de ces trois joueurs cadres. Nous en avons longuement discuté car je devinais des doutes. Je leur ai dit ceci : – Ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus là que Charleroi sera moins fort. Par contre, si vous estimez que nous serons moins bons parce qu’ils ne sont plus là, alors l’équipe sera effectivement moins performante.

Comment ont-ils réagi ?

J’ajoute tout de suite avoir tenu le même discours après l’arrivée des nouveaux au mercato d’hiver : – Ce n’est pas parce qu’ils sont là que nous serons aussi forts, ou même plus performants qu’avec Pollet, Kaya ou Milicevic. Non, tout dépendra de la vitesse et de la qualité de votre travail d’intégration des nouveaux. Je voulais faire comprendre au groupe qu’il pouvait être aussi fort sans les trois partants ou sans les trois renforts. Le plus important n’était pas de savoir qui signerait désormais les assists et les buts mais bien de savoir comment les gars géreraient la situation.

 » Un vestiaire qui n’échange plus rien, c’est comme un couple qui s’étiole faute de communication  »

Gros travail psychologique, non ?

J’ai toujours agi ainsi, que ce soit en D1 ou en Promotion. Il n’y a pas de grandes différences sur le plan mental. Les cerveaux sont les mêmes. Dans un vestiaire de n’importe quelle série, tout le monde désire jouer. Il n’y a qu’une méthode qui y tient la route : le dialogue. Il ne faut pas laisser traîner les choses et parler, partager, même quand c’est difficile et pas agréable.

Peut-on y voir une forme de fragilité ?

Mais tout à fait, l’équilibre et la force mentale sont essentiels quand un groupe d’hommes est engagé vers le même objectif. Un vestiaire qui n’échange plus rien, c’est comme un couple qui s’étiole car on ne s’est rien dit. A la fin, c’est le néant. La communication est vitale. En D1, c’est évidemment le gagne-pain des joueurs. Plus bas, ils ont un autre métier sur le côté. Mais globalement, le dialogue est identique. Le travail tactique, je l’ai toujours expliqué de la même façon. J’ajoute qu’on peut entraîner de la même façon en D1 qu’en P4.

Pourriez-vous m’expliquer cela ?

Les charges de travail, les émotions et les attentes ne sont forcément pas les mêmes. Mais la différence de niveau ne justifierait un travail différent. Plus bas, il faut aussi convaincre les joueurs d’adhérer au projet tactique. On y explique aussi la zone. Là, il est surtout question d’intelligence footballistique. J’ai toujours beaucoup parlé du jeu dans mes clubs. Loin de la D1, on compare aussi la zone à l’individuelle. La zone fait peur et est indiquée du doigt à chaque but. Et quand une équipe qui pratique l’individuelle est prise en défaut, cela semble normal. J’aimerais qu’on compare les deux philosophies chiffres à l’appui. Je suis persuadé que, si elle est bien préparée, la zone est plus efficace. Sa pratique fait appel à l’intelligence des joueurs, que ce soit en P4 ou en D1.

Votre tranquillité était quand même étonnante au regard des départs de janvier : n’avez-vous jamais été surpris par ces événements ?

Non, je sais que mon calme a étonné pas mal de monde. On m’a expliqué clairement les choses lors de la signature de mon contrat. L’objectif passait évidemment par le maintien. Mais en cas d’offre intéressante pour un joueur, Charleroi ne la refuserait pas. C’était logique pour un club engagé dans un processus de redressement financier. Le seul moyen d’un club dans cette situation, et qui n’a pas encore assez de public pour nouer les deux bouts, ou simplement continuer à vivre, c’est de pouvoir vendre l’un ou l’autre joueur au bon moment. J’ai signé mon contrat en connaissance de cause. Il n’aurait pas été correct de ma part, à l’égard du club et de Mehdi Bayat, d’ouvrir mon parapluie et de pleurer en janvier. Nous sommes restés simples en continuant à bosser, à requinquer les joueurs, à multiplier les activités.

 » Le boulot, c’est la richesse des clubs qui ne roulent pas sur l’or  »

Quand le déclic s’est-il produit ?

Il y a eu trois défaites en janvier suivies par des hauts et des bas en février. On a ensuite réussi à trouver le dispositif qui nous convenait le mieux. Cela a été la grande arme de Charleroi. Fauré, Tainmont et Ndongala, par exemple, ont marqué leurs buts de la même manière à la fin de la phase classique et durant les PO2. Il y avait donc un socle d’automatismes par rapport à nos qualités. Cela a demandé du temps et du travail et les joueurs ont répondu à l’attente. Le boulot, c’est la richesse des clubs qui ne roulent pas sur l’or. Cela ne s’achète pas, cela se mérite. Il ne faut jamais se voir plus beau qu’on ne l’est.

Charleroi n’aurait-il pas mérité de disputer la finale des PO2 ?

Oui, nous l’avons prouvé à 10 contre 11 à Courtrai.

Y voyez-vous des signes de progrès par rapport à 2012-13 ?

Qui suis-je pour faire des comparaisons et juger le travail des autres ?. Je ne connais pas le contexte de travail de mes prédécesseurs. Je ne peux évoquer que mon expérience, pas celle des autres. Je m’intéresse aux progrès de mes joueurs.

Justement, quel est celui qui a le plus progressé ?

Sébastien Dewaest, évidemment. Je le connaissais de la D2. J’appréciais ce qu’il faisait à Roulers. Même s’il bossait dur, j’avais des doutes sur ses chances de réussite en D1. Il a séjourné plusieurs fois sur le banc avant de remplacer Steeven Willems, blessé. Là, ébahi, je me suis dit : -Putain, qu’est-ce qu’il nous fait ? Et il a décollé. Maintenant, il doit rester ce qu’il est. Cela demande un travail sur soi. Il est très courtisé par d’autres clubs, la presse, les supporters, les amis, les gens qui le voient Soulier d’Or un jour…

Soulier d’Or ? Sabot d’Or ?

Il doit tourner le bouton.

Sabot d’Or car c’est un Zèbre.

J’avais compris (il rit).

Il a été approché par d’autres clubs, vous aussi, non ?

J’ai été cité dans différents clubs mais contacté par un seul.

Gand ?

Je ne dirai rien, c’est un débat inutile. D’ailleurs, je ne quitte pas un club sans y avoir terminé mon travail.

 » Si j’avais demandé aux joueurs du White Star de jouer à genoux, ils l’auraient fait  »

Si je vous dis White Star, vous me répondez quoi ?

Le plus beau moment de ma vie d’entraîneur si je songe aux résultats, à la construction, au chemin parcouru. Si je peux revivre à Charleroi les satisfactions que j’ai connues au White Star, ce serait extra. Si j’avais demandé à ces gars-là de jouer à genoux, ils l’auraient fait. Je ne suis évidemment pas un dictateur. J’avance cette image pour souligner la cohésion entre le staff et les joueurs. L’osmose était totale. Quand Studio 1 affirma que j’étais en pole position au Standard, nous étions au resto avec le groupe. Les joueurs ont été tétanisés. Il y avait quelque chose de magique entre nous. Je suis sûr, et je le répéterai jusqu’à la fin de ma vie, que le White Star serait monté en D1 sans ses soucis financiers. Je n’y ai pas infligé une seule amende. Jamais je n’ai vu un groupe pareil

Avez-vous changé comme entraîneur en un an ?

J’ai découvert la D1 et en arrivant, on a toujours des doutes. Aujourd’hui, j’en ai encore car personne ne maîtrise jamais tout dans le football. Il n’ y a pas de certitudes, on ne peut pas prétendre tout savoir. On ne sait jamais rien car l’imprévu peut surgir à chaque instant sur un terrain. Un coach peut lire le jeu de l’adversaire mais il y l’humeur imprévisible d’un match, les blessures, les erreurs techniques, les décisions parfois erronées des arbitres même si je n’aime pas en parler. Après un an en D1, je suis quand même plus serein. Que ce soit l’été dernier, quand j’ai débuté en D1, ou maintenant, rien ne me perturbe.

Le Charleroi actuel et Mazzu sont liés par le même objectif : se construire en D1. La donne aurait été très différente si vous aviez découvert l’élite à la tête du Standard comme il en fut question, n’est-ce pas ?

Sur 100 personnes, 99 m’ont dit que j’étais fou quand cela ne s’est pas fait au Standard il y a deux ans. Je ne suis pas un arriviste mais ce n’est pas parce que j’ai franchi le pas à Charleroi et pas à Sclessin que je n’ai pas de couilles au cul. Je ne crains rien, je rêvais de la D1 mais, dans ma vie, j’ai toujours éprouvé le besoin de franchir des étapes. J’ai besoin de me construire. C’est peut-être un défaut mais je ne peux pas passer en un bond du premier au 20e étage. Même si tout n’a pas dépendu que de moi, il manquait une marche dans mon parcours pour monter au Standard. J’ai besoin de ce passage dans un club que je connais bien.

A ce point-là ?

Tout à fait. Je n’ai qu’un an de D1 au compteur. Je suis toujours un apprenti de la D1. Et dans le fond, on le reste jusqu’à la fin de sa carrière.

 » Le mot d’ordre : ne rien gaspiller devant et ne rien lâcher derrière  »

Et maintenant ?

L’heure est la stabilité, ce qui ne signifie pas manque d’ambition. Je veux nous voir progresser, c’est évident. On a de l’ambition mais de bons PO2 ne suffisent pas pour réclamer une place dans le Top 6. Il faut être meilleur que ce qu’on a été, sans faire croire aux autres qu’on est dignes des PO1. Si cela arrive cette saison tant mieux mais….prudence. On est dans la continuité. Avec le même effectif que la saison passée, par quel miracle serions-nous tout de suite, maintenant, dans le haut du classement ? Restons humbles, évitons les erreurs de la saison passée. Nous avons donné huit points la saison passée, surtout en fin de match.

Comment résoudre ce problème ?

Cela passe par le métier, l’organisation, le tempérament. Il ne faut pas se prendre pour des stars, croire qu’on peut faire ce qu’on veut avec le ballon. Quand on a une occasion, on met le ballon dans les filets. Et s’il faut défendre un acquis, on le fait jusqu’au bout, sans rien lâcher. Il y a plus de concurrence, donc de possibilités que la saison passée. En défense, il faudra aussi compter avec Willems, Leemans, etc. La ligne médiane est riche. Il arrivera que de bons milieux de terrain prennent place dans la tribune.

Devant, Fauré a 35 ans…

Charleroi a besoin de son vécu. En cas d’absence, on peut jouer autrement avec Kitambala ou Coulibaly, entre autres. Coulibaly qui doit encore s’adapter au football belge. On a fait la même chose avec Daf.

Sur le terrain il est parfois beau comme un camion, ce Daf, n’est-ce pas ?

Je le lui dirai, mais des joueurs se sont déjà chargés de le comparer à un camion. Beau comme un camion donc, qui sait garder le ballon. C’est peut-être notre plus beau footballeur mais il a tout appris dans la rue. Quand il aura appris à mettre ses qualités au service du collectif, ce sera de l’or en barre.

 » Marcq sera l’une de nos pièces-maîtresses  »

Avez-vous trouvé des sources d’inspiration pour Charleroi en regardant la Coupe du Monde ?

Oui. Je ne citerai qu’un exemple : la Belgique a écopé d’un penalty évitable contre l’Algérie. Jan Vertonghen a cru qu’il avait le temps au moment où le ballon était loin de lui. Quand il a réagi, c’était trop tard. Je l’ai expliqué à mes joueurs car on encaisse trop de buts de cette façon-là

Quels sont vos relais sur le terrain ?

N’Ganga, Fauré, Marcq…

Surtout Marcq ?

Il est important. Quand Marcq est arrivé la saison passée, il avait un gros retard. On le connaissait et nous lui avons fait confiance. Il a bossé et a éclaté au cours des matches retour. Même si son début de championnat est marqué par une suspension de deux rencontres, il a été extraordinaire tout au long de la campagne de préparation. Si Marcq continue de la sorte, il sera une des pièces maîtresses de Charleroi. Il et animé par une grande envie. C’est simple, sans envie, on n’obtient rien.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Si elle est bien pratiquée, la zone est plus efficace que l’individuelle.  »

 » Je suis toujours un apprenti de la D1.  »

 » Quand Daf aura appris à mettre ses qualités au service du collectif, ce sera de l’or en barre.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire